Interview

Avinash Meetoo, expert en informatique et Senior Advisor : «Nous sommes en train de passer à côté de l’intelligence artificielle»

Avinash Meetoo

L’Industrie 4.0 nécessite plus d’experts en technologies émergentes telles que l’intelligence artificielle ou la science des données. Avinash Meetoo, Senior Adviser au ministère de la Technologie, de la Communication et de l’Innovation et ingénieur en Informatique, pense que nos universités doivent s’améliorer pour être conformes aux standards internationaux. La nouvelle « Quality Assurance Authority » aura donc un rôle essentiel à jouer.

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L'informatisation est-elle bien ancrée dans les services essentiels de Maurice et à ce jour quels sont les obstacles qui subsistent encore ?
Nous sommes rentrés dans l’ère de l’Industrie 4.0, la quatrième révolution industrielle (après la vapeur, l’électricité et l’informatique dans les années 60/70). Aujourd’hui, les technologies émergentes telles que l’Intelligence Artificielle, l’Internet of Things (IoT), le blockchain et la réalité augmentée, ainsi que la science des données (« data science ») sont devenus des éléments essentiels qu’un pays et ses entreprises doivent maîtriser, afin de rester compétitifs et pertinents. À Maurice, nous avions été précurseurs en Afrique en matière d’informatique. Nous devons maintenant être prêts pour les nouveaux défis de l’Industrie 4.0. En particulier, nous devons nous assurer d’avoir assez de personnes compétentes en technologies émergentes et en résolution de problème.

Est-ce que les études d’informatique correspondent-elles aux exigences du pays ? À quel niveau en sommes-nous ?
Il est clair que, dans un monde où les entreprises les plus connues (les Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ont été créées et sont maintenant gérées par des informaticiens, Maurice doit avoir son quota d’informaticiens de haut niveau. Malheureusement, trop peu de jeunes Mauriciens choisissent les matières STEM (science, technologies, « engineering » et mathématiques) au secondaire. À l’université, en général, la qualité n’a pas grandement évolué depuis des années... Nous sommes en train de passer à côté de l’Intelligence Artificielle ou de la Data Science par exemple. J’accueille donc très favorablement l’annonce du gouvernement de mettre sur pied une « Quality Assurance Authority », afin d’inciter nos universités à s’améliorer pour être conformes aux standards internationaux si nécessaires pour un pays moderne. En effet, afin de trouver des solutions pérennes, nous devons avoir une masse critique d’ingénieurs de haut niveau et de qualité dans tous les domaines. Aujourd’hui, nos universités n’en produisent pas assez et nous devons faire appel aux étrangers. Il nous faut rationaliser et harmoniser la formation tertiaire à Maurice en y intégrant le transfert de connaissances et la maîtrise de projets complexes.

Est-ce que les Mauriciens sont-ils sensibles aux bienfaits de l’usage de l’ordinateur et de la communication par l'Internet ?
Nous avons de la chance de vivre dans un pays où les technologies d’information et de la communication (les smartphones, les ordinateurs, les connections Internet, ...) sont relativement abordables. À ce jour, la totalité du territoire mauricien est sous fibre optique et le taux de pénétration du mobile à 145 %. Donc, nous constatons un réel engouement pour l’utilisation de la technologie et cela se reflète par la quantité de services en ligne qui existent aujourd’hui (les « e-services » gouvernementaux, mais aussi, les services du privé tels que les journaux en ligne, les sites de vente ou d’échange, etc.)
Un certain nombre de sociétés et d’individus engagés dans l’alimentaire et même une grosse entreprise du textile-habillement, utilisent l’Internet pour leurs commandes et ventes directes au public. Sommes-nous au début d’une nouvelle ère ?

L’« e-commerce » n’est pas nouveau. Beaucoup de Mauriciens achètent des produits en ligne sur Amazon, la Redoute, AliExpress ou eBay. Il est donc clair que l’achat en ligne et le paiement par carte de crédit sont rentrés dans les mœurs. Par conséquent, des entreprises mauriciennes ont flairé le bon filon et ont commencé à offrir des services de « e-commerce » localement. Mais, naturellement, le marché local est restreint et il est important d’avoir une ouverture sur le monde. L’entreprise de textile-habillement à laquelle vous faites allusion vend ses produits à travers le monde par son site de « e-commerce ». Afin d’être compétitive, elle maîtrise de A à Z le processus de fabrication, ainsi que la chaîne logistique et de livraison. En outre, elle propose sa plateforme à toute entreprise mauricienne souhaitant faire du commerce électronique à l’étranger.

Aujourd’hui, nos universités ne produisent pas assez d’ingénieurs de haut niveau...»

Est-ce que les nouveaux modes de communication et paiement par les réseaux sociaux et l’Internet, - le blockchain, la crypto-monnaie -, marquent-ils une rupture définitive avec les systèmes traditionnels de communication ?
Oui et non. Le blockchain est une technologie émergente très importante pour un pays comme Maurice. En effet, le blockchain permet d’avoir une base de données ne pouvant être altérée de manière mal intentionnée. Il permet, par exemple, de construire un système de cadastre ou d’enregistrement de véhicules impossible à falsifier. Dans cette optique, le blockchain est en rupture avec les « anciens » systèmes où ceux qui y ont accès peuvent manipuler les données. En ce qu’il s’agit des crypto-monnaies, la plus connue étant le Bitcoin, elles sont construites sur des blockchains pour des raisons évidentes et bien qu’elles soient novatrices, car ne dépendant pas d’une banque centrale, elles s’inscrivent dans le cadre de notre système financier. Elles ne sont donc pas totalement en rupture avec notre système traditionnel.

Puisqu’on parle de développement des TIC, l’apparition de la crypto- monnaie, entre autres, n’est-il pas grand temps de mettre l’accent sur l’étude de la cryptographie à une échelle spécialisée ?
Oui. Mais pas seulement à cause de la crypto-monnaie. Notre monde est régi par l’échange de données au niveau global. Tout message, toute transaction financière, tout signal est foncièrement un échange de données. D’où la nécessité d’avoir une masse critique de personnes formées en cryptographie ayant pour mission de s’assurer que les échanges de données se font de manière sécurisée et sans pouvoir être interceptés et décryptés par des tierces parties.

Est-ce que ces technologies conduisent-elles à une démocratisation réelle de la vie publique et à la transparence ?
Comme je l’ai déjà indiqué, un système tel que le blockchain est plus transparent qu’une base de données traditionnelles. En intégrant le blockchain dans nos systèmes informatiques existants, nous pouvons leur apporter un élément de transparence. Est-ce que cela s’apparente à démocratiser la vie publique ? Dans une certaine mesure, oui, car la population aura plus confiance en ce que représente ces systèmes informatiques.

Est-ce que toutes les générations sont-elles capables de s’adapter à ces technologies, notamment l’introduction de la robotique envisagée dans les chaines de fabrication dans les usines ?
Il s’agit là de deux questions distinctes. Premièrement, est-ce que toutes les générations sont-elles capables de s’adapter à ces nouvelles technologies ? La réponse est clairement oui. Les Mauriciens n’ont pas de problème particulier en ce qu’il s’agit de l’utilisation de l’ordinateur ou du smartphone. Dans le cas où cela nécessiterait une formation, par exemple, pour nos seniors, un organisme tel que le « National Computer Board » peut tout à fait s’en occuper. Maintenant, pour répondre à la deuxième question en ce qu’il s’agit de l’introduction de la robotique dans nos usines, cela a déjà commencé (par exemple, dans nos usines de sucre ou de textile) et ne fera que s’accentuer dans le futur. Il est aussi clair que des métiers de service seront aussi automatisés davantage. Notre défi sera de mieux former nos jeunes et à « upskill » notre effectif déjà sur le marché du travail, afin qu’il puisse aspirer aux métiers du futur dans le « software engineering », dans la « data science », dans la robotique et dans l’automatisation.

Un jour vous avez dit que les nouveaux riches seront les personnes ou entreprises capables de stocker et gérer des centaines de millions de données de tout ordre au niveau planétaire… Est-ce que vous le pensez encore ?
Bien évidemment. Il n’y a qu’à voir les Google, Apple, Facebook, Amazon ou Microsoft. Ces entreprises ont pris énormément d’importance depuis quelques années et souvent ont des capitalisations boursières ou des chiffres d’affaires qui dépassent ceux de petits États. Il est nécessaire, pour le futur de Maurice, que nos ingénieurs soient à même de bien comprendre ces nouveaux enjeux, afin de pouvoir mieux contribuer à transformer Maurice en un pays à haut revenu et inclusif.

 

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