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Crise à Madagascar : un système corrompu au bord de l’implosion

Selon Jocelyn Chan Low et Amédée Darga, la crise malgache met en lumière la mainmise d’une élite prédatrice sur les ressources.

Les observateurs et chercheurs s’accordent à dire que la crise malgache actuelle révèle un système de captation des ressources par une élite prédatrice. Sans réforme structurelle profonde, le cycle de révoltes continuera de se répéter.

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Pour l’historien Jocelyn Chan Low, Madagascar est « un pays à scandale » où se sont succédé de multiples affaires depuis l’indépendance. Le contraste est frappant : malgré d’immenses richesses naturelles, minières, agricoles et humaines, le revenu par habitant a chuté au fil des décennies. « C’est scandaleux ce qui s’est passé dans ce pays très riche en ressources », fait-il ressortir. Dans les années 1960, le niveau de vie malgache dépassait celui de Maurice et six décennies plus tard, les trajectoires se sont inversées.

Même constat du côté d’Amédée Darga, chercheur en questions socio-économiques et Managing Partner de Straconsult. « Tout le monde dit que c’est un pays extrêmement riche. Toutefois, les gouvernements successifs n’ont pas su le développer pour le bien-être de la population », déplore celui qui observe ce qui se passe dans la Grande Île depuis les années 1970.

Selon lui, la situation actuelle s’inscrit dans un cycle historique. « Ce phénomène se répète tous les 10 à 15 ans, surtout dans les zones urbaines », explique-t-il. La mauvaise gouvernance, la pauvreté, la défaillance des services publics, les coupures d’eau et d’électricité alimentent la colère des Malgaches. Ces derniers, longtemps patients, finissent par exploser lorsque la souffrance devient insupportable. « Aujourd’hui, c’est la jeune génération qui n’a plus la patience », observe-t-il.

Jocelyn Chan Low attribue cette dégringolade à une élite prédatrice, souvent binationale. « Ils extraient les ressources naturelles sans favoriser le développement. Ils veulent garder le monopole et empêchent l’implantation d’autres investisseurs », affirme-t-il.

Cette minorité contrôle les secteurs économiques et administratifs. Les divers gouvernements n’ont été que des façades politiques. « L’élite corrompt les politiciens, et le revenu par tête a diminué, alors que c’est un peuple intelligent », fait-il remarquer. 

Sur le plan géopolitique, il évoque l’ère du « capitalisme de la folie », où des puissances comme la France, la Russie et la Chine cherchent à capter les ressources qui s’épuisent. Madagascar attire les convoitises, car ses vastes terres agricoles prennent de la valeur dans un contexte mondial de raréfaction alimentaire liée au changement climatique. « Certains contrôlent le pays à distance à travers leurs pantins », avance-t-il.

Nécessité d’une refondation

Les deux observateurs s’accordent sur un point : seul un changement en profondeur du système permettra de sortir de cette impasse. « Il ne faut pas uniquement changer de dirigeants, mais le système lui-même », affirme Jocelyn Chan Low. Au cas contraire, la population continuera de s’appauvrir. 

Pour Amédée Darga, une véritable restructuration économique et sociale est nécessaire : « Il faut mettre l’économie au service du peuple, pas d’une élite. C’est ce type de révolution qui changera les choses ». Il cite l’exemple d’Ibrahim Traoré au Burkina Faso, qui a marqué son pays par des actions audacieuses. « Le gouvernement malgache doit se concentrer sur le développement économique pour que la population profite des richesses. Sinon, dans dix ans, les mêmes problèmes resurgiront », ajoute-t-il.

 « C’est un système qui ne peut pas continuer. Pour avancer, il faut changer d’homme et de système politique », indique Jocelyn Chan Low. Ce dernier prévient, toutefois, que la reconstruction prendra du temps, car le pays s’est profondément appauvri.

Quid de Maurice ?

Certains internautes mauriciens évoquent le risque de voir un jour un soulèvement semblable. Jocelyn Chan Low rappelle que ces révoltes trouvent toujours leur origine dans la corruption et la faillite des dirigeants. À Maurice, plusieurs facteurs limitent ce risque : un État providence solide et des institutions qui fonctionnent. « Quand quelqu’un est malade, il se fait soigner gratuitement à l’hôpital. Les enfants vont à l’école gratuitement. Les pensions et aides sociales servent de filet de sécurité qui empêche la population de tomber dans la désespérance », explique-t-il. De plus, la vie politique locale se déroule dans le respect de la Constitution. Quand un gouvernement est incompétent, il peut être rejeté dans les urnes.

Cependant, Amédée Darga estime que Maurice n’est pas à l’abri de telles révoltes. « Les Mauriciens ont pris l’habitude d’exprimer leur mécontentement à travers le vote, comme lors des élections de novembre 2024 », souligne-t-il. Mais il observe également une impatience croissante chez les jeunes : « Si les abus ne sont pas punis, un soulèvement, surtout de la jeunesse, est possible. Les Mauriciens en ont assez des dérives et veulent que justice soit faite ».

Cependant, contrairement à Madagascar ou au Népal, la jeunesse mauricienne n’est pas majoritaire : beaucoup quittent le pays. Jocelyn Chan Low note aussi un désintérêt croissant lié à la consommation de substances illicites. « Peut-être que cela éclatera un jour, mais je reste pessimiste », confie-t-il. Selon lui, la génération Z est composée de mouvements spontanés, sans programme défini, ce qui permet aux anciennes structures de perdurer.

L’affaire du jet privé : une bévue diplomatique

Concernant le jet privé qui a atterri à Maurice dans la nuit de samedi à dimanche, l’historien Jocelyn Chan Low estime que le Premier ministre par intérim, Paul Bérenger, « a parfaitement raison ». « C’est une bévue diplomatique d’avoir permis à cet avion de se poser à Maurice, ce qui risque de causer des problèmes au pays », dit-il. Deux passagers sont recherchés par la Gen Z pour des crimes présumés. « Maurice se retrouve entre deux feux. Même si l’avion manquait de carburant, les passagers n’auraient pas dû être autorisés à débarquer », ajoute-t-il.

Amédée Darga, de son côté, a préféré ne pas commenter, faute d’informations suffisantes sur l’affaire.

Maurice appelle au calme à Madagascar

Le ministre des Affaires étrangères, Dhananjay Ramful a reçu le lundi 13 octobre l’ambassadeur de Madagascar, S.E. Albert-Camille Vital. Les discussions ont porté sur les relations bilatérales et la situation actuelle dans la Grande Île.

Selon un communiqué, le gouvernement mauricien, qui suit de près l’évolution des événements, a réitéré son appel au calme et encourage la poursuite du processus de médiation entre les parties malgaches. L’ambassadeur Vital a pris note des préoccupations exprimées par Maurice.

 

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