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Dérives à l’Islamic Cultural Centre Trust Fund - Hadj 2025 : la mécanique de la fraude

Fraudes documentées, complicités internes et revirement troublant du conseil d’administration : le rapport d’enquête sur le hadj 2025 expose les dérives d’un système en pleine décomposition au sein de l’Islamic Cultural Centre Trust Fund. Falsifications de formulaires, attribution illégale de visas et inertie hiérarchique ont terni le pèlerinage le plus sacré de l’islam. 

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C’est un document accablant. Le rapport du Committee of Inquiry sur l’organisation du hadj 2025 par l’Islamic Cultural Centre Trust Fund (ICCTF) dévoile les dessous d’un système à la dérive : falsifications, passe-droits, inertie hiérarchique et silences complices. Les enquêteurs y dressent un constat sans appel : « des indications claires de pratiques irrégulières et de cas de fraude » ont marqué le pèlerinage 2025. 

Le rapport décrit une institution minée par des failles structurelles et un laxisme devenu chronique. « Il n’existait aucune répartition claire des fonctions et des responsabilités du personnel du ICCTF en ce qui concerne l’enregistrement, la sélection et le traitement des demandes de visa », lit-on dans le résumé exécutif.

Le système d’enregistrement, vieux de 15 ans, reposait sur Microsoft Access 2007, sans mot de passe, sans sauvegarde externe et sans piste d’audit. « Les formulaires d’enregistrement et de confirmation pouvaient être modifiés sans traçabilité », souligne le comité.

C’est à travers ces brèches qu’un petit réseau a pu détourner des numéros d’enregistrement, créer des dossiers fictifs et attribuer des visas à des personnes non éligibles — souvent des proches ou des pèlerins déjà partis par le passé.

Comment la fraude s’est opérée

Les enquêteurs ont établi un schéma quasi systématique de falsification. Des formulaires existants ont été récupérés, copiés, puis attribués à d’autres candidats dont les noms ne figuraient pas dans la base officielle. Des numéros valides ont été remplacés par d’autres appartenant à d’anciens pèlerins, et des signatures ont été contrefaites. « Des formulaires d’inscription fictifs ont été créés et attribués à des personnes déjà parties en pèlerinage. Les signatures sur les formulaires ne correspondaient ni aux passeports ni aux cartes d’identité des pèlerins. » Dans plusieurs cas, les fraudeurs ont même réutilisé les numéros de 2013 et 2014, créant l’illusion de dossiers authentiques. 

Le rapport consacre de longs passages à la responsabilité du directeur de l’ICCTF, Abdool Azize Owasil, décrit comme le maillon défaillant de la chaîne de supervision. « Le directeur a été informé des irrégularités dès le 26 avril 2025. Cependant, aucune action n’a été initiée. »

Lors de la réunion du conseil d’administration du 5 mai 2025, alors que les cas de fraude étaient connus, il est resté silencieux.  

Le comité d’enquête estime qu’il a omis d’alerter le Board, toléré les manœuvres internes et manqué à son devoir de contrôle.

« La responsabilité de vérifier les paiements du Tannazul incombe au directeur, puisqu’il est le seul à avoir accès au compte en devises. »

Plus grave encore : le directeur a admis avoir autorisé des transferts de Tannazul entre pèlerins, une pratique expressément interdite.

« Le directeur a reconnu que des transferts de Tannazul ont été effectués entre hadjis relevant de différents opérateurs. »

Le rôle trouble du Hadj Programme Officer

À ses côtés, le Hadj Programme Officer, M. Boodhoo, est directement mis en cause pour manipulation matérielle des documents. Selon les enquêteurs, les cartes de confirmation frauduleuses ont été imprimées dans son format habituel, différent de celui utilisé par son collègue. « Les signatures sur les formulaires ressemblent à celles de M. Boodhoo, ce qui a été confirmé lors de la vérification avec ses formulaires d’heures supplémentaires. »

Le comité recommande une expertise graphologique pour confirmer les soupçons, mais considère déjà la similarité comme « hautement suspecte ».

Le revirement du Board : la faute collective

C’est sans doute l’épisode le plus consternant du rapport. Le Board de l’ICCTF, instance suprême censée garantir l’intégrité du processus, a lui-même validé des visas frauduleux après avoir d’abord décidé leur annulation.

Tout commence le 5 mai 2025, quand le Conseil, alerté des irrégularités, suspend cinq visas obtenus par des moyens douteux. Mais une semaine plus tard, lors de la réunion du 13 mai 2025, le même Conseil revient sur sa décision. « Lors de la réunion du 13 mai, le Board a décidé, à la majorité, de maintenir les cinq visas », note le rapport.

Ce revirement, considéré par le comité comme une ingérence grave, marque le point de bascule du scandale. « Cette décision constitue un manquement grave à la responsabilité du Board et un signal d’ingérence dans un processus administratif déjà compromis. »

Les enquêteurs soupçonnent des pressions externes et des influences indélicates ayant conduit certains membres à changer de position. Deux membres, Feizal Dil Hossain et Farook Barahim, ont aussitôt démissionné. « Les irrégularités constatées confirment les soupçons soulevés par certains membres du Conseil qui avaient réclamé des sanctions dès les premiers signalements. »
Ce revirement scelle, pour le Comité, la complicité morale et institutionnelle du conseil d’administration. « Le comportement du Board démontre un manquement collectif à son devoir de vigilance et une tolérance injustifiée à des pratiques contraires à la probité publique. »

Des finances sans contrôle, des paiements sans suivi

Le rapport soulève également un aspect financier préoccupant : plusieurs pèlerins ont obtenu leur visa sans avoir payé le Tannazul, les frais destinés au transport interne en Arabie saoudite. « Aucun paiement de Tannazul n’a été effectué par les cinq pèlerins concernés. » Le compte en devises de l’ICCTF à la State Bank of Mauritius, exclusivement géré par le directeur, n’a fait l’objet d’aucune vérification externe. « Aucun mécanisme n’a été prévu pour vérifier que les montants reçus correspondaient bien aux versements effectués par les pèlerins. »

Les enquêteurs y voient une négligence grave, voire une possible dissimulation de traces comptables.

Trois employés suspendus

Les premières retombées de la publication du rapport ne se sont pas fait attendre. Vendredi, trois employés de l’Islamic Cultural Centre ont été suspendus, en attendant leur comparution devant un comité disciplinaire. Il s’agit du directeur, Abdool Azize Owasil, du Hajj Programme Officer, Mohammad Ally E. Moortooza Boodhoo, ainsi que du chauffeur, Riad Sherif Toofany.

L'image de l'ICC ternie 

Les dénonciations d’irrégularités lors du Hajj 2025 se poursuivent. Deux membres démissionnaires du Board de l’Islamic Cultural Centre (ICC), Farouk Barahim et Feizal Dil Hossain, les protagonistes des dénonciations initiales de ce dossier, annoncent qu’ils ne comptent pas se satisfaire du rapport d’enquête récemment rendu public. Ils prévoient de saisir la Financial Crimes Commission (FCC) pour que la lumière soit faite sur le rôle de certains membres du Board dans la validation de visas irrégulièrement octroyés à cinq pèlerins.

« Ce sera un half-cooked cake si nous nous contentons de ce rapport », déclarent-ils au Défi-Plus. « Nous irons jusqu’au fond de l’affaire. Ce ne sont pas seulement des employés qui sont coupables de ce scandale, mais aussi les sept membres du Board qui ont voté pour renverser une décision légitime. »

Réunion urgente

Les deux ex-membres ne mâchent pas leurs mots. Selon eux, la réunion convoquée en urgence pour revenir sur la décision d’annuler les visas suspects constitue le cœur du problème.

« La FCC devra interroger le chairman du Board, Shamad Ayoob Saab, pour savoir pourquoi il a tenu à renverser une décision prise la veille. Quels étaient ses motifs ? A-t-il agi de sa propre initiative ou sur ordre d’un ministre ? Dans tous les cas, il semble être dans de beaux draps », affirment-ils.

Les deux hommes exigent que la chaîne de responsabilité soit clairement établie, y compris au niveau politique. « Il est trop facile de pointer du doigt quelques employés. Les véritables responsables sont ceux qui ont validé la tricherie en connaissance de cause. »

Intégrité

Farouk Barahim et Feizal Dil Hossain estiment que le rapport du Committee of Inquiry confirme leurs alertes répétées, longtemps ignorées. « Dès notre nomination, nous avons dit que notre mission était de garantir que l’octroi des visas du Hajj se fasse avec intégrité. Malheureusement, certains membres du Board nous ont perçus comme des perturbateurs », racontent-ils.

Ils avancent qu’une cabale a été orchestrée contre eux : « Certains sont allés jusqu’à écrire au ministre des Arts et du Patrimoine culturel, avec copie au Premier ministre et au Premier ministre adjoint, pour se plaindre de nous. Parce que nous refusons de fermer les yeux. »

« Nous avons peut-être quitté le Board, mais nos noms resteront dans l’histoire comme ceux qui se sont levés contre la fraude, la corruption et l’injustice dans l’organisation du Hajj. »

Les deux dénonciateurs rappellent qu’ils avaient, dès le départ, alerté les autorités sur les risques de dérives administratives au sein de l’ICC. « Nous avions demandé la révocation du directeur et du Hajj Programme Officer, mais ni le ministre Shakeel Mohamed ni le Board ne nous ont écoutés. Aujourd’hui, on en voit le triste résultat. »

Pour eux, l’affaire du Hajj 2025 doit servir de leçon à toute la communauté. « Si, depuis le début, tout le monde avait fait de la transparence et de la probité un objectif commun, l’image de l’ICC ne serait pas aujourd’hui ternie. »

Et de conclure : « La leçon est simple : il faut œuvrer avec conviction dans le droit chemin, sans jamais courber l’échine devant l’injustice. »

Fareed Jaunbocus : « Une faillite totale du Board de l’ICC »

Fareed« Ce rapport est une preuve irréfutable d’incompétence et de l’amateurisme total des membres du board et du staff de l’ICC. Plus ça change, plus c’est la même chose… Les nouveaux membres ont reproduit les vieilles mauvaises pratiques », explique Fareed Jaunbocus, Chief Executive Officer de Strategos Ltd, une firme spécialisée dans la stratégie institutionnelle et le rebranding.

Cet ancien membre du board du Islamic Cultural Centre (ICC) n’y va pas par quatre chemins.  Pour lui, l’institution a non seulement failli à sa mission, mais a également terni l’image de toute une communauté. « Ce qui en ressort, c’est une perte de réputation pour l’ICC et, par ricochet, une très mauvaise image projetée sur la communauté musulmane », déplore-t-il.

Pour lui, le rapport met en lumière un échec structurel total : absence de plan d’action, manque de procédures internes, aucun système de suivi ou d’évaluation. « Le board est le premier responsable de cette situation. C’est un échec total. Aucune stratégie, aucun contrôle, aucune reddition de comptes. C’est le même laisser-aller », dit-il.

Il souligne que les nouveaux membres du Board ne peuvent en aucun cas se dédouaner sous prétexte qu’ils l’ont intégré en cours de route des préparatifs du hadj 2025 : « Ils savaient pertinemment qu’il y avait des passe-droits et de la tricherie. Ces faits ont été évoqués lors des réunions. On ne peut pas prétendre l’ignorer. Ils l’ont tout bonnement avalisé », fait-il ressortir.

Un board motivé par l’efficacité, pas la politique

Fareed Jaunbocus s’interroge sur la manière dont certaines décisions internes ont été prises : « Comment se fait-il que la majorité des membres aient accepté de valider la corruption rejetée la veille ? Pourquoi le board a-t-il renversé le lendemain une décision qui annulait justement des visas entachés de fraude ? ». Il pointe du doigt un épisode qu’il juge symptomatique du dysfonctionnement institutionnel : « Qui est le responsable d’avoir convoqué en urgence une réunion pour valider la tricherie ? La FCC doit impérativement se saisir de ce cas ».

Il estime que le gouvernement ne doit pas s’arrêter à la transmission du rapport à la police. Il faut aller plus loin. « Le gouvernement doit révoquer ce board complice de la tricherie. Il faut recomposer le conseil avec des professionnels compétents, intègres et non politisés », ajoute notre interlocuteur. 

Il appelle à une refondation complète de la gouvernance du Centre : « L’ICC doit être dirigé par des gens qui sont motivés par l’efficience, et non pas par des motifs politiques. L’ICC a besoin d’hommes capables de redresser la barre et d’élaborer des stratégies à la hauteur d’une institution moderne. Elle doit retrouver une gestion efficace, fondée sur les principes de bonne gouvernance, afin de regagner ses lettres de noblesse ».

Dr Hassam Sakibe Coowar :  « Mettre sur pied une Mauritius Hadj Commission »

Dr Hassam Sakibe CoowarPour le Dr Hassam Sakibe Coowar, observateur avisé des affaires religieuses et sociales, le rapport d’enquête sur le hadj 2025 n’est pas seulement le récit d’une fraude. C’est aussi la preuve vivante d’un système qui s’est effondré faute de compétence, d’intégrité et d’indépendance. Dans une interview accordée à Défi-Plus, il déclare d’un ton indigné : « Ce rapport est le résultat direct d’un board composé de béni-oui-oui et de marionnettes politiques ».

Selon lui, l’origine du scandale remonte à une erreur structurelle : la politisation totale du Centre Culturel Islamique : « On a archi-répété que la vocation primordiale du Centre Culturel Islamique de Maurice n’est pas d’organiser le pèlerinage annuel du hadj. Depuis belle lurette, on crie aux injustices et aux magouilles perpétrées par ceux qui dirigent cette haute instance ».

Pour le Dr Coowar, le mal est profond et systémique : « On a trop politisé la nomination des chatwas du gouvernement en place. Sous tous les gouvernements, ce sont des nominés politiques qui font la pluie et le beau temps tout en croyant qu’ils sont super protégés par le pouvoir. Cette culture d’allégeance aveugle a ouvert la voie à des abus graves et à un effondrement moral. Ce rapport illustre ce qui arrive quand les institutions religieuses deviennent des terrains d’expérimentation politique. Des 'yes men' ont remplacé les véritables serviteurs de la communauté », ajoute-t-il.

Il va plus loin en pointant la responsabilité politique : « Tout cela se passe sous le régime de l’Alliance du Changement. N’est-ce pas un mauvais départ pour le ministre Shakeel Mohamed, en charge du dossier hadj ? C’est tout le board, avec son personnel impliqué, qui mérite un procès en bonne et due forme ».

Son appel est sans ambiguïté : il faut rompre avec la logique de récompenses politiques et de loyautés aveugles. Il plaide pour une refondation profonde du système : « Le hadj doit être retiré des fonctions principales de l’ICC.  Il faut mettre sur pied au plus vite une Mauritius Hadj Commission avec des sièges attribués à des Ulamahs, à des musulmans intègres, à des représentants des grandes sociétés islamiques et à des personnes compétentes ayant une expérience réelle dans l’organisation du hadj ».

Pr Khalil Elahee : « Mettre sur pied une équipe technique temporaire »

professeur_khalil_elaheeLe Professeur Khalil Elahee, universitaire et observateur reconnu des questions institutionnelles, plaide pour une approche transitoire, rationnelle et inclusive. Selon lui, il ne sert à rien de précipiter la nomination d’un nouveau conseil d’administration tant que les fondements mêmes du Islamic Cultural Centre (ICC) n’ont pas été revus.

« Notre humble proposition, sans engager personne, est de mettre sur pied une équipe technique temporaire composée de fonctionnaires pour superviser les affaires courantes de l’ICC. Il s’agirait simplement d’assurer la continuité des activités usuelles liées au prochain hadj, en attendant une refonte complète de l’institution », explique-t-il.

Selon lui, le moment est venu de repenser en profondeur la mission et la gouvernance du centre. « Puisque le hadj est dans neuf mois, il serait raisonnable de consacrer ce temps à un exercice national, au sein de la communauté musulmane, mais pas exclusivement, pour définir la nouvelle mission de l’ICC ».

Il propose d’en faire un processus participatif fondé sur le dialogue, la vision partagée et la transparence : « À la lumière d’une vision commune, il sera possible d’identifier les priorités les plus pertinentes et d’élaborer une structure consensuelle. Une fois pour toutes, il faut clarifier le rôle de l’ICC par rapport au hadj et à la culture ».

Cette refonte, estime-t-il, devrait aboutir à un nouveau projet de loi, donnant naissance à un ICC 2.0, plus moderne, plus cohérent et débarrassé des controverses à répétition. « Plus de onze mois se sont écoulés depuis le changement de gouvernement et la tenue du hadj. Il est désormais temps de remettre les compteurs à zéro, voire de réinventer l’ICC, avec calme, respect mutuel et dans l’intérêt supérieur du pays », ajoute-t-il.

Mettre fin aux polémiques récurrentes

Le professeur Elahee observe que la perception populaire de l’ICC demeure floue : « Si vous demandez autour de vous, la plupart répondront que le CCI s’occupe du hadj. Or, ce terme confond tout : organisation, prise en charge, réglementation, coordination, supervision et préparation. Ce n’est pas clair ».

Il rappelle que ce débat n’est pas nouveau : « Ce constat a déjà été formulé à maintes reprises, y compris dans un rapport soumis au Premier ministre actuel en 2012. Il faut désormais clarifier ce que dit la loi et ce qu’attend réellement la population du CCI ».

Selon lui, les controverses cycliques autour du hadj et de l’ICC nuisent gravement à la sérénité qui devrait régner avant et après le pèlerinage. « Année après année, les polémiques ne cessent jamais, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Cela est grave, car la confiance et la paix d’esprit, si importantes pour les pèlerins, disparaissent », indique-t-il.

Il appelle à agir dès maintenant pour restaurer la clarté et l’unité : « Si nous voulons que cela change, il ne faut pas attendre la veille du départ des pèlerins pour définir les responsabilités. Le travail commence dès maintenant, sans tarder ».


 

 

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