Maurice peut-il, en ce moment, investir en Afrique ? Après avoir résisté à la crise dite des Subprimes en 2007-2008, est-il en mesure de résister à un autre choc économico-financier? Ce sont, entre autres, des questions posées vendredi 30 juin, à l’occasion de la clôture de la conférence internationale co-organisée par l’Université de Maurice et le Mauritius Research Council sur le thème ‘Mauritius after 50 years of Independence : Charting the way forward’.
C’est sans aucun doute la partie la plus intéressante de cette conférence, puisque les intervenants mauriciens du secteur privé ont livré le fond de leur pensée, à l’instar d’Afsar Ibrahim, Deputy Group Managing Partner de BDO ou de Jean Noël Humbert, Chief Corporate Affairs Officer d’Eclosia. Le premier, s’exprimant sur les rapports commerciaux de Maurice avec l’Afrique, fait observer que la plupart des hommes d’affaires mauriciens connaissent mal le continent africain, incapables de comprendre que l’Afrique est loin d’être un bloc monolithique.
« Nous avons un peu le nez dans le sable », fait valoir Afsar Ibrahim, s’agissant d’une quelconque stratégie destinée à conquérir le marché africain et tenant compte de la perte d’un certain nombre de filets protecteurs.
Le consultant déplore un certain état d’esprit qui prévaut à Maurice à l’égard du continent africain. Selon la seule décision concrète du gouvernement mauricien qui vaut d’être citée est l’ouverture d’une succursale de la State Bank à Nairobi. « Pour comprendre la complexité du marché africain, il faut aller en Afrique, mais on n’y est pas physiquement, et l’absence de logistiques en Afrique n’aide pas. Le business ‘Made in Africa’ est tellement différent du nôtre, le marché n’est pas le même. » Afsar Ibrahim cite, en exemple, l’échec rencontré par les investisseurs partis au Mozambique lorsque l’État mauricien avait fait acquisition de 100 hectares de terres dans ce pays. « Les Mauriciens n’avaient aucune expertise dans l’exploitation de la terre et ne comprenaient pas la langue de ce pays, sans parler une certaine arrogance à l’égard de leurs habitants. »
Essoufflement
Le Chief Corporate Affairs Officer d’Eclosia, lui, fait valoir qu’il est grand temps pour la Smeda de revoir sa stratégie en matière de développement des PME. Jean Noël Humbert craint que le modèle de développement des PME soit arrivé à un stade d’essoufflement. En dépit du fait que le secteur privé reste le ‘main driver’ de notre économie, notre croissance, en-dessous de 5 % n’est pas de nature à créer des emplois. « 24% de nos jeunes sont sans emploi », dit-il.
S’agissant du projet de créer un Education Hub à Maurice, il fait observer que le secteur privé rencontre encore des obstacles pour accélérer le projet en raison des difficultés concernant la délivrance des visas et de l’hébergement des étudiants étrangers de la part du gouvernement mauricien. « Le gouvernement doit offrir plus de facilités en vue d’accélérer ce projet. »
Est-ce que la diversification de notre économie a-t-elle donné des résultats ? L’Executive Director du MRC, Arjoon Sudhoo, élaborant sur le projet d’économie bleue, fait porter le chapeau de son échec initial à Navin Ramgoolam qui aurait déclaré le projet réalisable. « À cause de cela, on n’a jamais pu faire des études. Aujourd’hui, le projet a été relancé sous une autre appellation », dit-il.
Malgré les exemptions fiscales que Maurice offre à des entreprises étrangères pour investir à Maurice (dont le Film Rebate), celle-ci reste encore loin de rivaliser avec un pays comme Dubai dont les ressources sont illimitées. Melle Min Lee, Singapourienne de naissance et fondatrice de la société PlayMoolah, explique que son pays a misé énormément sur la formation et la discipline pour parvenir au stade de pays le plus développé en Asie du Sud-est, l’argent, indique-t-elle n’étant que la conséquence d’un processus qui trouve son origine dans la confiance mise en place par le gouvernement. « Il faut que ce sont des personnes de qualité et dynamiques qui soient impliquées dans de processus », indique Melle Min Lee, qui ajoute : « En fait, ce sont tous les citoyens du pays qui sont les acteurs de ce développement ».
Le Modern College : la claque à l’élitisme
Situé à l’est de Maurice, le collège Modern, un établissement privé familial, est en train de tailler une réputation régulière de ‘faiseur’ de lauréats, sans tambours ni trompettes. Invitée à la conférence, le Dr Sanmukiya Chintamunee, Deputy Rector du collège, explique que toutes les sociétés possèdent leurs élites, mais le projet académique qu’elle défend est celui de l’enseignement et l’apprentissage dans le cadre du mixed ability où tous les collèges seraient autorisés à admettre les enfants de tous les niveaux. L’intervenante critique notre système d’enseignement qui ne permet pas à tous les enseignants de travailler avec les élèves décrits comme top achievers, ce qui occasionne une certaine démotivation chez les autres enseignants. Ainsi le matériel pédagogique dont se servent les enseignants travaillant avec ces top achievers n’est pas mis à la disposition des autres élèves. Le système, poursuit-elle, stigmatise les élèves et enseignants qui fréquentent les collèges privés grant aided non-confessionnal, leur faisant ressentir un sentiment d’infériorité ou qu’ils sont incapables d’accomplir des progrès.
Professeur Lino Briguglio : Vulnérabilité et résilience des petits États
L’île de Malte partage avec Maurice la même configuration morphologique, ce qui rend intéressant l’exposé du Professeur Lino Briguglio, professeur d’économie à l’Université de Malte. Ce dernier s’est appesanti sur la résilience dont Maurice a fait preuve face à la crise financière et économique de 2007-2008. « La vulnérabilité de certains États est une situation acquise. En revanche, la résilience face aux chocs est tributaire des décisions que leurs gouvernements adoptent. Celles-ci sont un des facteurs qui expliquent leur relativement haut revenu par tête d’habitant. C’est le cas de Maurice », fait-il valoir. Un climat défavorable, l’éloignement de leurs marchés d’exportation et son impact sur le cout du transport, leur très grande dépendance sur les importations, sont autant de facteurs négatifs que ces États héritent. Face à ces facteurs innés, ces petites économies insulaires n’ont d’autre choix que d’adopter des bonnes pratiques politiques servies par des politiciens avisés, et la cohésion sociale comme socle Le Singapour, en Asie, peut, à ce titre, servir d’exemple mais ce pays est aussi servi par une poor governance policy, nuance le Professeur Lino Briguglio.
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