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Chagos : la dernière bataille pour la décolonisation totale de Maurice

Le Nordvaer a été utilisé pour deporter des Chagossiens.

Dans l'avis consultatif rendu le 25 février 2019, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a conclu que « le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien lorsque ce pays a accédé à l’indépendance » et que « le Royaume-Uni [était] tenu, dans les plus brefs délais, de mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos ».

Cependant, plus de cinq ans et quelques jours plus tard, le processus de décolonisation n'est pas encore terminé. Dans les faits, les lignes n’ont pas bougé, sauf que le dossier de Maurice est devenu davantage plus solide avec l’adoption, en mai 2019, d’une résolution demandant au Royaume-Uni de terminer la décolonisation totale de Maurice au plus vite et la délimitation des frontières maritimes entre Maurice et les Maldives, incluant les Chagos comme faisant partie intégrante du territoire mauricien par le Tribunal de la Mer le 28 avril de l’année dernière.

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Aujourd’hui, c’est vers les pourparlers entre le Royaume-Uni et Maurice que les yeux sont rivés. Si, au début des pourparlers, fin 2022, il était question d’arriver à un accord durant le premier trimestre de 2023, un an plus tard, le Royaume-Uni souffle encore toujours le chaud et le froid.

Dans sa soumission écrite au Foreign Affairs Committee’s Sub-Committee on the Overseas Territories, le 28 février dernier, le Royaume-Uni continue à ne pas donner de garanties formelles quant à une rétrocession de l’archipel et soutient même que « nous ne pouvons pas spéculer sur les résultats possibles ni anticiper leurs conclusions ». Telle est la position après neuf rounds de négociations que le Royaume-Uni qualifie quand même de « constructifs » avec les représentants mauriciens.

Une des conditions sine qua non pour les Britanniques est que tout accord doit protéger les intérêts nationaux britanniques. « Nous n'accepterons rien qui ne satisfasse pas à cet objectif ».

Le nerf de la guerre est le devenir de la base anglo-américaine qui se trouve sur Diego Garcia. Celle-ci, précise le gouvernement britannique, « revêt une importance stratégique primordiale pour la sécurité régionale et mondiale. La priorité du gouvernement britannique est donc le fonctionnement à long terme de la base, qui est au cœur des négociations en cours avec Maurice. Nous devons nous assurer que tout accord répond aux intérêts nationaux britanniques (…) Nous sommes clairs sur le fait que notre priorité, dans tous les scénarios, est la sécurité à long terme, la sûreté et la fonctionnalité de la base militaire sur Diego Garcia. Maurice a clairement indiqué publiquement qu'elle soutient cet objectif, tout comme les États-Unis ».

Devant un Royaume-Uni qui pinaille, et qui s’est doté, d’un Secrétaire aux Affaires étrangères, en la personne de David Cameron, nommé au gouvernement le 13 novembre dernier, hostile à l’idée de céder les Chagos, le gouvernement mauricien continue à bouger ses pions.

Un second déplacement d’une délégation officielle sous le quadricolore vers les Chagos est en train d’être planifié. Le projet de création d’une vaste zone marine protégée autour de l’archipel progresse aussi lentement mais sûrement. À ce titre, le 27 février dernier, un atelier de travail a eu lieu à l’hôtel Intercontinental, Balaclava, durant lequel le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a énoncé les intentions de Maurice pour l’archipel. « La zone marine protégée sera établie de manière à reconnaître l'importance économique de l'écosystème de l'archipel des Chagos pour les communautés locales et notre économie. Des pratiques de pêche durables, l'écotourisme et les opportunités de recherche seront explorés pour créer de nouvelles avenues économiques tout en garantissant la durabilité environnementale », devait-il annoncer.

Pour gérer l’archipel, le gouvernement mauricien propose « une structure de gestion efficace et inclusive sera établie, garantissant la participation des autorités pertinentes, des institutions de recherche, des communautés locales et des organisations de la société civile. La prise de décision collaborative et une gouvernance transparente seront essentielles ».

Séduire les Chagossiens

L’atelier de travail a eu lieu avec le soutien actif du Groupe Réfugiés Chagos, dirigé par Olivier Bancoult, mais également la Zoological Society of London.

Olivier Bancoult devait indiquer que les Chagossiens se sentent « à l’aise avec l’initiative ». Il devait aussi reprocher aux Britanniques d’avoir établi une zone maritime protégée autour des Chagos en 2010, « en excluant les Chagossiens, alors qu’une telle initiative doit avoir la participation des Chagossiens ».

Si le gouvernement mauricien a le soutien du Groupe Réfugiés Chagos, les Britanniques ne ménagent pas leurs efforts pour séduire les Chagossiens qu’ils ont déportés de l’archipel à la fin des années 60 et début » 70, ainsi que leurs descendants.

En 2022, le gouvernement britannique a lancé une initiative spécifique pour naturaliser à grande échelle les Chagossiens et leurs descendants. Depuis novembre 2022, toute personne d'ascendance chagossienne peut être enregistrée à la fois comme citoyen des territoires britanniques d'outre-mer et citoyen britannique, sans frais. Des 7 000 demandes de citoyenneté britannique reçues, 2 000 Chagossiens sont devenus citoyens britanniques.

Non seulement, les Britanniques naturalisent à tour de bras, mais en plus, des facilités ont été mises en place pour aider les nouveaux venus à s’installer en Angleterre. « Pour aider les autorités locales britanniques à gérer les coûts statutaires qui pourraient survenir lors du soutien aux Chagossiens nouvellement arrivés, le ministère de l'Intérieur a accepté de fournir un financement supplémentaire aux autorités locales d'une valeur pouvant atteindre 13 millions de livres sterling jusqu'à la fin de l'exercice 24/25 », soit (environ Rs 753 millions), peut-on lire dans la soumission écrite du gouvernement britannique.

Est-ce que cela laisse entrevoir une campagne à venir sur le droit de l’autodétermination du peuple chagossien de la part des Anglais ? Un soutien majoritaire des Chagossiens pour que l’archipel reste britannique pourrait éventuellement renverser la situation en faveur de l’Union Jack.

L’archipel des Chagos en quelques dates

  • 1512 : Prise de possession par Pedro Mascarenhas de l’archipel des Chagos pour le roi du Portugal.
  • 1776 : Prise de possession de l’archipel pour le royaume de France. Des esclaves de Madagascar et du Mozambique y sont envoyés pour l’exploitation de la noix de coco. Des colons français occupent l’archipel de façon permanente.
  • 1814 : La souveraineté des Chagos est cédée par la France au Royaume-Uni.
  • 1964 : Des négociations entre autorités britanniques et américaines démarrent dans le grand secret avec comme but de créer une base militaire dans l'océan Indien. Une étude conclut que « l'acquisition de Diego Garcia à des fins de sécurité impliquera le déplacement de toute la population existante de l'île ».
  • 1965 : Le détachement de l’archipel du territoire mauricien se fait.
  • De 1965 à 1973 : La déportation de la population des Chagos se fait en plusieurs étapes avec interdiction de revenir dans l'archipel.
  • 1977 : Ouverture de la base militaire américaine sur Diego Garcia.
  • Novembre 2000 : La Haute Cour de Londres considère illégal le déplacement des Chagossiens qui obtiennent ainsi le droit de retour.
  • Juin 2004 : Deux « Orders » in Council signés par la reine Elizabeth II déjugent la cour et interdisent à jamais le retour des Chagossiens dans l'archipel.
  • Mai 2006 : Les deux « Orders » sont jugés illégaux par la Haute Cour de Londres.
  • Octobre 2008 : Le Privy Council estime l’expulsion des Chagossiens légale. Revers pour les Chagossiens.
  • 2016 : Le Royaume-Uni prolonge le contrat sur l’utilisation de la base militaire des Chagos jusqu’en 2036.
  • 25 février 2019 : La Cour internationale de justice estime le détachement de l’archipel illégal et urge le Royaume-Uni de se retirer des Chagos au plus vite.
  • 22 mai 2019 : L’Assemblée générale des Nations Unies approuve le jugement de la Cour internationale de justice et reconnaît Maurice comme souverain sur les Chagos.
  • 2020 : La carte officielle du monde par les Nations Unies rattache les Chagos à Maurice et non plus au Royaume-Uni.
  • 28 avril 2022 : Le Tribunal de la Mer dessine les frontières entre les Maldives et Maurice en incluant les Chagos comme faisant partie du territoire mauricien. Il estime que le Royaume-Uni n’a aucune présence dans cette région du monde.
  • 3 novembre 2022 : Ouverture de nouvelles négociations entre Londres et Port-Louis après celles qui n’ont pas pu aboutir quelques années plus tôt.
 

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