L’ancien président de la République, Cassam Uteem, commente la mayonnaise patriotique dont on a été témoin lors des derniers Jeux des îles de l’océan Indien. Pour lui, le sport peut aider à rendre une nation encore plus solide.
À quoi attribuez-vous cette ferveur populaire ?
Le sport de compétition dans le cadre des Jeux des îles de l’océan Indien a créé les conditions propices à faire ‘jouer’ la fibre patriotique. Les Mauriciens, de tous bords, ne se sont pas privés pour exprimer, de fort belle manière, leurs sentiments communs de patriotisme derrière nos athlètes engagés dans les différentes disciplines. Ces jeux sont certes ceux de l’amitié entre les îles-sœurs de l’océan indien qui baigne nos côtes respectives mais c’est aussi, et en même temps, ceux d’une rude compétition entre les protagonistes-athlètes dans l’arène et nous avons bien compris que s’il s’agissait d’un festival de sports, il s’agissait aussi, comme autrefois les gladiateurs, de triomphe et de défaite. Et la ferveur populaire était vitale si nous voulions que nos athlètes triomphent de leurs rivaux dans leurs efforts de ‘go for gold’. Nous avons aujourd’hui le sentiment d’avoir contribué à cette belle victoire de nos athlètes et à la fierté légitime de notre pays.
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Est-ce un signe que le mauricianisme existe bel et bien, mais très souvent dormant ?
Le mauricianisme est un sentiment d’appartenance et de fidélité qui nous anime tous à des degrés divers. Il est fécondé par le désir du vouloir vivre ensemble malgré nos différences et souvent nos divergences. Le mauricianisme est mis à mal lorsque certaines composantes de notre société sont victimes de discrimination et d’injustice en raison de leur appartenance ethnique ou religieuse ou lorsque leur contribution dans l’histoire et le développement du pays est minorée. La perception, dans ces cas, est souvent plus importante que la réalité. Il faudrait alors très vite dissiper les doutes ou rectifier le tir afin d’éviter que le sentiment d’exclusion ne prenne le dessus sur le mauricianisme.
Avez-vous senti cette mayonnaise patriotique ?
Ce que vous appelez la mayonnaise patriotique démontre la soif d’un peuple d’extérioriser ses sentiments patriotiques, son attachement à son île natale, lorsque l’occasion lui est donnée de les exprimer ou les faire valoir. Avec les Jeux des îles de l’océan Indien, elle a dépassé toutes nos espérances. En faisant vibrer nos stades et en provoquant l’explosion de joie et de fierté d’être Mauriciens chez chacun de nous, nos athlètes ont confirmé que le sport est la voie royale pour cimenter une nation.
Partagez-vous l'idée de ceux qui pensent que cette ferveur ne fera pas long feu ?
Je pense qu’à chaque fois que l’occasion lui sera donnée, le peuple exprimera avec ferveur son sens du patriotisme, comme il l’a fait lors des Jeux des îles. Il faut multiplier ces occasions festives qui nous rapprochent et qui nous permettent d’être en communion de sentiments et de vibrations.
Est-ce que la classe politique joue au pyromane avec les considérations sectaires à tout bout de champ ?
La classe politique joue sur plusieurs registres à la fois. Il y a beaucoup de duplicité dans cette classe qui pratique un jeu dont les règles sont très malléables. Je m’en voudrais de généraliser, ce qui serait imprudent et erroné, mais je dirais quand même que les discours de certains dirigeants politiques dans des réunions privées et publiques sont quelques fois contradictoires.
Expliquez-vous…
Ils projettent, en public, l’image de rassembleurs et, en privé, souvent celle de fossoyeurs, adoptant une attitude sectaire et faisant appel au fanatisme. Dans un pays multiethnique et multi-religieux, ce ‘jeu’ infect risque d’exacerber les différences, de donner lieu à des réactions d’extrême violence et déboucher, à tout moment, sur des confrontations de nature communale dangereuses allant à l’encontre de l’unité du pays et de la sécurité de sa population.
A l’approche des élections, les organisations sectaires exercent des pressions quelques fois insoutenables"
Pourquoi le communalisme dicte une campagne électorale ?
Nous sommes les prisonniers consentants d’un système électoral désuet, qui est une perversion de la démocratie, avec ses 60/0 à répétition et un Parlement constitué d’une majorité et d’une opposition qui ne reflètent jamais le vœu de la population : il y a une surreprésentation de la majorité et une sous-représentation des minorités idéologiques.
Comment changer la donne ?
La réforme de notre système électoral, avec l’introduction d’une dose de proportionnelle, aurait permis, comme nous l’avons archi-répété, de corriger les méfaits aujourd’hui reconnus du système de First-Past-the-Post. Une telle réforme aurait également permis de réduire la tentation d‘avoir recours au communalisme pour assurer l’élection de ‘nou bann’, la représentation proportionnelle avec la ‘party-list’ offrant, entre autres, l’assurance d’une représentation parlementaire plus ou moins adéquate des différentes communautés. On mettrait alors plus d’accent sur la recherche auprès de l’électorat d’une majorité idéologique que sur celle d’une majorité ‘communale’. Il n’y a malheureusement pas eu de consensus sur ce sujet lors des récents débats parlementaires sur la réforme électorale. D’autre part, les contours des circonscriptions tels qu’ils sont tracés tendent à mettre en évidence, surtout au moment de la campagne électorale, la composition communale de ces circonscriptions et les dirigeants politiques ‘mainstream’ en ont toujours profité pour pratiquer le communautarisme et en évoquant ‘la réalité du terrain’ choisissent les candidats en fonction de leur appartenance communale, encourageant ainsi le réflexe communal ‘conditionné’ des votants. Si les dirigeants des grands partis politiques décidaient, d’un commun accord, de passer outre à ces réalités de terrain, et, dans l’intérêt supérieur du pays, choisissaient leurs candidats sur des critères plus objectifs, ils éviteraient ou réduiraient les réactions communales primaires de l’électorat.
La population mauricienne n'est-elle pas encore mature pour que les leaders politiques cessent de choisir les candidats par circonscription en fonction de la communauté et de la caste ?
Au risque de m’attirer le courroux des bien-pensants, je dirais qu’entre la population et les dirigeants politiques les torts sont partagés. A l’approche des élections surtout, les ‘lobbies’ et les organisations sectaires sont légion et ils exercent des pressions quelques fois insoutenables pour que les membres de leurs castes figurent sur la liste.
Partagez-vous l'impression que nombre de certains postes sont réservés à une ethnie spécifique ?
Vous vous référez, je présume, à la Fonction publique au sein de laquelle l’absence flagrante d’un groupe ethnique constitue une injustice criante et condamnable à plus d’un titre. Devant ce constat, pour dire le moins révoltant, on pourrait penser qu’il s’agit d’une politique délibérée d’exclusion du secteur public de cette importante composante de notre société. Comment est-on arrivé à cette situation ? Qui en sont les responsables ? La PSC et quelques fois la DFSC délèguent leurs pouvoirs au chef hiérarchique du ministère où il existe des postes à remplir. Ce sont généralement des postes qu’on définissait autrefois comme ‘minor grades’ – plantons, domestiques, laboureurs… - qui représentent la grosse majorité des fonctionnaires. Il y a bien entendu des procédures à suivre pour les remplir, mais ‘ who cares ?’ Et c’est à ce niveau qu’il y a intervention des pouvoirs publics pour les bafouer ou les contourner dans le but de ‘placer’ les proches, les amis, les agents, les colleurs d’affiches, les lobbyistes patentés. Il se trouve que parmi ces derniers, très peu nombreux sont les membres de ce groupe ethnique qui sont éliminés, car éternellement absents… de la ligne de départ. Oublions l’or et l’argent, ce groupe ethnique n’a même pas droit aux médailles de bronze !
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