Interview

Cassam Uteem, ex-Président de la République: «Les manipulateurs ont une connaissance superficielle de l’islam»

Dans le sillage de la vidéo du Mauricien vantant Daesh et la fausse alerte à la bombe sur le vol d’Air France le week-end dernier, l’ancien président de la République livre ses impressions sur l’état de l’extrémisme religieux à Maurice et ce qu’il faut faire pour endiguer ces dangers.

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La vidéo d’un Mauricien faisant l’apologie de l’État islamique a circulé récemment sur le web. Que vous inspire cet épisode ? L’endoctrinement et le recrutement à  travers les réseaux sociaux font que Daesh ou l’État islamique arrive aujourd’hui à cibler et à atteindre l’ensemble des pays du monde. Cela ne devrait pas nous surprendre que des Mauriciens, comme tant d’autres citoyens du monde, notamment les jeunes et les nouveaux convertis à l’islam, se laissent prendre au piège qui leur est tendu par ceux qui, au nom de Dieu, prêchent la haine et la violence. Ce qui pourrait surprendre, toutefois, c’est la montée en grade d’un de nos compatriotes pour devenir la voix de l’Afrique – El Afriqui, comme il se fait appeler - et agent-recruteur de Daesh. Qu’est-ce qui peut expliquer cet endoctrinement selon vous ? Une connaissance superficielle de l’Islam, le manque de maturité et l’instabilité de l’individu font de lui une proie facile pour les manipulateurs de conscience. Il faut être d’une naïveté désolante pour croire, comme l’affirme Daesh, que pour atteindre le paradis et obtenir la grâce du Seigneur il faut passer par la tuerie des innocents. DAESH joue sur les sentiments de ses victimes en évoquant les crimes commis par certaines puissances étrangères à la région du Moyen-Orient qui ont bombardé des pays comme l’Afghanistan, l’Iraq, la Libye, la Syrie et d’autres encore entraînant dans leur sillage des dizaines de milliers d’innocents avant de les exhorter à jurer allégeance au nouveau califat et venger la mort de ces ‘frères et sœurs’ innocents. Il n’est guère surprenant qu’un certain nombre de jeunes se fassent avoir par ces arguments.

Les services de renseignement disent suivre de près certaines personnes et plusieurs Mauriciens ont affiché leur soutien à l’État islamique sur Facebook. Doit-on s’inquiéter de cette situation ? Les services de renseignement ne font là que leur travail. Encore leur faut-il prendre des actions préventives en appliquant la loi dans toute sa rigueur à l’encontre de ceux qui, sous le couvert de la religion, utilisent des propos haineux et font appel à la violence. On n’aura alors aucune raison de s’inquiéter de ces appels sporadiques de soutien à Daesh. Que doit-on faire pour empêcher que d’autres jeunes suivent la même voie ? La famille, l’école et la religion doivent mieux assumer leurs responsabilités dans la formation et le processus de socialisation de nos enfants et de nos jeunes. Il nous faut introduire dans le cursus scolaire les notions d’éthique et de respect de l’autre, dans sa diversité religieuse et culturelle, et assurer la transmission à nos enfants de nos valeurs communes, qui nous ont permis de construire une société paisible et tolérante. Une meilleure connaissance des valeurs fondamentales de nos religions respectives devraient permettre de distinguer l’ivraie du bon grain.
[blockquote]« Une connaissance superficielle de l’islam, le manque de maturité et l’instabilité de l’individu font de lui une proie facile pour les manipulateurs de conscience ».[/blockquote]

Le spectre de la menace terroriste a fait son apparition de nouveau durant le week-end avec la bombe factice sur le vol d’Air France. L’ex-policier à l’origine de l’incident a dit qu’il voulait tester les réactions du personnel de bord. Est-ce un exemple des excès de l’obsession sécuritaire ? Il y a enquête policière en cours et nous ne pouvons donc tirer des conclusions définitives à ce stade, encore moins affirmer qu’il s’agissait d’un exemple d’obsession sécuritaire. Cependant, nous pouvons d’ores et déjà dire que c’est l’œuvre d’un ou de plusieurs détraqués ou irresponsables qui ont mis en émoi des centaines de personnes, en particulier ceux qui, entre ciel et terre, ont vécu des moments de panique qui auraient pu avoir des conséquences tragiques. Le ou les auteurs de cette plaisanterie de mauvais goût doivent être sévèrement punis afin de prévenir et d’empêcher  toute velléité de récidive. Court-on le risque à Maurice, comme dans certains autres pays, de voter des lois liberticides en conséquence ? Les lois liberticides existent déjà à Maurice. J’espère que les pouvoirs publics auront la sagesse nécessaire d’en  faire usage avec parcimonie, mais surtout de ne pas céder aux pressions des pays dits « amis » pour le faire. L’année a justement été marquée par le vote du Good Governance and Integrity Reporting Bill, qui a été critiqué pour priver le citoyen de certains de ses droits fondamentaux. Qu’avez-vous pensé des débats et du texte de loi ? Si l’idée était uniquement de combattre la corruption et de développer une culture de bonne gouvernance et d’éthique, personne n’aurait été contre ce projet de loi. Le ministre responsable, malgré toute la bonne volonté dont il a essayé de faire montre en s’engageant dans un processus de dialogue tous azimuts sur le projet de loi, n’a pas réussi à convaincre qu’il ne s’agissait pas de mettre en ligne de mire ses adversaires politiques du moment. D’autant que les officiels responsables pour la mise en œuvre des objectifs dudit projet de loi  seront des nominés politiques pour ne pas dire des proches du pouvoir. Selon Paul Bérenger, la position du Parquet sur ce texte de loi, qui estime que les nominations faites par le président de la République est anticonstitutionnelle, remet en question toutes les nominations faites sur ce mode. Partagez-vous le même avis? En effet, si on accepte l’interprétation du State Law Office, il serait nécessaire de revoir toutes les nominations faites par le président de la République telles que prescrites par certaines lois de même que les actions prises par celui-ci en vertu des dispositions des lois qui autorisaient le président de la République à agir après consultation avec le Premier ministre ou le ministre responsable. Je suis du même avis que le leader de l’opposition et je pense qu’un amendement constitutionnel serait souhaitable afin de donner au président les pouvoirs qui devraient être les siens dans tous les cas de nominations prévues non seulement par la Constitution, qu’il exerce effectivement, mais aussi par certaines lois votées au Parlement qui prévoient de telles nominations. Ameenah Gurib-Fakim, au moment de prendre ses fonctions, avait promis de ne pas être une « yes-woman ». Selon vous, a-t-elle tenu parole durant cette année ? J’ai pour principe de ne pas commenter les propos de mes successeurs à la State House. Je ferai une exception et pour répondre à votre question. Je dirai tout simplement que notre Présidente donne l’impression d’être une « no-nonsense woman ». Cela fait plus d’un an que l’Alliance Lepep est au pouvoir. Qu’est-ce que cette première année nous a appris sur la politique que cette alliance compte mener? Malgré les bonnes intentions exprimées et répétées par ses plus hauts dirigeants, l’Alliance Lepep n’a su jusqu’ici se donner les moyens de sa politique. Elle s’est enlisée dans une folle campagne de nettoyage qui a été perçue comme une vendetta politique sans avoir pu aboutir à quoique ce soit, sinon à semer le doute, l’inquiétude et souvent le désarroi dans une population comme tenue en otage. Je pense surtout à l’affaire BAI et la manière dont elle a été gérée. L’Alliance Lepep déçoit lorsqu’elle adopte les mêmes pratiques et les mêmes méthodes et critères de recrutement et de promotion que ceux du régime travailliste qu’elle a délogé. Enfin, et ce qui est le plus important peut-être, c’est que l’économie est restée une année durant presqu’au point mort tandis que le taux de chômage n’a fait qu’augmenter. Il faut que l’Alliance Lepep se ressaisisse et fasse oublier cette année 2015 que nombre de nos compatriotes ont vécu comme leur annus horribilis.

 

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