Interview

Davin Appanah, Head of Quantitative Research, Bean Tree Capital : «La croissance est trop basse par rapport à l’endettement public»

Le niveau de la dette publique a été l’un des deux thèmes de l’émission Au Cœur de l’Info sur Radio Plus, samedi 3 juin. Répondant aux questions de Nawaz Noorbux et de Jugdish Joypaul, le Head of Quantitative Research affirme que c’est l’État qui garantit la dette des entités parapubliques. Le remboursement ne posera aucun problème si le pays est engagé dans une dynamique de croissance élevée.

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La dette publique est passée à Rs 245 milliards. Est-ce inquiétant ?
Affirmer que le niveau de la dette est inquiétant ou pas reste subjectif. Quand on compare le montant avec le produit intérieur brut (PIB) du pays, cela équivaut à 60-65%. Pour un petit pays comme Maurice, Rs 245 milliards commencent à faire beaucoup.

Est-ce que le montant inclut les emprunts contractés par les organismes parapublics?
Oui. C’est la dette de l’État. On y retrouve deux composantes: dette externe et dette interne. La dette externe regroupe les prêts accordés par des investisseurs étrangers. Sur le plan interne, ce sont des investisseurs mauriciens tels que les compagnies d’assurances et les banques, entre autres. La dette locale est largement supérieure à celle contractée à l’étranger. C’est une bonne nouvelle.

«La dette locale est largement supérieure à celle contractée à l’étranger. C’est une bonne nouvelle»

Il est question très souvent de ne pas dépasser la ligne rouge énoncée par le Fonds monétaire international (FMI). De quelle ligne rouge parle-t-on? Qu’est-ce qui pourrait arriver si on la franchit ?
Quand on parle de ligne rouge, c’est quand la dette est trop élevée ou trop faible. Elle a trait à la soutenabilité de la dette. Est-ce qu’on pourra financer la charge de la dette ? C’est ce que le FMI prend en considération. C’est très important, car il inclut des indicateurs comme la croissance économique, le taux d’intérêt, dans quelle devise la dette est libellée. À Maurice, la majorité est en roupies. Ce sont des facteurs corrects. Par exemple, si la dette mauricienne aurait été majoritairement en dollars, on aurait alors un gros problème parce que les revenus sont en roupies. En règle générale, une dette supérieure à 65% du PIB pour une petite économie comme Maurice commence à devenir problématique surtout avec une croissance économique entre 3,5% et 4%. Avec un tel taux, on ne parviendra pas à financer à la fois le déficit (budgétaire) et les charges associées à la dette.

Maurice a obtenu une ligne de crédit de 500 millions de dollars (Rs 18 milliards) de l’Inde. Pravind Jugnauth dit que cela n’aura pas une grande incidence sur la dette publique parce qu’on a trouvé un mécanisme. La SBM a créé une entité qui prendra de l’argent de l’Ex-Im Bank (de l’Inde) et en prêtera à des petites compagnies qui seront mises en place et qui seront annoncées dans le Budget. Elles gèreront les projets qui seront entrepris à l’avenir. Est-ce que ce que dit le Premier ministre est dans les règles?

C’est exact en terme technique. Ce que le Premier ministre, ses techniciens ou ce que les Indiens ont proposé est assez classique dans le sens qu’ils veulent créer des Special Purpose Vehicles (SPV). Ce sont des compagnies complètement indépendantes de l’État. Et c’est dans ces compagnies qu’on logera les prêts. Pourquoi ? La raison est que les prêts ne figureront pas dans le bilan du gouvernement et n’augmentera pas la dette totale. Quand le FMI prendra en considération ces dettes dans ses statistiques, les rapports de force seront beaucoup moins importants si on demandera un autre prêt. La note de Maurice relative à ses dettes en général pourrait être rabaissée si on ajoute ces 500 millions de dollars et que la croissance économique n’augmente pas.

Ce qu’ils affirment relève de la technicité. C’est vrai qu’avec un SPV ils pourront concrétiser ce qu’ils disent. Mais on aura d’autres questions: la qualité des projets, leur rentabilité, le financement de la dette de ces entité nouvelles, si les revenus seront en roupies et le remboursement en dollars - déjà, il existe une inadéquation – le taux d’intérêt en vigueur, les contours de cette dette sont connus ou pas, les taux sont flottants ou fixes…

Le ministre des Finances a dit que c’est un taux fixe de 1,8%...
Mais nous sommes dans un environnement financier où les taux d’intérêts aux États-Unis sont en hausse. Si les taux montent, je crois qu’il y a des clauses de négociations sur le quantum. C’est le cas en général. Et aux États-Unis, le taux d’intérêt grimpera cette année.

Est-ce que Paul Bérenger, le leader du Mouvement militant mauricien, a raison de dire qu’un prêt est un prêt et ce sont les contribuables qui devront rembourser ?
Au final, il y a la garantie de l’État sur tout cela. Si les projets s’avèrent être de mauvais investissements, leur rentabilité n’est pas suffisamment élevée pour financer les charges de la dette, il incombera à l’État de rembourser. Ce sera à travers les impôts, donc par le biais du portefeuille des Mauriciens.

Dans une situation avec un tel niveau d’endettement, quelle est la marge de manœuvre du ministre des Finances dans son prochain Budget?
Il dispose d’une marge de manœuvre très limitée dans le sens que c’est la croissance économique qui pose problème. Elle est trop basse par rapport à notre niveau d’endettement. C’est toujours pareil. Il est obligé de réduire la dépense publique. On devrait revoir l’État Providence, comment on pourrait économiser sur certains aspects, et augmenter les impôts sur des poches, et créer des infrastructures pour générer de nouveaux revenus. Il n’y a pas milles chemins : avoir beaucoup d’investissements du privé. Maurice n’est pas une puissance exportatrice. Les exportations sont très élastiques. Nous n’avons pas encore grimpé la chaîne des valeurs pour avoir un rapport de force et devenir une puissance exportatrice. Donc, tous ces sujets reliés à la croissance économique  joueront sur la dynamique de la dette.

Quel est le montant que le gouvernement utilise pour rembourser la dette chaque année?
C’est aux alentours de 4,2 % du PIB. Le taux d’intérêt est relativement bas à Maurice. L’avantage dont Maurice dispose, et je le fais bien ressortir, la majorité des détenteurs de la dette locale sont des Mauriciens. Une grande partie est en roupies. Avec les 500 millions de dollars, la donne changera quelque peu. En cas de  catastrophe, l’État peut décider de ne pas payer les investisseurs mauriciens (…) Si la dette aurait été en dollars ou en euros, dès que l’État ne rembourse pas, on serait exclu des marchés financiers. FMI ferait alors son entrée dans le pays.

Qu’est-ce qui se passe si on ne rembourse pas ces dettes ?
Cela dépend. Qui sont ceux détenant la dette? Si ce sont les Mauriciens, il y a une façon très simple. On imprime les billets (de banque) et on rembourse ces entités. À ce moment, on aura de l’inflation. Ce sera un mauvais signal. L’autre option est que l’État dit qu’il ne paiera pas. Mais c’est un précédent très négatif.

Souvent on entend les politiciens affirmer qu’on engage les générations futures avec ces dettes qu’on contracte. Est-ce vraiment inquiétant ou est-ce de la démagogie politique ?
C’est vrai. Il y a une différence entre un prêt de l’État et celui d’un particulier. Un Etat lève des fonds, remboursable dans deux ans. Passé ces deux années, afin de rembourser, l’État contracte une autre dette. Un particulier ne peut le faire. Le mécanisme permettant à l’État de reconduire ses prêts fait que la dette passe d’une génération à l’autre. Le plus important dans tout cela est le taux de croissance et le taux d’intérêt sur ces prêts et non pas le montant de la dette. Si on a un taux de croissance beaucoup plus élevé que le taux d’intérêt, on n’a aucun souci à se faire sur le remboursement. Si le taux d’intérêt devient de moins en moins important et le taux intérêt est en hausse, la dynamique de la dette et sa solvabilité deviendra un problème. La dette ira d’une génération à l’autre.

 

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