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Dr Idrice Goumany : le tragique destin d’un Lascar

C’est un des martyrs injustement méconnus de la période des travailleurs engagés dont on a célébré l’arrivée ce jeudi 2 novembre 2017.

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Martyr, parce le Dr. Idrice Ameer Goumany a payé de sa vie son dévouement à la cause des travailleurs indiens atteints des maladies infectieuses à la quarantaine de Pte-aux-Canonniers. Assad Bhuglah a souhaité remettre l’histoire à l’endroit en lui consacrant un livre intitulé ‘Dr. Idrice Ameer Goumany, The Forgotten Hero of Mauritius’.

« Sa famille s’en est retrouvée ruinée parce qu’elle avait dépensé une fortune pour lui payer des études de médecine en Écosse. Il a fallu remuer ciel et terre pour qu’on lui rende justice, mais il reste du chemin à faire pour que son sacrifice soit connu de tous les Mauriciens »

Assad Bhuglah.

S’il avait mauvais caractère, Assad Bhuglah aurait certainement trouvé des mots violents pour qualifier l’oubli sélectif qui entoure un des noms des plus célèbres médecins non-blancs de la période française de Maurice. Toutefois, le diplomate se contente de regretter que le nom d’Idrice Goumany ne renvoie qu’à un centre de désintoxication, confiné à Plaine-Verte, alors que le médecin avait voué sa vie au chevet de ces immigrés indiens transférés au centre de quarantaine de Pte-aux-Canonniers après avoir chopé des maladies infectieuses durant leur voyage.

« La tragédie dans l’histoire du Docteur Goumany est qu’il est mort après avoir été lui-même infecté au contact des malades dont personne ne voulait s’occuper. Il avait à peine 30 ans, il n’était pas marié. Sa famille s’en est retrouvée ruinée parce qu’elle avait dépensé une fortune pour lui payer des études de médecine en Écosse. Il a fallu remuer ciel et terre pour qu’on lui rende justice, mais il reste du chemin à faire pour que son sacrifice soit connu de tous les Mauriciens », explique Assad Bhuglah.  

La vie et les coutumes des  Lascars

Pour mieux comprendre l’époque qui a vu la naissance et la disparition tragique du médecin, ce dernier dépeint la vie et les coutumes des  Lascars, - de l’arabe al-laskar - ces marins partis du Cochin, dans le sud de l’Inde, à l’époque française. C’est Mahé de La Bourdonnais qui les recruta pour son grand projet de transformer Port-Louis en une base navale. Le gouverneur français connaissait déjà les Lascars car  il avait  été témoin de leur habilité professionnelle sur la côte de Malabar. Les Lascars sont sans aucun doute les descendants de marins arabes qui commerçaient avec les régions de la côte-ouest de l’Inde. Selon l’auteur, tour à tour, les Indiens et les Français ont fait appel à leurs talents de marin et de constructeur naval. Leurs contacts réguliers avec les dirigeants indiens du Sud ont fini par donner naissance à une communauté de marins qui s’établira dans cette région de l’Inde.

Dans la rivalité qui opposèrent Anglais et Français, ils prirent fait et cause pour ces derniers.

Lorsqu’ils arrivèrent à Port-Louis sous l’impulsion de La Bourdonnais, ils partirent dans la région connue comme le Camp des Lascars et, plus près nous, prit le nom de Plaine-Verte. Là, ils eurent droit à des fortunes diverses, forcés par exemple de prendre des prénoms chrétiens, mais l’administration française leur accorda le droit de pratique le Yamse (le ‘ghoon’, un nom péjoratif issu de l’hindi) ainsi qu’une place pour prier, qui deviendra plus tard la mosquee Al Aqsa.

« La tragédie dans l’histoire du Docteur Goumany est qu’il est mort après avoir été lui-même infecté au contact des malades dont personne ne voulait s’occuper. Il avait à peine 30 ans, il n’était pas marié. »

La famille Goumany

C’est dans cette communauté que naît Idrice, en 1859, dans la famille Goumany à la rue Pagoda. Son père, Ameer, était marin et sa mère Roselie Marguerite César, une femme de couleur, descendante de Français. Par la suite, Ameer devint un commerçant plutôt prospère, ce qui contribua à améliorer la vie de sa famille. Il voulait que son fils réussisse son parcours éducatif, aussi inscrira-t-il ce dernier à l’école Pensionnat de St Louis de Gonzaque, située à la Rue La Paix où sa femme était enseignante. L’inscription de l’enfant fut rendu possible car, comme son frère Assen et sa sœur Mirmani, il pratiquait l’anglais et le français.

À la suite de ses études primaires Assen rejoignit le collège Royal, tandis que sa sœur s’initia  à l’artisanat. Idrice suivit son frère à l’institution qui se trouvait alors à la rue Edith Cavell. Après le certificat de ‘Matriculation’, il mit le cap sur l’Université d’Édinbourg pour des études de médecine, financées grâce à l’argent que ses parents obtinrent après avoir hypothéqué leur maison. Rentré à Maurice en 1886, quelques années plus tard, il fut chargé de diriger la station de Quarantaine de Pte-aux-Canonniers, où malheureusement il fut infecté au contact d’immigrés indiens atteints de variole et autres maladies infectieuses.

Déchéance sociale et économique

Le décès du jeune médecin entraîne la déchéance sociale et économique de toute sa famille. Son père était déjà décèdé durant ses études. On avait cru que ses  honoraires de médecin allaient permettre de rembourser les prêts obtenus après l’hypothèque de la maison familiale. Il n’en fut rien, la maison étant vendue à la barre. Sans domicile, sa mère trouva abri chez une personne généreuse dans le quartier commerçant de la rue Louis Pasteur. Sa sœur, qui attendait son retour d’Écosse pour se marier ne se consola jamais de sa disparition et mourut de chagrin. La famille finit par obtenir une maigre pension du Conseil législatif.

Que reste-t-il de la mémoire du Dr Idrice Goumany. Au centre du même nom à Plaine-Verte, aucune documentation ne permet de retracer le destin tragique du grand notable de la communauté des lascars. Les patients qui fréquentent l’endroit n’ont jamais entendu parler de lui. C’est cet oubli qu’Assad Bhuglah veut réparer à travers l’ouvrage qu’il lui consacre.

 

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