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Covid-19 - Urgence dans les services hospitaliers : le personnel sous pression aiguë

L’hôpital Dr A.G. Jeetoo désigné comme plan B pour des patients nécessitant un apport d’oxygène.
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Au ministère de la Santé, on maintient que la situation est gérable. Pourtant, plusieurs mesures ont récemment été prises, qui tendent à démontrer l’urgence dans laquelle se trouve le service de santé public, dont la mobilisation du personnel actuellement en congé.

Le service est certes sous pression mais la situation reste gérable. C’est ce qu’affirme officiellement le ministère de la Santé. Sauf qu’une série de décisions prises ces derniers jours tendent à prouver le contraire…
La dernière en date, qui laisse penser que la pression sur le service de santé public va crescendo : la décision du ministère de rappeler les membres du personnel qui sont en « vacation Leaves ». Dans une circulaire interne intitulée « Health Personnel recalled to duty » émise le mardi 16 novembre, la Santé demande, en effet, au personnel hospitalier qui était en congé de reprendre le travail dans les plus brefs délais. Deux raisons sont avancées par la Senior Chief Executive signataire de la circulaire pour justifier ce rappel : « combattre la pandémie de Covid-19 » et « dû aux exigences du service ».

Quelques jours plus tôt, il y avait eu la désignation de l’hôpital Dr A.G. Jeetoo comme « plan B » au cas où le nouvel hôpital ENT n’arriverait plus à accueillir le nombre grandissant de patients de la Covid-19 nécessitant un apport d’oxygène. Dans une circulaire interne intitulée « Preparedness Plan for Jeetoo Hospital as next Covid Treatment center after ENT », à l’issue d’une réunion, le 2 novembre dernier, au siège du ministère de la Santé, il est indiqué que « (…) it was proposed that Jeetoo Hospital will be the plan B in case ENT hospital cannot cope with the increasing demands for Covid +ve patients requiring ventilation and High oxygen supply. The Oxygen production by Oxygen concentrators at ENT Hospital has already exceeded it capacity ». 

La circulaire parle également d’un plan d’action. Celui-ci consiste, entre autres, à reporter des interventions chirurgicales (« elective surgeries »), réaménager certaines salles, faciliter la décharge des patients et en admettre uniquement en cas de nécessité absolue. 

Enfin, dans certains hôpitaux régionaux, certains départements renforcent actuellement leurs effectifs afin d’être en mesure de répondre au nombre grandissant de patients. À titre d’exemple, des médecins ont été invités à faire part de leur intérêt à faire des heures supplémentaires. Sont concernés les créneaux suivants : 16 heures – 22 heures durant les jours de semaine ; de midi à 22 heures les samedis ; et de 8 heures à 22 heures les dimanches et jours fériés. 

Des médecins décrient le manque d’effectif

« We are surviving ». Tel est le sentiment d’un médecin basé dans un hôpital régional, qui témoigne sous le couvert de l’anonymat. Ses collègues et lui déplorent le manque de personnel. Posté dans un département qui accueille de nombreux patients par jour, le médecin indique que ses collègues se sont retrouvés à trois seulement, contre six habituellement. « Plusieurs parmi nous ont dû aller prêter main-forte dans la ‘flu clinic’. Cela car certains ont été testés positifs et sont en isolement chez eux », fait-il part. Résultat, dit-il, ses collègues et lui sont épuisés. « Parfwa manze pa gayn letan. »

Un autre médecin, posté, lui, ‘dan lasal’, abonde dans le même sens. Il raconte qu’il s’est retrouvé à faire des heures supplémentaires dans certains dispensaires qui opèrent jusqu’à 18 heures. « Pa pe gayn dokter pou fer sa shift la », précise-t-il.  

Une doctoresse, postée dans une ‘mediclinic’, relate que l’effectif a été divisé par quatre. « Au lieu de huit médecins habituellement, nous sommes désormais à deux ou un médecin seulement », soutient-elle. Elle déplore que certains de ses collègues aient été rappelés en renfort dans des hôpitaux, au détriment des dispensaires et ‘mediclinics’. « Il ne faut pas oublier que les ‘primary health care’ sont des maillons importants dans notre système de santé. ‘Pa kapav dezabiy pol pou abiy pier », lance-t-elle. 

Pour la doctoresse, il est clair que le système actuel est saturé. « Nous recevons parfois des patients positifs ou des ‘direct contacts’ qui normalement devaient être chez eux, en train de s’isoler. Certains viennent avec des détresses respiratoires. Sauf que dans les ‘mediclinics’, il n’y a pas le ‘set up’ approprié pour prendre en charge ces patients. Mais on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a. La situation n’est pas facile », soupire-t-elle.


Arjun Gaya, ambulancier.
Arjun Gaya, ambulancier.

Arjun Gaya : «Nous devons souvent composer avec des imprévus»

« Nous travaillons nuit et jour pour pouvoir faire face à la situation ». C’est ce qu’indique Arjun Gaya, porte-parole de la Ministry of Health Transport Workers Union (MoHTWU), syndicat qui regroupe des chauffeurs du SAMU et des ambulances. 

Notre interlocuteur, qui compte 15 années de service comme ambulancier, indique qu’actuellement, quelques chauffeurs manquent à l’appel. « Nous avons des collègues qui travaillent surtout dans les ambulances non médicalisées qui sont en isolation à la maison, ayant été testés positifs à la Covid-19. Après une semaine, normalement, ils doivent reprendre le travail. Heureusement, leur cas n’est pas aussi inquiétant », se réjouit-il, soulignant qu’au passage et malgré les précautions, le risque zéro n’existe pas. « Nous travaillons avec des patients positifs à la Covid-19, nous devons donc nous attendre à être contaminés », avance-t-il. 

Arjun Gaya concède néanmoins que le travail est impacté. Il explique qu’à l’hôpital Dr A.G Jeetoo, par exemple, les chauffeurs d’ambulance sont au nombre de 25, dont 4 sont en isolation. Il précise aussi que le nombre de sorties des ambulances dépend des journées. « Ça peut être 10, 14 voire 19, dépendant de la gravité », précise-t-il. Et lorsque des collègues sont absents, ceux qui travaillent doivent pouvoir absorber le travail de ceux absents. « Admettons que dix chauffeurs doivent venir travailler, si seulement 7 se présentent le matin, cela sous-entend qu’ils vont devoir faire le travail des 10. Mais malgré cela, nous faisons avancer le travail », soutient-il.

Le porte-parole de la MoHTWU précise qu’un circulaire a été émis par le ministère pour demander à tous ceux en congé (vacation leave), de reprendre le service. « Tout le monde est donc retourné. ‘Marye pike nu pe travay’ », affirme-t-il. Autre point positif, déclare Arjun Gaya, c’est la décision du ministère d’étendre les heures d’opérations de certaines ambulances du SAMU qui cessaient d’opérer à partir de 16h00. « Désormais, ces ambulances peuvent opérer jusqu’à 22h00. Les interventions se font alors jusqu’à 22h00 au plus tard », souligne notre interlocuteur. 

Arjun Gaya se dit au courant des critiques émises contre les équipes du Samu, dont le « retard » est souvent décrié. Toutefois, il précise que ses collègues et lui doivent souvent composer avec des imprévus durant leurs sorties. « Nous comprenons la frustration des personnes et les critiques qui fusent contre le SAMU mais nous devons faire face à des imprévus, tels que les embouteillages ou des adresses pas suffisamment précises. Malgré cela, nous faisons le maximum pour arriver le plus rapidement possible », rassure-t-il.


Arjun Gaya, ambulancier.
Arjun Gaya, ambulancier.

Personnel infirmier - Nasser Essa : « Infirmie dir zot fatige aster, nepli kapav rann lapel »

Le manque de personnel infirmier pour travailler dans des hôpitaux est décrié par la Nurses Union. Son président, Nasser Essa, soutient que des infirmiers seraient au bord de l’épuisement, à la fois physique et moral et met en garde contre une éventuelle détérioration du service. 

A bout de souffle. C’est l’état dans lequel se retrouveraient actuellement plusieurs infirmiers, à en croire Nasser Essa. La faute, dit-il, serait dû à un manque d’effectif dans les hôpitaux. Selon ses explications, depuis l’avènement de la Covid-19, le personnel infirmier a été réquisitionné dans les centres de vaccination, à l’aéroport, la New ENT hospital, entre autres. 

Ajouté à cela, certains ont contracté la Covid-19 ou alors un de leur proche l’a été et ces infirmiers se retrouvent ainsi en auto-isolation. « Le dernier relevé effectué à 14h ce mercredi (le jour de l’entretien), dénombre au moins 24 infirmiers absents rien qu’à cause de la Covid-19. Et là encore, cette liste ne tient pas en compte des infirmières », soutient Nasser Essa, selon ses dossiers  
Au total, ce dernier soutient que le personnel infirmier serait au nombre d’environ 300 à l’hôpital Dr A.G Jeetoo où il est lui-même affecté. « Mais ils ne sont désormais que 150, voire 125 par moment, soit moins que la moitié. Dans une salle où il y a normalement 4 infirmiers au minimum, on se retrouve avec seulement 2, voire 1 infirmier. C’est un Health Care Assistant qui vient alors les épauler », affirme Nasser Essa.

48 heures d’affilée

Pour pallier ce manque d’effectif, des infirmiers doivent cumuler jusqu’à 48 heures de travail en continue. « Par exemple, lorsque l’infirmier termine son shift, il doit rester pour remplacer un collègue absent avant d’enchainer avec un nouveau shift qui est le sien. ‘Travay 48h-la inn vinn enn routinn aster. Si pa fer sa, lopital pa pu marse, pasian pa pu gegn swin », dit-il. D’ailleurs, ce jour-là, Nasser Essa soutient que pour deux salles d’hôpital, un seul infirmier est venu au travail. « Le pire qu’on puisse imaginer c’est qu’un jour on se retrouve avec seulement la moitié du personnel », craint-il. 

Les répercussions sur les infirmiers seraient multiples. « Des infirmiers sont moralement au plus bas et physiquement au bord de l’épuisement. ‘Infirmie dir zot fatige aster, nepli kapav rann lapel’ », soutient Nasser Essa. 

Une solution à cette situation serait, selon notre interlocuteur, le recrutement de jeunes ayant complété leurs études. « Environ 35 jeunes ayant complété leurs études attendent d’être recrutés. Le ministère doit pouvoir donner un coup d’accélérateur aux procédures qui mettent trop de temps », suggère-t-il. Et d’ajouter : « Ce sont toujours les hôpitaux Victoria et Dr A.G Jeetoo qui sont les enfants pauvres en personnel et la Covid-19 n’est venue qu’accentuer cela », déplore-t-il. Une autre proposition faite par le président de la Nurses Union est le recrutement d’étrangers, notamment de l’Inde.

Commentant la démentie apportée par le ministère sur le manque de personnel, Nasser Essa dira que « le ministère ne fait que défendre sa politique mais les faits sont là. ‘Sitiasion lor papie ek sitiasion lor terin pa parey. Minister pu dir ou li zerab me seki trap pwalon ki kone si li fre ou so’ », dit-il.  

Variant Delta : La peur d’y laisser la vie

Depuis l’avènement du variant Delta et le ravage que provoque celui-ci, Nasser Essa indique que les infirmiers doivent désormais surmonter une toute autre peur : celle de mourir. « Il y a avait déjà une appréhension face au virus, surtout lorsqu’un de nous contractait le virus. Mais désormais, le virus ne fait plus autant peur. ‘Seki nu pe per aster, seki ‘staff’ inn kumans mor. Apreansion aster se lamor.’ Il y a déjà eu deux morts parmi le personnel. Sans compter qu’il y a trois autres collègues dont l’état est assez sérieux, ils sont placés en ICU avec un besoin d’oxygène », confie le président de la Nurses Union, estimant qu’il est tout à fait légitime au personnel de ressentir cette frayeur. « Nous ne pouvons être blâmés pour cela, car après tout, nous sommes humains », conclu-t-il. 

Vie familiale impactée

Ce manque de personnel allégué ne manque pas d’avoir un impact également sur la vie familiale des infirmiers. A l’instar de cette infirmière qui a été contrainte à effectuer des heures supplémentaires car celle qui devait la remplacer n’est pas venue. « Son mari, furieux, est venu déposer leurs deux enfants au département de l’administration, avec le supervisor, en lui lançant : ‘Mwa monn fatigé get zanfan. Gete ki ou pu fer ek bann zanfan-la, mo pe ale, mo nepli kapav’ », soutient Nasser Essa. 

Ou encore le cas de cette autre infirmière qui aurait appelé Nasser Issa au courant de la semaine, en larmes. « Son fils voulait lui parler lorsqu’elle est rentrée chez elle. Trop fatiguée après avoir cumulé 3 shifts, la mère lui a dit qu’elle était très fatiguée et qu’elle ne pourra pas l’écouter tout de suite car elle devait à tout prix se reposer. Lorsqu’elle s’est réveillée, son fils lui a reproché de ne pas être là lorsqu’il a besoin d’elle et n’a plus voulu se confier », raconte le président de la Nurses Union.


Devendranand Maunick.
Devendranand Maunick.

Permanencier au SAMU - Devendranand Maunick : « Cumuler deux à trois shifts pour maintenir le service »

Effectif réduit de moitié, nombre d’appels multiplié par deux et accumulation de deux, voire trois shifts. Telles sont les conditions dans lesquelles sont appelés à travailler ceux qui sont postés dans la SAMU Control Room, à réceptionner les appels du 114.

Ces permanenciers, comme on les appelle, sont basés à l’hôpital Victoria à Candos. Leur représentant syndical, Devendranand Maunick, parle de « situation très grave ». Il met en avant les conditions difficiles dans lesquelles ses collègues sont appelés à travailler ces derniers temps. Il indique que, tout récemment, seule la moitié du personnel était opérationnelle, l’autre moitié étant en isolement. « Sur un effectif de 18, on s’est retrouvé à neuf seulement pour couvrir le service pendant une dizaine de jours. Ce qui est loin d’être une situation évidente », déclare l’Assistant Secrétaire de la Government Services Employees Association (GSEA), qui a lui-même était testé positif à la Covid-19. 

Il soutient que ses collègues et lui se sont retrouvés à travailler à deux ou trois permanenciers lors d’un service, contre le double habituellement. « À cela, il a aussi fallu composer avec des absences pour cause de maladie, d’urgence, etc. Pour maintenir le service, nous n’avons eu guère le choix que de cumuler deux à trois shifts d’affilée, soit entre 24 et 36 heures de travail », indique-t-il. 

Ajouté à cela, le centre de contrôle du SAMU doit faire face à un nombre d’appels en hausse. Devendranand Maunick parle de 1 800 à 2 000 appels par jour depuis l’avènement du variant Delta, contre 1 000 à 1 200 en temps normal. En sus des coups de fil de personnes malades, notre interlocuteur indique qu’il y a aussi un nombre grandissant de requêtes venant de médecins basés dans divers centres de santé. Ceux-ci demandent à transférer un patient positif à la Covid-19 au New ENT Hospital. « Et depuis que les heures d’opération de certaines ambulances du SAMU ont été étendues, le nombre d’interventions a ainsi augmenté », souligne-t-il. 

Des permanenciers se disent exténués. « Li pa fasil pou kop avek workload nou p fer fass aktwelman », soutient-il. Tout en soulignant que cette situation engendre à la fois des problèmes sociaux et familiaux pour le personnel. « En rentrant chez soi, on éprouve à la fois de la fatigue, mais aussi de la frayeur, de peur de ramener le virus à la maison. D’où le fait que nous restons à l’écart de nos proches. Et pour être de nouveau sur pied le lendemain est loin d’être facile », avance-t-il. 

La productivité

Notre interlocuteur ne manque pas de déplorer des propos du directeur par intérim de Nursing au ministère de la Santé. Celui-ci avait fait remarquer que le nombre d’absence a augmenté. A son avis, il faut se poser les bonnes questions. « Après 24 à 36 heures de travail, quelqu’un qui rentre chez lui ne peut rien faire d’autre que de prendre une douche, un repas et se coucher. ‘Fode ena kouraz pou releve landemin pou al travay’. Sans compter que la productivité de même que l’attention ne sont plus les mêmes », précise-t-il. 

Il déplore au passage que des séparations n’ont pas été installées dans la SAMU Control Room. Cela aurait permis, dit-il, de mieux protéger le personnel du virus. « Malgré la requête faite depuis mars par le directeur par intérim du SAMU, rien n’a encore été fait », déplore-t-il. Il dénonce aussi le manque de recrutement, malgré les nombreuses demandes faites par la GSEA. « Aujourd’hui, on se retrouve avec un manque aigu de personnel à différents niveaux. Mais malgré cela, on poursuit le travail. ‘Dan administrasyon si ou fer erer, ou pass blanko ou refer. Me dan lasante, ou marz erer byen minim, li demann boukou konsantrasyon’. En d’autres mots, en sus de notre engagement professionnel, aujourd’hui, c’est notre conscience qui nous fait donner notre maximum, mais à se demander, jusqu’à quand ? » conclut-il.

 

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