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Dr Bhavish Jugurnath, économiste : «sans un million de touristes, il sera difficile d’atteindre une croissance de 6%»

Le Dr Bhavish Jugurnath est persuadé que le ciblage social est très important dans ce contexte économique exceptionnel marqué par une baisse des recettes publiques et fiscales, une croissance économique faible. 

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La perte du pouvoir d’achat est sur toutes les lèvres ces derniers temps. Quel est votre regard sur la situation ?
Le pouvoir d’achat est le cheval de bataille de tout consommateur. Il faut reconnaître qu’il a diminué ces derniers mois. Le pays importe de nombreux biens de consommation, sinon l’essentiel. D’ailleurs, le gouvernement a annoncé une hausse des subventions à hauteur de 150 millions de roupies sur sept produits, ce qui est une mesure louable. 

Cependant, à ce stade, je pense qu’une approche ciblée des pauvres et des classes moyennes, comme cela se fait dans de nombreux pays, est très importante, compte tenu de l’énorme augmentation de la dette publique, comme le souligne le dernier rapport de la Banque mondiale. 

Les prix mondiaux ne se stabiliseront pas ou ne baisseront pas si tôt. L’essence, le gaz, les barres de fer et le fret ont pour point commun « la hausse des prix sur le marché mondial ». Le panier de consommation de base pour les coûts alimentaires a augmenté de 19% les 18 derniers mois. De nombreux consommateurs gagnent des salaires ne dépassant pas Rs 25 000 par mois. Il leur est donc très difficile, voire impossible, de s’en sortir avec des prix qui ne cessent de grimper. En effet, le consommateur mauricien ressent directement les effets de l’inflation. 

Business Mauritius, les ONG et d’autres observateurs politiques et économiques sont en faveur de vouchers alimentaires pour soutenir les familles les plus démunies. Est-ce dans cette direction qu’il faut aller ?
Une augmentation des inégalités résultant de la pandémie et de la crise ukraino-russe contribuerait à accroître la pauvreté relative. Nous avons assisté à une dépréciation de 22% de la monnaie mauricienne, une inflation à deux chiffres qui a entraîné une énorme hausse du coût de la consommation. Les prix du gaz ont augmenté à Rs 240, par exemple. La subvention du gouvernement est universelle et s’applique à tous. Même les riches en sont éligibles. 

À mon avis, ce sont les pauvres qui souffrent le plus de cette situation. Avec un faible revenu et une majoration générale des coûts, les pauvres et même les personnes à revenu moyen, dans une certaine mesure, pourraient ne pas pouvoir se permettre d’acheter du gaz. Le ciblage social est très important dans ce contexte économique exceptionnel caractérisé par une baisse des recettes publiques et fiscales, une croissance économique faible et un endettement élevé.

La France, le Portugal et l’Espagne, pour n’en nommer que quelques-uns, le font déjà. Maurice doit emboîter le pas pour aider à la fois les familles pauvres et celles à revenu moyen. Je propose une aide alimentaire et énergétique aux ménages à court terme qui pourrait être gérée numériquement. 

Au Parlement, le Premier ministre a annoncé quatre mesures visant à soulager la population : une révision des prix et des subventions sur les produits de base ; une baisse du mark-up sur une quinzaine de médicaments ; la mise sur pied d’un comité ministériel pour travailler sur des mesures additionnelles ; et une hausse de la subvention sur la farine et le riz ration. Est-ce suffisant ?
Ce sont toutes de bonnes mesures qui atténueront la situation maintenant et à court terme. Cependant, nous devrions également rechercher une solution durable et à long terme, car les prix pourraient continuer à prendre l’ascenseur. Selon certains rapports d’experts, cela ne devrait pas être une surprise si nous voyons les tarifs de l’essence bondir à nouveau à 200 USD/baril et l’augmentation continue du coût du gaz. 

Il n’y a pas de visibilité et une forte volatilité sur le marché mondial actuellement. Cela nécessitera donc une stratégie économique durable et à long terme. Maurice est déjà confronté à une inflation à deux chiffres, à un faible IDE (investissement direct étranger) avec moins de réserves de change. Il sera très important pour le gouvernement de revoir le paradigme économique avec de nouveaux secteurs générateurs de revenus pour ramener l’économie là où nous étions en 2019. La tâche est difficile mais très importante et cruciale.

Donc, pour apporter de la croissance, je crois fermement que nous avons besoin «d’un grand changement de mentalité pour un nouveau paradigme économique pour une nouvelle île Maurice pour
l’industrie 5.0."

Outre la flambée des prix et la perturbation au niveau de la chaîne d’approvisionnement, les commodités coûtent plus cher aussi en raison de la dépréciation de la roupie. Et il a aussi la guerre en Ukraine. Quel est l’impact sur l’inflation ?
L’inflation, désormais à deux chiffres, est directement liée à la hausse des prix mondiaux, notamment du pétrole et du gaz, qui a doublé en l’espace de quelques mois. Le coût de l’entreprise augmente et celui du produit final également. En outre, les prix alimentaires mondiaux ont également grimpé. L’inflation entraîne une baisse du pouvoir d’achat dans la mesure où le consommateur devra payer plus avec un revenu identique pour son panier de consommation. 

Revenons à la roupie, la BoM a injecté 200 millions de dollars sur le marché des changes – du jamais vu. Mesure-t-on déjà l’impact de cette intervention ?
Dans un contexte de dépréciation de plus de 20% de la roupie et de grave pénurie de devises sur le marché fourni par les banques commerciales, il était important de stabiliser le taux de change de la roupie par rapport aux devises étrangères. Mais cela reste un défi. Vous avez d’un côté des exportateurs qui veulent une roupie faible et de l’autre, des importateurs qui veulent une roupie forte. Après l’énorme dépréciation, nous voulons maintenant une appréciation. 

En attendant le retour à une activité économique normale, la Banque de Maurice doit intervenir pour stabiliser la roupie et donner un répit aux exportateurs confrontés actuellement à un faible taux de productivité. Je comprends que ce n’est pas une solution idéale mais en même temps, on ne peut pas s’attendre à pouvoir procéder du jour au lendemain à une appréciation de la roupie face aux indicateurs économiques négatifs auxquels le pays est confronté.

Concluons par la croissance. Le Fonds monétaire international a revu ses prévisions à la baisse et anticipe une croissance de 6,1 % pour Maurice cette année. Un taux jugé optimiste par certains observateurs en raison des incertitudes sur l’étendue des conséquences de la guerre en Ukraine. Partagez-vous le même point de vue ?
Le Fonds Monétaire International (FMI) a révisé ses projections de croissance mondiale pour 2022 à la baisse de 0,8 % à 3,6 %. Maurice n’est pas une exception étant également touché par la double crise de la Covid-19 et la crise ukrainienne. Le FMI souligne que la guerre entre la Russie et l’Ukraine n’est pas sans conséquences sur les prix des denrées alimentaires et de l’énergie dans la plupart des régions. Cet aspect, associé aux ruptures d’approvisionnement et aux pressions déjà existantes sur les prix, influence l’inflation. Les prix élevés affectent définitivement la consommation et l’investissement, tout en exacerbant le niveau de déficit commercial visible qui dépasserait, cette année, 30% du PIB pour la première fois dans l’histoire du pays.

Il reste à voir avec le coût élevé des matières premières, de l’essence et du coût du fret, combien d’entreprises seront en mesure de soutenir l’emploi. Autre facteur, notre croissance est fortement dépendante de notre secteur du tourisme et nos principaux marchés européens ont été durement touchés par la crise ukrainienne. 

Donc, pour apporter de la croissance, je crois fermement que nous avons besoin «d’un grand changement de mentalité pour un nouveau paradigme économique pour une nouvelle île Maurice pour l’industrie 5.0». Cela implique de revoir notre stratégie économique pour une augmentation des investissements directs étrangers avec de nouveaux secteurs de croissance tels que la FinTech, le Metaverse, la Smart Agriculture (comme le Ferney Agri-Hub récemment lancé), le tourisme médical et un secteur offshore remanié avec de nouvelles offres de produits, entre autres. Si nous échouons ici et que nous n’atteignons pas l’objectif attendu de touristes, il sera difficile d’obtenir une croissance de 6%.

 

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