
Créée pour coordonner la lutte contre la drogue, la NADC reste largement inactive, selon le constat des acteurs de terrain et des ONG. Entre lenteurs bureaucratiques et manque de transparence, ils s’inquiètent pour l’efficacité du dispositif.
Publicité
Créée il y a cinq mois pour coordonner la riposte à une crise sanitaire et sociale sans précédent, la National Agency for Drug Control (NADC) peine à se concrétiser. Entre opacité administrative et absence de résultats tangibles, les acteurs de terrain dénoncent une déconnexion alarmante.
« Je ne vois, hélas, aucune action concrète sur le terrain. J’ai entendu dire qu’il y a des réunions. Sans plus », confie l’addictologue Kunal Naik, résumant le sentiment partagé par une communauté d’experts et de travailleurs sociaux qui attendaient beaucoup de cette nouvelle institution. Depuis cinq mois, ils guettent le moindre signe d’un changement. En vain.
L’agence, dotée d’un cadre législatif ambitieux et censée incarner la réponse coordonnée de l’État mauricien face au fléau de la drogue, reste invisible. Son président, Sam Lauthan, assure pourtant que tout est mis en œuvre pour combattre la drogue « à la racine » et renforcer l’efficacité de la lutte nationale. Mais depuis sa structuration officielle, le décalage entre les promesses et la réalité du terrain interroge.
Le malaise ne tient pas seulement à l’absence d’actions visibles. C’est surtout le silence de l’institution qui inquiète. Aucune ligne directrice n’a été communiquée aux ONG œuvrant depuis des années dans la prévention et la réhabilitation. « Il n’y a aucune réunion avec les ONG afin d’expliquer les grands axes de la lutte contre la drogue, ou encore les mécanismes qui seront employés. L’opacité est dérangeante », dénonce Kunal Naik.
Cette absence de transparence mine, selon lui, la crédibilité de l’organisme avant même qu’il n’ait commencé à fonctionner. « Je m’interroge sur le manque de clarté et d’accountability. Je me demande comment un organisme peut fonctionner de manière efficace face à un dossier aussi brûlant que la drogue », s’inquiète l’addictologue.
Nicolas Ritter, figure respectée de la lutte contre le VIH/sida et fondateur de l’ONG PILS, partage ce constat. « Il est difficile de répondre à cette question car le volet opérationnel de la NADC n’est pas encore en marche. À ma connaissance, les sous-comités ne sont pas constitués et je n’ai aucune visibilité sur le calendrier avant que l’agence puisse jouer son rôle », explique-t-il. Pour Kunal Naik, cette incertitude crée « une attente stérile » qui « nourrit l’impatience » des acteurs engagés comme du grand public.
Des associations livrées à elles-mêmes
Sur le terrain, les conséquences de cette « paralysie » administrative se font durement sentir. En l’absence de coordination nationale, chaque association agit isolément, multipliant les initiatives sans vue d’ensemble ni mutualisation des ressources. « Ce n’est pas une question de bonne volonté, mais d’efficacité. Les associations sont livrées à elles-mêmes, et pendant ce temps, la situation s’aggrave », observe Danny Philippe, chargé de plaidoyer au sein de l’ONG DRIP.
Cette fragmentation intervient dans un contexte particulièrement préoccupant. Ally Lazer, président de l’Association des travailleurs sociaux de Maurice (ATSM), en témoigne avec amertume : « Chaque jour, je rencontre des parents désespérés dont les enfants sombrent dans l’enfer de la drogue. Je m’attendais à des changements, mais rien ne bouge. » Les trafics se poursuivent sans entrave. « La drogue continue de se vendre comme des petits pains », lance-t-il, ajoutant que les promesses gouvernementales de lutte efficace contre les réseaux et de développement de la réhabilitation « restent lettre morte ».
S’il ne remet pas en cause le principe même de la NADC, il dénonce néanmoins l’inadéquation entre l’urgence de la situation et les lenteurs bureaucratiques. « Nous ne sommes pas contre la NADC. Mais tout tarde, alors que le pays fait face à une véritable catastrophe. La dépendance progresse, les familles s’effondrent. Il faut agir au plus vite », martèle-t-il.
Pour lui, le blocage se situe précisément au niveau de l’organisme censé coordonner les actions. « Cela fait environ cinq mois depuis que la NADC est sur les rails. Mais rien ne bouge vraiment. La situation est trop grave pour attendre », insiste-t-il.
Face à cette impasse, plusieurs voix réclament la mise en place de dispositifs accélérés. Danny Philippe plaide pour « instituer une unité d’urgence pour discuter et coordonner les efforts, jusqu’à ce que l’organisme atteigne enfin sa vitesse de croisière. Voire démarre réellement ! »
Kunal Naik rejoint ce diagnostic d’urgence et appelle à la création d’un « mécanisme d’urgence, une sorte de fast track, afin d’accélérer le processus de recrutement et de formation du personnel ». « Nous ne pouvons plus attendre. À quand la mise en opération complète de l’organisme et l’application du plan de travail ? » interroge l’addictologue.
Ally Lazer, pour sa part, lance une interpellation directe aux autorités : « Si la direction de la NADC a besoin de mes services, je suis en poste. » Un appel qui traduit à la fois l’exaspération et la disponibilité d’acteurs de terrain prêts à s’engager, à condition que l’institution sorte enfin de sa léthargie.
Repenser le modèle mauricien
Au-delà des questions d’organisation immédiate, certains experts voient dans cette période d’incertitude l’occasion d’une refonte plus profonde de l’approche mauricienne des addictions. Le Dr Siddick Maudarbocus, addictologue et directeur du centre Les Mariannes Wellness Sanctuary, plaide pour un changement radical de paradigme. « La lutte répressive a atteint ses limites », affirme cet expert en réhabilitation.
Sans nier la nécessité d’un contrôle aux frontières – « il faut un contrôle rigoureux, une gestion professionnelle et un monitoring solide, loin de toute corruption » -, il estime que la logique punitive devient contre-productive dès qu’il s’agit de traiter la consommation. « Nous devons apporter de la compassion, de l’humanité et de l’écoute », insiste-t-il. Selon lui, la répression, appliquée indistinctement, « détruit plus qu’elle ne répare », brisant des existences déjà fragilisées.
Le médecin voit dans la NADC un levier potentiel de transformation, à condition qu’elle mobilise l’ensemble des forces vives. « La NADC a toutes les facilités de fédérer toutes les organisations, ONG, forces vives et autres travailleurs sociaux qui œuvrent dans le domaine de la lutte contre la drogue. Il faut rassembler tous ces acteurs afin d’avoir une force importante de sorte à voir comment changer le paysage du pays en ce qui concerne le traitement des addictions ainsi que la dépénalisation du cannabis, entre autres », développe le Dr Maudarbocus.
Cette vision exige toutefois une volonté politique assumée. L’expert met en garde : « Sans leur implication, le combat contre la drogue restera largement théorique et inefficace », pointant la responsabilité des soixante députés élus dans les vingt circonscriptions du pays. Sa feuille de route est claire : s’appuyer sur la recherche scientifique, tirer les enseignements des expériences internationales et construire un système adapté aux réalités locales, où science et empathie remplaceraient les réflexes punitifs.
Nicolas Ritter, malgré son constat lucide sur l’état actuel de l’agence, partage cet optimisme sur le potentiel du cadre législatif. « Le NADC Act est un texte de loi porteur : il peut permettre à Maurice de casser les codes et de changer de paradigme dans la réponse aux addictions et à leurs conséquences », estime-t-il.
Entre l’ambition d’un texte de loi novateur et la réalité d’une institution encore fantomatique, la NADC se trouve à un moment charnière. Pour les acteurs de terrain, confrontés quotidiennement à la détresse des familles, le temps de la patience administrative est révolu. Reste à savoir si l’agence parviendra à transformer ses structures en actions concrètes, avant que sa crédibilité ne soit définitivement entamée.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !