L’impunité dans les institutions publiques à Maurice est un des éléments centraux du dernier rapport du département d’État américain, rendu cette semaine. Est-ce une simple perception ou alors un fait qui ne peut plus être occulté ?
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L’impunité est-elle de plus en plus répandue dans les institutions publiques ? En l’espace d’une semaine, deux autorités indépendantes - le directeur de l’audit et le département d’État américain - ont fait état, dans leurs rapports respectifs, de la tolérance des autorités vis-à-vis de ceux qui ont fauté dans l’exercice de leurs fonctions.
Le département d’État américain dénonce le fait que l’application de la poursuite et de la punition est bien souvent incohérente et parfois politiquement influencée, entraînant ainsi une culture d’impunité au sein des institutions publiques. Quant au rapport de l’audit, même si son directeur ne le dit pas explicitement, les chiffres cités dans le document laissent comprendre que l’impunité est un fléau qui le préoccupe au plus haut point. « 147 policiers étaient sous le coup d’une suspension lors de l’année financière 2021/2022 et ont eu droit à des salaires totalisant la somme de Rs 49,6 millions. Dans plusieurs cas, les périodes de suspension datent de plus de sept ans », peut-on lire.
Création d’un tribunal disciplinaire pour les fonctionnaires
Afin d’avoir un meilleur éclairage sur ce phénomène d’impunité, le Défi Plus a sollicité les explications de Sateeaved Seebaluck, ancien haut fonctionnaire et chef de la fonction publique, qui maîtrise bien le fonctionnement des institutions publiques à Maurice. « Ceux qui commettent des fautes dans la fonction publique sont soumis à des sanctions. Les responsables de département agissent. Dans certains cas, le fonctionnaire peut être transféré ou suspendu selon les règlements de la Public Service Commission ».
Toutefois, là où le bât blesse, c’est lorsque la faute commise relève d’un délit criminel. « Le cas est alors référé à la police et peut éventuellement déboucher sur des poursuites », souligne notre interlocuteur, qui explique qu’une fois qu’une enquête criminelle est ouverte, le fonctionnaire est immédiatement suspendu. « C’est la lenteur des enquêtes policières ainsi que le temps que cela prendra devant la justice qui fait que la suspension d’un fonctionnaire s’étend sur plusieurs années. Je me souviens du cas d’un policier qui est resté suspendu pendant une vingtaine d’années », se remémore-t-il.
Pour Sateeaved Seebaluck, cette situation a trop duré et il est inacceptable que des personnes impliquées dans des délits criminels continuent de profiter des lacunes de notre système. « Il faut être honnête et reconnaître que ce système arrange bien des gens. Beaucoup de fonctionnaires qui sont sous le coup d’une suspension s’arrangent pour que leur affaire traîne pendant plusieurs années afin de continuer à percevoir leur salaire sans avoir à travailler », ajoute-t-il.
La création d’un tribunal disciplinaire est ainsi proposée par Sateeaved Seebaluck pour obtenir des décisions rapides sur les fonctionnaires impliqués dans des affaires criminelles. « L’institution d’un tribunal doté de pleins pouvoirs, avec à sa tête un juge ou un ancien juge, aiderait à obtenir des résultats plus rapides. La cour de justice pourra parallèlement continuer à traiter le délit criminel, alors que le tribunal disciplinaire tranchera sur le cas du fonctionnaire et, s’il est reconnu coupable, il sera révoqué et ne sera plus rémunéré par l’État. »
Ingérence politique et complicité de hauts fonctionnaires
Bien que cela concerne une minorité de personnes, Sateeaved Seebaluck avance que l’ingérence politique et la complicité de hauts fonctionnaires ne peuvent être occultées dans la fonction publique. Ce sont des facteurs qui contribuent aussi à la culture de l’impunité chez les fonctionnaires. « J’ai vu, tout au long de ma carrière, sous différents gouvernements, des ministres donnant des instructions pour que le cas de tel ou tel fonctionnaire ne soit pas référé à la police. Le ministre demande de fermer les yeux et de donner une chance, et lorsqu’un fonctionnaire reçoit de telles instructions, il est très difficile pour lui de résister », explique-t-il. Dans d’autres cas, Sateeaved Seebaluck indique que des responsables de département préfèrent ignorer les agissements de certains fonctionnaires afin d’éviter de s’impliquer ou d’impliquer leur ministère dans des controverses.
Impunité à outrance selon l’avocat Dev Ramano
« Le pays est témoin de l’impunité au quotidien. » C’est l’avis partagé par l’avocat Dev Ramano. Les gaspillages de fonds publics et les allocations de contrats à des proches du pouvoir démontrent « une impunité à outrance. Souvenez-vous de la période du confinement lorsque le pays était en train de subir les effets de la Covid-19, on a vu le gouvernement dépenser Rs 70 pour un médicament qui se vend normalement à Rs 10 l’unité. Mais quel a été le résultat de toute cette affaire ? A-t-on vu un haut fonctionnaire être condamné ? Un ministre a-t-il été traduit en justice ? Tout cela démontre à quel point l’impunité est devenue courante à Maurice », déclare-t-il.
Séparation des pouvoirs
L’empiètement des politiciens sur le fonctionnement des institutions est un autre facteur qui contribue à l’impunité, selon Dev Ramano. « Comment peut-on espérer obtenir des résultats sur des délits lorsque la notion de séparation des pouvoirs est complètement ignorée par le pouvoir exécutif ? C’est clair que les enquêtes ne vont pas aboutir », avance l’homme de loi. S’exprimant également sur les cas de tortures de suspects survenus l’année dernière, Dev Ramano soutient que les policiers qui ont été impliqués dans ces affaires ont surtout été mutés. « Se contenter de transferts punitifs ne sert à rien quand on sait que le problème au sein de la force policière est systémique. Il faut s’assurer que le problème soit bien réglé car les personnes qui vont être appelées à assumer de telles responsabilités risquent elles aussi de poursuivre sur la même lancée », dit-il.
Vinod Boolell : « Le rapport américain ne peut être pris à la légère »
« La façon dont certaines institutions fonctionnent donne l’impression qu’il y a de l’ingérence, ce qui contribue donc à cette culture de l’impunité », déclare l’ancien juge Vinod Boolell. Tout en soulignant que l’impunité n’est pas généralisée à Maurice, il explique que les résultats de certaines enquêtes sont toujours en attente. « Les personnes qui ont commis des infractions sont souvent punies. Mais prenons l’exemple des cas de torture policière. Tout semble indiquer que l’enquête est en train de traîner et l’on ne peut empêcher l’impression que les retards dans cette enquête sont délibérés. » Vinod Boolell prend également l’exemple des attaques contre le Directeur des poursuites publiques (DPP) sur les réseaux sociaux, qui l’accusent d’être impliqué dans le trafic de drogue. « À la suite de ces attaques, le DPP a déposé une plainte à la police. Mais est-ce qu’il y a eu le début d’une enquête dans cette affaire ? » s’interroge-t-il. En parlant plus précisément du rapport du département d’État américain, Vinod Boolell estime que les points qui y sont abordés sont sérieux et que « nous ne pouvons pas prendre ce rapport à la légère ».
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