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Dev Virahsawmy raconté par Alain Laridon

La disparition de Dev Virahsawmy le 8 novembre 2023 ne cesse de susciter des souvenirs de la part de ceux qui ont côtoyé l’ex-membre fondateur du MMM et du MMM (SP), le parti né d’une scission du MMM. Alain Laridon, ancien PPS, ambassadeur et membre du comité central du MMMSP, fait ici ressortir que Dev Virahsawmy a été un militant accompli, actif tant au Parlement qu’au sein du milieu syndical.

Manifestation contre la venue de la Princesse Alexandra à Maurice : Dev Virahsawmy et Prakash Ruchpaul, autre membre du MMMSP.
Manifestation contre la venue de la Princesse Alexandra à Maurice : Dev Virahsawmy et Prakash Ruchpaul, autre membre du MMMSP.

« Dev a été un véritable intellectuel de gauche concevant l’engagement militant dans tous ses aspects. Il a été le premier à placer l’enjeu des langues maternelles de l’ile Maurice comme revendication indispensable afin de décoloniser les esprits », explique Alain Laridon, avant d’ajouter : « Il concevait le combat culturel comme pivot central dans le combat politique ». Pour lui, la naissance du MMM-SP (socialiste et progressiste) en 1973 était né d’un désaccord avec Paul Bérenger concernant la stratégie à adopter après les grèves générales de 1971 et l’emprisonnement des membres du MMM. « Dev et d’autres militants, dont moi-même, Showkutally Soodhun et Gian Mahadeea, on souhaitait plus de recul afin de mettre l’accent sur la formation et la conscientisation. En revanche, la ligne incarnée par Paul Bérenger voulait poursuivre avec le combat syndical et politique », indique-t-il.

Le MMMSP au centre Marie Reine de la Paix : de g à dr. : Showkutally Soodhun, Alan Ganoo, Alain Laridon, Dev Virahsawmy et Geean Mahadeea.

Travaux parlementaires

Après son élection à la partielle de Triolet/Pamplemousses en décembre 1970, il devint l’égal de Paul Bérenger, le MMM lui ayant confié la responsabilité de démontrer les capacités du parti à participer aux travaux parlementaires soutenus par son travail au sein de la General Workers Federation (GWF), le bras syndical de mauves. « Il a été négociateur pour plusieurs syndicats sectoriels en même temps qu’il poursuivait son engagement en faveur de la langue kreol. Mais déjà en 1967, il s’était fait connaitre lorsque L’Express avait publié sa thèse universitaire en faveur du kreol », indique Alain Laridon.

Conférence de presse à la salle Louis Léchelle : de g à dr : Raj Virahsawmy, Pradeep Sooroojbally, Alain Laridon et Dev Virahsawmy.
Conférence de presse à la salle Louis Léchelle : de g à dr : Raj Virahsawmy, Pradeep Sooroojbally, Alain Laridon et Dev Virahsawmy.

Après la scission maoïsante du MMM-SP, Dev Virahsawmy et ses amis se lancèrent dans des réunions politiques pour faire valoir la nécessité de former politiquement la population, condition indispensable pour l’exercice du pouvoir par un parti de gauche marxiste. « Nous avions tiré les leçons de l’expérience chilienne et il ne fallait pas répéter les mêmes erreurs », se souvient encore Alain Laridon avant de nuancer : « Comme nous étions presque tous issus du MMM, nous étions tous engagés dans des combats internationaux, comme la protestation contre la guerre au Vietnam, la cause palestinienne, la dénonciation de l’apartheid en Afrique du Sud, le combat pour la démilitarisation de Diego Garcia. Moi-même, étant jeune, je revenais des réunions du MMM avec des termes qui m’intriguaient comme les titres des livres qu’il fallait lire, ‘Peau Noire Masques Blancs’ de Frantz Fanon ou ‘L’Afrique noire est mal partie’ de René Dumont. Ces réunions se tenaient au Port-Louis High School que Heeralal Bhugaloo, autre grand tribun du MMM, avait ouvert aux militants. Il faut dire que Sir Seewoosagur Ramgoolam regardait tout ça d’un œil plutôt sympathique, sans doute comprenait-il lui aussi ces combats-là. Puis et malgré son âge, il avait une attitude intéressée face à ces jeunes qui étaient très politisés et qui défiaient son gouvernement ».

Grève de la faim au Jardin de la Compagnie : au fond, Alain Laridon, Dev Virahsawmy, Bidianand Jhurry, Ram Seegobin (le dos tourné), Bilkiss Permacole, Antoine Savrimootoo, et Lutchmeeparsad Ramsahok.
Grève de la faim au Jardin de la Compagnie : au fond, Alain Laridon, Dev Virahsawmy, Bidianand Jhurry, Ram Seegobin (le dos tourné), Bilkiss Permacole, Antoine Savrimootoo, et Lutchmeeparsad Ramsahok.

Jean Ferrat, Elvis Presley et Jagjit Singh

Alain Laridon se souvient aussi d’un Dev Virahsawmy doué d’une vaste culture, qui écoutait indistinctement Jean Ferrat, Elvis Presley et Jagjit Singh – qu’il voulait faire venir à Maurice, mais trop cher pour le gouvernement alors qu’il était conseiller culturel.  « À ses moments perdus, il jouait de la batterie malgré son handicap », indique Alain Laridon. C’est lui qui donna une véritable impulsion à la musique engagée mauricienne lorsque le MMM-SP monta le Grup Soley Ruz, composé de Bam Cuttayen, des frères Joganah, Micheline Virahsawmy, Rosemay Nelson et Lelou Menwar, entre autres. « Soley Ruz a été une véritable révolution rassemblant des milliers de jeunes autour des thématiques sociales nouvelles comme le féminisme, la langue kreol, l’internationalisme ».

Le MMMSP au centre Marie Reine de la Paix : de g à dr. : Showkutally Soodhun, Alan Ganoo, Alain Laridon, Dev Virahsawmy et Geean Mahadeea.
Le MMMSP au centre Marie Reine de la Paix : de g à dr : Showkutally Soodhun, Alan Ganoo, Alain Laridon, Dev Virahsawmy et Geean Mahadeea.

Guerre fratricide ?

Est-ce qu’il y a eu une guerre fratricide entre Dev Virahsawmy et Paul Bérenger au MMM ? Pas aux yeux d’Alain Laridon : « Il y a eu des divergences profondes en termes de stratégie pour la conquête du pouvoir. Paul Bérenger avait beaucoup de respect pour Dev, pour son intelligence, son combat en faveur de la langue kreol, ses responsabilités au MMM et au sein de la GWF. Ce n’est pas pour rien qu’il a été investi à la partielle de Triolet/Pamplemousses. Je pense que la presse pro-MMM a pu faire accroire à une rivalité. Je crois que les deux hommes étaient opposés sur la question de l’importance de la prise en compte des communautés dans l’organisation des affaires de l’État. Cela dit, il est vrai que Dev était très critique à l’égard de ce qu’il appelait la bourgeoisie d’État et qu’il considérait comme une véritable caste profondément réactionnaire et jalouse de ses privilèges. Je me souviens d’une de ses rares rencontres avec Paul Bérenger quelques années de cela. Au retour, en voiture, il me dit : ‘To’nn trouve. Paul pa finn sanze.’ Mais l’histoire retiendra de Dev Virahsawmy comme le véritable pionnier de la langue kreol, un homme de théâtre, un écrivain prolifique en kreol, bref un homme de culture comme on n’en voit peut-être plus à Maurice », conclut notre interlocuteur. 

 

 

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