Interview

Daniel Raymond, coordinateur de la sécurité routière : «Les chauffeurs mauriciens ne savent pas conduire»

Daniel Raymond

D’origine réunionnaise, Daniel Raymond, qui coordonne la sécurité sur nos routes, tient des propos sévères envers les automobilistes. Pour le conseiller du ministère des Infrastructures publiques, les conducteurs ne roulent que pour eux. Les autres ne sont que le cadet de leurs soucis.

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Comparativement à 2016, on dénombre 585 cas d’accidents de la route de plus entre janvier et juin 2017. Comment expliquer cette augmentation de 4 % ?
Les 585 cas de plus ne veulent rien dire, ce qui nous importe est la réduction des accidents corporels et non matériels. Les chiffres démontrent qu’on a un problème au niveau des deux-roues motorisés. On note également qu’il y a plus de cyclistes accidentés qu’en 2016 et de piétons accidentés. Ces chiffres disent qu’on n’arrive pas à maîtriser les aspects des accidents. Sur les trois dernières années, avec l'agrandissement du parc automobile et l'accroissemet de la population, le nombre de victimes est resté toutefois stable, mais devrait diminuer, comme ailleurs.

Que faire ?
Le ministère a adopté une stratégie en 10 points, dont les aspects primordiaux sont d'abord l'analyse des accidents. Si on a les données quantitatives, on ne connaît pas le comment. C’est pour cela qu’on a formé 30 analystes qui démarrent incessamment leur enquête systémique sur l’état dégradé du système routier. Il faut ensuite rapprocher l’Université de Maurice avec celle du Queensland d’Australie.

Y a-t-il une similitude entre nos deux pays à ce sujet ?
Ils ont l’expertise, sauf qu’ici les infrastructures demandent à être améliorées pour supprimer les zones à risque. Soit déterminer comment effectuer un déplacement sécurisé en faisant de la place aux vélos et aux  piétons et en respectant la vitesse. Les zigzags sur les routes vont cesser. Les chauffeurs commettent trop d’infractions et d’imprudence.

Comment exiger à un conducteur de ne plus zigzaguer, surtout s’il est quelque peu grisé ?
Toutes les infractions ont une seule raison : obtenir un gain immédiat en temps, alors on fait ce qu’on veut. Souvent, un automobiliste prend un risque énorme en dépassant pour gagner une place dans le trafic. Il faut y mettre un frein en agissant fermement. Pour ce qui est de l’alcool au volant, le conducteur estime que, comme il n’a jamais été confronté aux contrôles policiers, il peut récidiver et commet ainsi une infraction en connaissance de cause.

Restons avec les deux-roues. Y a-t-il un manque d’expérience ou un excès de zèle de leur part, oubliant que excess thrills but kills…
Savez-vous que sur les 200  000 motocyclistes à Maurice, 170 000 roulent avec un learner ? On les autorise à conduire sans leur apprendre les rudiments de la tenue sur route.

Le problème ne trouverait-il pas ses origines dans l’âge trop jeune pour l’octroi d’un permis ?
L’âge ne veut pas dire compétence, passer un test à deux-roues sur 100 mètres ne veut rien dire. Il n’y a pas de manœuvres en tant que tel, pas de test avec un passager en croupe, d’où les nombreux morts dans cette catégorie de conducteurs.

Il ne faut pas non plus négliger la mixité sur nos routes entre les gros véhicules et les petits deux-roues…
Le vivre ensemble est une culture. L’automobiliste n’aime pas les piétons, la preuve : 40 piétons ont trouvé la mort sur des passages cloutés, selon les récentes statistiques. Neuf fois sur dix ces accidents mortels sont dus à l’excès de vitesse en ville. Quant aux deux-roues, ils surfent en ville selon leur bon vouloir alors que les automobilistes n’ont pas cette liberté mais se rattrapent sur les autoroutes.

Les Mauriciens sont-ils des chauffeurs ou des chauffards ?
Les Mauriciens ne sont pas des chauffards, mais des chauffeurs qui ne savent pas conduire. Un 4x4 et un camion ne se conduisent pas comme une voiture, d’où le fait que les piétons deviennent une gêne pour eux, car ils détestent ralentir. Alors qu’en ville, priorité est aux piétons et aux cyclistes pas aux véhicules en tous genres. Les chauffeurs mauriciens sont des égoïstes.

Pour éviter des morts, il faut une hiérarchisation des voies. »

Se comporter comme les automobilistes nordiques relèverait-il de l’utopie ?
À Maurice, les chauffeurs privilégient un individualisme forcené. Ils ne cèdent jamais le passage, contrairement aux autres pays, comme La Réinion.

Pourtant, les autorités sont venues de l’avant avec des mesures drastiques qui auraient dû freiner certaines ardeurs désobligeantes…
Il y a la cellule de dégrisement pour les chauffeurs en état d’ébriété, pourtant comment expliquer que le nombre de contraventions augmente ? Les chauffeurs dépassent, même dans une situation catastrophique, jouant à la roulette russe. Il y a toute une panoplie d’autres mesures à mettre en place, comme la formation, l’éducation, la connaissance des lois et la communication.

Pourquoi ne pas adopter le remède de cheval qui vise à choquer à travers des images fortes ?
Le premier réflexe des automobilistes est le refus de ce genre d’images fortes. Ce qu’il faut, c’est mettre la pression sociale pour que le message passe mieux.

Qu’en est-il de l’absence de fly overs pour piétons dans des endroits à risque et fortement fréquentés, comme les arrêts de GRNO, alors qu’à Cité Bois-Marchand, il en existe un qui relie les morts de deux cimetières ?
À Maurice, la réflexion sur l’itinéraire pour piétons n’existe pas. Pour éviter des morts, il faut une hiérarchisation des voies. On y travaille.

Les plus téméraires postulent que les passages pour piétons ralentissent le flux des véhicules. Comment trouver le juste milieu ?
Il faut se mettre une chose en tête : le chauffeur est en voiture mais il faut qu’il sache qu’il n’est pas seul au monde. Les piétons ont priorité sur les véhicules en ville, point barre.

Vous disiez que passer son permis de moto sur 100 mètres ne fait pas du détenteur du permis un excellent conducteur. Ne serait-il pas mieux de donner un permis provisoire de trois ans aux jeunes de 18 ans ?
Le permis probatoire, trois ans ou plus, est pour bientôt. Roulez avec la mention assez bien ne veut pas dire compétence.

Et le permis à vie, ne faudrait-il pas revoir ce concept ?
Pour les permis professionnels, les détenteurs doivent le repasser chaque cinq ans. Le permis à points n’est pas encore entré en vigueur, sauf que la cour peut suspendre un permis pour une période déterminée en cas d’accident où il est prouvé qu’il y a eu négligence de la part du chauffeur impliqué. Il y a aussi l’aptitude médicale qui est subordonnée à l’avis du médecin qui décrète si oui ou non le chauffeur est apte à prendre le volant. Pour ce qui est de repasser son permis chaque 15 ans, aucun pays ne l'a fait jusqu’à présent.

Il y a un nouveau concept introduit récemment à Maurice qui est de responsabiliser des employés d’entreprises à travers une charte. Où en est-on ?
Actuellement, 26 entreprises et un total de 130 000 employés ont signé cette charte de ne pas faire d’accidents, avec un zéro tolérance obligatoire pour le respect des piétons qui ont priorité. Il y a trop d’accidents qui ont des effets, tant au niveau social que financier. Chaque année, Maurice dénombre 500 personnes qui deviennent des handicapées permanentes. C’est trop.

 

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