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Dix ans après le verdict de la Cour suprême en 2011 : l’incontournable Mamou

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Dharmanand Dhooharika est arrêté le 21 octobre 2011, quelques jours après le verdict de la Cour suprême.
Dharmanand Dhooharika est arrêté le 21 octobre 2011, quelques jours après le verdict de la Cour suprême.

Alité depuis août 2020 après avoir été victime de sa troisième crise cardiaque, le journaliste chevronné Dharmanand Dhooharika n’est plus l’homme « vif et souriant » qu’il était autrefois. Pour autant, « Mamou » demeure dans la mémoire de ceux qui l’ont côtoyé. À ses côtés se tiennent son épouse, Renuka Devi, et ses quatre enfants. 

Son épouse l’appelle affectueusement. « Dharmanand, Mamou… get kisanla inn vinn get twa… » Aucune réaction. Autrefois bavard et connu pour avoir la langue bien pendue, le journaliste chevronné Dharmanand Dhooharika, Mamou pour les intimes, ne pipe mot. Le voyant ainsi, sur son lit médicalisé, tout fragile, alors qu’il était si robuste, les cheveux gris et une barbe naissante, on dirait qu’il dort d’un profond sommeil. 

Depuis qu’il a été victime de sa troisième crise cardiaque en août 2020, confie Renuka Devi avec émotion, son époux n’est plus l’homme « vif, souriant et qui plaisante toujours ». Il est alité et sous la surveillance d’une garde-malade. Dans sa chambre à coucher, on entend les mélodies des chants de prières. Le téléviseur est allumé à longueur de journée. Renuka Devi explique qu’il était avide d’informations, dévoué et passionné par son métier de journaliste.

Dharmanand Dhooharika était passionné par son métier de journaliste.
Dharmanand Dhooharika était passionné par son métier de journaliste.

Comme son état de santé s’est détérioré d’année en année, elle ne l’a plus quitté d’une semelle. Assise dans son salon, dans leur demeure à Goodlands, Renuka Dhooharika a des larmes plein les yeux. Elle a été une présence constante à ses côtés, dans les moments de gloire, comme dans les « pires moments ».

Pour elle, la vie de son époux a basculé lorsqu’il a été condamné, le 17 octobre 2011, à trois mois de prison et à une amende de Rs 300 000 par la Cour suprême. Dharmanand Dhooharika avait alors été reconnu coupable d’outrage à la cour, suivant une série d’articles publiés le 14 août 2010 dans l’hebdomadaire Samedi Plus, dont il était le rédacteur en chef (voir plus loin).  

Le 21 octobre 2011, Dharmanand Dhooharika est arrêté et incarcéré à la prison de Beau-Bassin. Puis, transféré à celle de Richelieu et ensuite à Petit-Verger. Il passera 14 jours en prison, avant d’être libéré après avoir fait appel du jugement de la Cour suprême. Depuis, évoque Renuka Dhooharika, il était très stressé et moralement affecté.

« La première fois que Mamou est tombé malade, c’était le 14 janvier 2014. Il était en attente de son procès devant le Conseil privé. C’est à ce moment qu’il a eu sa première crise cardiaque », raconte son épouse. 

« Le 14 mars 2018, Mamou a fait sa deuxième crise cardiaque. Il avait du mal à marcher, mais il a persévéré. Après quelque temps, il a pu remarcher, mais avec des difficultés. Il se déplaçait à l’aide d’une béquille. Cela ne l’empêchait pas de se promener dans le quartier. » nous indique-t-elle. 

Dharmanand Dhooharika lors de sa comparution en cour, le 18 octobre 2011.
Dharmanand Dhooharika lors de sa comparution en cour, le 18 octobre 2011.

Il ne se remettra toutefois pas de sa troisième crise cardiaque, en août 2020. Il a dû subir une intervention chirurgicale. Depuis, il ne dit plus un mot et ne peut plus bouger. C’est la raison pour laquelle la famille a eu recours à une garde-malade, qui demeure à ses côtés jusqu’à 16 heures. Ensuite, c’est Renuka Dhooharika qui s’occupe de lui avec l’aide de ses enfants. 

« Je n’arrive pas à dormir. Je ne peux pas m’empêcher de pleurer en le voyant dans cet état. Les larmes continuent de couler, j’attends qu’il s’endort…» Elle avance, en larmes, avoir un jour perdu connaissance. Elle était seule à la maison à ce moment-là. La fatigue, le stress et l’anxiété ont pris le dessus sur elle. N’empêche, clame-t-elle, « je veillerai sur lui tant que ma force me le permettra ». 

Elle dit souffrir de le voir dans cet état. Il était un homme très actif et très engagé socialement. Il se donnait à fond, que ce soit au travail ou pour sa famille. Dharmanand Dhooharika, avance-t-elle, était un combattant et toujours prêt à aider les autres. « Mon époux était contre l’injustice. Il n’aimait pas voir les gens souffrir et avait un cœur d’or… »

Aujourd’hui, c’est un homme fragile et qui vit dans la souffrance en raison de sa santé précaire. Et cette souffrance afflige énormément son épouse.

Mon époux était contre l’injustice. Il n’aimait pas voir les gens souffrir et avait un cœur d’or…  "

Son épouse, Renuka Devi Dhooharika, montrant les photos prises, le 17 octobre 2011, lors du verdict de la Cour suprême.
Son épouse, Renuka Devi Dhooharika, montrant les photos prises, le 17 octobre 2011, lors du verdict de la Cour suprême.

42 ans aux côtés de Renuka 

C’est à l’âge de 16 ans que Renuka s’est mariée avec Dharmanand. De cette union sont nés quatre enfants : deux garçons et deux filles. Ils sont âgés de 41 ans, 34 ans, 32 ans et 23 ans, respectivement. « C’était un mariage d’amour. Mamou est tombé amoureux de moi au premier regard. Et moi, je suis aussi tombée très amoureuse de lui. Nous aurons eu 42 ans de vie commune. Mamou faisait tout et aimait que ses enfants étudient. Ils étaient ses amours. Il a aussi été toujours là pour sa famille, même s’il était très passionné par son travail. »

TRÈS BAVARD 

Très bavard, surtout quand il se retrouvait avec ses collègues et amis, Mamou était un autre homme chez lui. Renuka Dhooharika soutient que lorsque son époux revenait du travail après une rude journée, il ne pipait mot. Il était toujours nerveux. Et quand il se mettait dans la salle à manger, nul ne pouvait l’approcher. Mais lorsque Mamou se retrouvait dans son fauteuil au salon, là il était un autre homme. Ils bavardaient alors jusqu’à fort tard.  
Autre anecdote : le 29 août 2004, lorsque 10 cadavres sont retrouvés à St-Paul, Dharmanand Dhooharika s’est rendu sur place pour enquêter. En rentrant, il a immédiatement enlevé ses vêtements. L’odeur des cadavres était si abominable qu’il n’en pouvait plus. Ce cas, affirme-t-elle, l’avait marqué.

« Scandalising the court » : le Conseil privé annule la condamnation de Dharmanand Dhooharika

Dharmanand Dhooharika, le 17 avril 2014, après le verdict du Conseil privé.
Dharmanand Dhooharika, le 17 avril 2014, après le verdict du Conseil privé.

Le 17 octobre 2011, la Cour suprême condamne Dharmanand Dhooharika à trois mois de prison et à une amende de Rs 300 000 pour outrage à la cour (scandalising the court). Il fait appel devant le Conseil privé de la reine. Et le 16 avril 2014, le Privy Council annule la condamnation.

Dans leur jugement, les Law Lords Brian Francis Kerr, Anthony Peter Clarke, Nicholas Allan Roy Wilson, Patrick Stewart Hodge et Lady Brenda Marjorie Hale se sont montrés critiques envers le délit de « scandalising the court ». Faisant remarquer que celui-ci avait été aboli en Angleterre et au pays de Galles.

De plus, les Law Lords ont soutenu que Dharmanand Dhooharika n’avait pas obtenu de procès équitable et qu’il n’avait pas agi de mauvaise foi. Pour eux, il aurait dû avoir l’opportunité de témoigner en cour, avant que sa sentence ne soit prononcée. Or, ce droit lui avait été refusé.

Le jugement du Conseil privé de la reine a fait jurisprudence. Ainsi, le tribunal accorde désormais à un accusé l’opportunité de s’adresser à la cour avant de lui infliger sa sentence. 

C’est pour avoir publié une série d’articles, dont un entretien de l’avocat radié du barreau, Dev Hurnam, dans l’hebdomadaire Samedi Plus, le 14 août 2010, que Dharmanand Dhooharika avait été condamné par la Cour suprême. Ceux-ci portaient sur une action ayant opposé Paradise Rentals Co. Ltd, dont Dev Hurnam est le directeur, à la Barclays Leasing Co. Ltd. Il était aussi question d’une lettre envoyée par Dev Hurnam au président de la République réclamant l’ouverture d’une enquête dans cette affaire. Et de certaines allégations contre l’ex-chef juge Bernard Sic Yuen.

Un peu plus de deux ans après l’annulation de sa condamnation, Dharmanand Dhooharika avait fait servir une mise en demeure au Directeur des poursuites publiques (DPP) et à l’État, en date du 22 juillet 2016, réclamant des dommages de Rs 75 millions. Il avait dit, dans sa mise en demeure que cette affaire avait gravement nui à sa santé et qu’il avait été victime d’une attaque cérébrale, qui l’a rendu partiellement handicapé. Cette affaire n’a pas eu de suite.

Qui est Mamou ?

Dharmanand Dhooharika lorsqu'il était jeune.
Dharmanand Dhooharika lorsqu'il était jeune.

Dharmanand Dhooharika a commencé sa carrière en 1982 et a travaillé au sein de plusieurs rédactions. Dont Nation, Le Mauricien, Mauritius Today, Mauricien Soir, L’Hebdo, Le Défi Plus, Le Quotidien, Samedi Plus et Impact News. Il était un journaliste à l’ancienne, qui écrivait « sur des feuilles de papier ».

C’est quand il a été nommé rédacteur en chef de l’hebdomadaire Samedi Plus qu’il a commencé à utiliser un ordinateur. En dépit de sa maladie, relate son épouse, il a continué à écrire. « Il avait rencontré des gens et rédigé des articles sur eux. Ils étaient devenus des amis. Certains le téléphonaient de temps en temps », relate-t-elle. 

L’écriture, poursuit Renuka Dhooharika, lui prenait des jours. « Lorsque Mamou écrivait, il aimait la tranquillité. Personne ne devait le déranger. Et c’est notre salle à manger qui faisait office de bureau, là où il prenait sa plume pour se mettre à rédiger ses articles. Il se levait à 1 heure du matin pour terminer le travail vers les 5 heures, pour ensuite prendre le chemin du bureau. » Ce n’était qu’à la fin de chaque année, précise-t-elle, que « les articles » étaient placés dans des boîtes en carton et que sa table dans la salle à manger respirait enfin.

Avant de tomber grièvement malade, Mamou a fait plastifier tous ses articles. C’est avec fierté qu’elle nous montre les « articles de presse » portant la signature de son époux. Tout le monde connaissait Mamou, dit-elle. Il ne craignait personne et était un fonceur dans son travail, se rappelle Renuka Dhooharika avec un sourire aux lèvres.

Par ailleurs, souligne-t-elle, son époux était toujours très bien vêtu. Chemise, pantalon, sans oublier sa cravate et son « fameux » costume ; il s’habillait toujours de cette façon pour se rendre au travail.

Plainte constitutionnelle : une compensation de Rs 3 M réclamée à l’État

Le 15 janvier 2019, l’ancien rédacteur en chef de Samedi Plus a déposé une plainte constitutionnelle en Cour suprême. Il réclame une compensation de Rs 3 millions à l’État, en vertu de l’article 17 (1) de la Constitution, pour arrestation et détention illégales.

Dans sa plainte, Dharmanand Dhooharika dit avoir, le 28 septembre 2018, envoyé une missive au Premier ministre pour lui réclamer une compensation. Il y explique aussi qu’en raison de sa santé précaire, il n’a pu entamer les procédures plus tôt. Le 8 octobre 2018, dans une correspondance, on l’informe que « le bureau du Premier ministre ne peut pas intervenir dans cette affaire ». 

Pour Dharmanand Dhooharika, en refusant de lui accorder une compensation, l’État s’est rendu coupable d’une violation de ses droits constitutionnels. D’où sa réclamation de Rs 3 millions. Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, est cité comme co-défendeur dans sa plainte. 

L’affaire sera appelée le 24 septembre 2021 en Cour suprême, l’État ayant soulevé un point de droit. Dharmanand Dhooharika a retenu les services de l’avocat Roshi Bhadain et de l’avoué Yash Balgobin.

Affaire Ahnee : condamnation maintenue

Suivant un article publié le 5 juillet 1993 dans un quotidien, portant de graves allégations sur l’impartialité d’un ancien chef juge, le DPP avait initié des poursuites au pénal contre Gilbert Ahnee et Sydney Selvon et Le Mauricien Ltd pour « contempt of court », estimant qu’ils avaient « scandalised the court of Mauritius ». Ils avaient été reconnus coupables par la Cour suprême et écopé, chacun, d’une amende de Rs 100 000. Ils avaient fait appel devant le Conseil privé. En 1999, le Privy Council a maintenu la condamnation.

 

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