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Avinaash Munohur : «Ce pouvoir discrétionnaire de dissoudre l’Assemblée nationale est un outil politique puissant»

Les diverses annonces du Premier ministre dans ce climat politique, l'importance de mener des réformes dans plusieurs secteurs du pays ainsi que la nécessité de développer de nouveaux piliers. Autant de sujets soulevés par le politologue, également membre du Think tank du Mouvement socialiste militant (MSM).

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Au cours des derniers mois, le Premier ministre Pravind Jugnauth a multiplié les annonces, notamment en promettant le paiement des ajustements du Pay Research Bureau pour les fonctionnaires et, plus récemment, des prêts immobiliers sans intérêt pour les jeunes de 18 à 35 ans. Ces mesures semblent indiquer une stratégie électorale en vue des prochaines élections générales. Cependant, certains observateurs estiment que cela constitue un usage abusif des ressources de l’État à des fins politiques. Quelle est votre réponse à ces critiques ?

Comme vous le savez, je ne suis pas le porte-parole du gouvernement, donc je n’ai pas de réponse à apporter à ces critiques. Mais si je me prêtais à ce jeu, je dirais – comme les Law Lords du Privy Council l’ont eux-mêmes déclaré récemment - que la mise en place de politiques sociales et économiques fait entièrement partie des stratégies électorales. Le gouvernement vient de l’avant avec ses propositions tout comme l’opposition le fait également. Nous avons une grande tradition de cela à Maurice, notamment lorsqu’il s’agit de propositions visant la gratuité de certains services. Je n’oublie pas que SSR avait, à la veille des élections générales de 1976, promis la politique d’éducation gratuite qui avait assuré son élection. Il en va de même pour le 13ème mois de boni de fin d’année implémenté en décembre 1975. Navin Ramgoolam avait lui promis la politique du transport gratuit pour les élèves et les seniors, comme nous nous en souvenons tous. 

Est-ce que cette tradition politique constitue un usage abusif des ressources de l’État ? Encore une fois, ce sont des propositions de politiques publiques qui seront implémentées à la suite des élections, donc à la suite d’un choix qui sera porté devant l’électorat. Si la majorité des électeurs décide que ce sont des politiques qu’elle souhaite voir implémenter, alors le processus démocratique sera respecté. Après tout, c’est l’argent du contribuable, et si le contribuable désire qu’il soit dépensé de cette manière, alors il le fera savoir par la voie des urnes. 

Encore une fois, le précédent créé par le cas de Suren Dayal devant le Privy Council justifie entièrement cette pratique, qui de toute façon est l’essence même de la politique à Maurice. 
Les promesses comme les prêts sans intérêt ou le paiement du PRB sont perçues comme des mesures coûteuses pour l'État. Comment justifiez-vous l’utilisation de fonds publics dans ces initiatives en pleine période pré-électorale, et comment cela s’inscrit-il dans la gestion à long terme des finances publiques ?

Au risque de me répéter, il s’agit là de propositions qui n’ont pas encore été implémentées mais qui constituent des propositions qui seront soumises au vote de l’électorat. Et encore une fois, le précédent créé par le cas de Suren Dayal va encore plus solidifier cette approche aux stratégies électorales. Il est malheureux, de ce point de vue, qu’un tel précédent eût été créé. Les critiques que vous citez de ces politiques se doivent ici de remercier les esprits légaux de génie qui ont porté ce cas devant le Privy Council. Ces derniers bénéficient clairement du confort de l’opinion sans l'inconvénient de la pensée. 

Quant à la question de la gestion à long terme des finances publiques, toute personne qui a un soupçon d’expérience du terrain politique sait pertinemment bien que cela ne joue absolument pas dans la psyché de l’électeur à l’approche d’une élection. Au contraire, ce dernier est dans l’attente d’une seule chose : qu’est-ce qu’il y a à gagner personnellement dans le programme des différents partis ? 

C’est là que nous nous devons d’avoir des politiques économiques et industrielles efficaces, alliées à une politique d’endettement maîtrisée. Tout le modèle politico-économique mauricien repose sur cette équation qui peut se résumer de la manière suivante : tout gouvernement se doit de faire fonctionner les industries et les différents secteurs de l’activité économique afin de pouvoir assurer les politiques de redistribution dont l’électorat est si friand.  

Il existe également plusieurs débats concernant les récentes mesures, notamment l'annonce de l'accès gratuit à Internet pour les jeunes âgés de 18 à 25 ans. Certains estiment que ces initiatives ne ciblent pas les catégories appropriées. Par exemple, pour l'internet gratuit, il a été suggéré qu'il aurait été plus pertinent d'offrir une aide financière aux parents pour soutenir les écoliers et collégiens. Que répondez-vous à ces critiques ?

Si je ne me trompe pas, un jeune de 18 ans est considéré – au regard du droit – comme étant majeur. Ces jeunes sont des adultes. Pourquoi donc passer par leurs parents pour qu’ils puissent bénéficier d’une politique publique ? Ça n’a pas de sens. 

Il est important de noter qu’accorder une aide financière à des tiers - comme les parents - ne garantit pas toujours que les bénéficiaires visés - comme les enfants - reçoivent réellement l’aide. Il existe de nombreux cas où des parents ont utilisé à leurs propres fins les fonds destinés à leurs enfants par exemple.

Cette politique aurait-elle pu inclure les enfants des écoles primaires et secondaires ? Possible, d’autant que l’objectif est d’assurer un accès universel au numérique, aujourd’hui crucial. Si cette politique était étendue, les parents devraient la surveiller pour les plus jeunes enfants, mais nous devrions veiller à ce que le soutien atteigne et profite véritablement aux enfants et dans un but éducatif.

Étant le seul maître du calendrier électoral, le Premier ministre Pravind Jugnauth peut ajuster le timing de ses promesses électorales à l'approche des prochaines élections générales, ce qui lui confère un avantage considérable sur l’opposition. Ce privilège, dont ont également bénéficié plusieurs anciens Premiers ministres, est de plus en plus critiqué. Pensez-vous qu'il serait temps, lors d'un prochain mandat, de reconsidérer ce privilège et d'introduire des réformes pour un processus électoral plus équitable ?

J’émettrai une petite subtilité à votre question. Le Premier ministre, quel qu’il soit, n’est pas le seul maître du calendrier électoral dans le sens où il décide de tout comme il le souhaite. Il a un pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale qui s’inscrit dans le contexte d’un encadrement constitutionnel. Le Premier ministre ne peut, par exemple, repousser la date des élections générales au-delà de cinq mois après la dissolution naturelle d’une mandature. Le PM se doit également de consulter le commissaire électoral avant une dissolution. Ce dernier doit pouvoir assurer l’organisation d’une élection dans les délais que l’institution qu’il dirige jugera acceptable. Donc, le PM n’a pas la liberté la plus absolue comme vous le suggérez. 

Cela dit, il est vrai que ce pouvoir discrétionnaire de dissoudre l’Assemblée nationale – appelant automatiquement à des élections générales – est un outil politique puissant. Il faut aussi avouer qu’il peut fonctionner de manière extrêmement efficace si le timing est bien pensé. Mais il faut également avouer qu’il ne fonctionne pas tout le temps. Certains PM mettent en place leur stratégie et usent de ce pouvoir mais perdent quand même les élections. Ce fut le cas de Navin Ramgoolam en 2014 par exemple. 

Concernant les réformes, je suis de ceux qui ont toujours poussé l’idée que des réformes électorales d’envergure se devaient d’être mises en place à Maurice. J’ai eu maintes fois l’occasion de m’exprimer sur ce sujet, en poussant des propositions concrètes sur l’existence, la régulation, l’audit et le financement des partis politiques et des élections. Ces propositions ont été faites sur des plateformes publiques comme les médias, et dans le contexte de discussions privées lorsque j’étais toujours actif dans un parti politique – avec des fins de non-recevoir. 

Je crois profondément que ces réformes sont nécessaires, et c’est ma conviction la plus intime que nous n’aurons d’autres choix que de les mettre en place à l’avenir. Mais je suis également un pragmatique et je réalise que ces réformes ne peuvent se faire sans le consentement du peuple, c'est-à-dire sans un programme électoral où ces réformes seront clairement détaillées, expliquées et soumises au vote. La dernière fois qu’un parti politique avait tenté un tel exercice était en 2014, avec la proposition de deuxième République que nous connaissons. Nous connaissons également la décision du peuple par rapport à cela. Voici le contexte dans lequel nous opérons donc. 

Nous devons avoir des politiques économiques et industrielles efficaces, alliées à une politique d’endettement maîtrisée"

Dans un souci de transparence et d’égalité des chances, envisagez-vous, dans le cadre d'une future réforme électorale, d’instaurer un mécanisme où la date des élections ne serait plus à la discrétion du Premier ministre, mais fixée à l’avance par une instance indépendante ?

Je pense que ce serait souhaitable à l’avenir oui. Mais il ne faut pas s’arrêter là. Encore une fois, nous allons devoir aller plus loin. Et il est important selon moi de penser le mode d’existence même des partis politiques, avec la mise en place d’un Registrar of Political Parties. 

Ce Registrar permettra à l’institution concernée de procéder à des audits financiers des partis politiques, qui seront dans l’impératif de déclarer toutes leurs dépenses. Un tel Registrar pourrait également imposer des règles administratives aux différents partis politiques, comme l’élection d’un leader tous les cinq ans avec – permettons-nous de rêver – des limitations de mandats des leaders de partis. 

Nous pouvons également aller plus loin, avec une vaste réforme du financement même des élections par l’État. Dans ce cas de figure, l’État pourrait financer entièrement les dépenses électorales d’un parti politique si ce dernier atteint un certain pourcentage des votes. Ce remboursement intégral par l’État permettra de contrôler toutes les dépenses en les limitant selon un Schedule de ce qui peut être considéré comme des dépenses électorales et ce qui est en dehors de ces dépenses. 

Il existe beaucoup de possibilités en réalité mais, encore une fois, il faut que l’électorat soit consulté sur ces questions. Ceci n’empêche pas de faire bouger les choses par contre. Objectivement, le gouvernement actuel a été le seul à introduire des textes de loi concernant une réforme du financement des partis politiques à l’Assemblée nationale. Comme tout texte de loi, il y avait sans doute matière à critique et à amélioration, mais le gouvernement a eu le mérite de pousser un tel texte de loi qui n’a malheureusement pas été voté puisque l’opposition n’a pas suivi. 

De nombreuses voix appellent à un véritable renouvellement des élites politiques, estimant que les mêmes figures occupent l’espace politique depuis trop longtemps. Pensez-vous qu’il est temps de laisser place à une nouvelle génération de leaders pour répondre aux attentes d’une société en mutation ?

J’émettrai encore une petite subtilité à votre question. De nombreuses voix appellent à un renouvellement effectivement, mais ces voix ne sont pas encore majoritaires selon moi. Si nous regardons l’espace politique actuellement, nous constatons facilement que le renouvellement est en marche avec de nombreux jeunes qui se sont lancés dans l’arène politique, mais selon certaines modalités propres à la société mauricienne. Cette dernière est toujours ancrée dans le patriarcat et le traditionalisme. Le sociologue français Emmanuel Todd dirait que nous sommes une société construite sur le système des familles, et ce système des familles est tout aussi présent dans l’espace politique, économique, culturel ou encore associatif. 

Nous restons une société profondément effrayée par le changement, craignant que de nouvelles idées puissent ébranler nos certitudes souvent inconfortables. L’ironie est que, collectivement, nous désirons tous le changement. Nous voulons une meilleure éducation, une économie prospère, des salaires plus élevés, de meilleures conditions de vie et garder nos talents ici, au lieu de voir nos esprits les plus brillants quitter l'île pour de bon, provoquant une baisse de la productivité et ayant un impact sur les performances globales.

Les dynasties politiques se nourrissent de cette peur du changement, se présentant comme les seuls garants du statu quo. Et jusqu’à présent, ni l’électorat ni les membres des partis n’ont montré beaucoup d’intérêt à remettre en question ces dynamiques bien ancrées. 

Prenez par exemple le cas de mon amie Joanna Bérenger qui a souvent publiquement justifié son engagement politique par le fait que ce soient les militants qui l’ont poussée à s’engager dans le parti dont son père est le leader. Par-delà les questions que cette affirmation pose quant aux pressions qu’elle a dû subir, elle illustre elle-même clairement mon point. 
Est-il temps qu’une nouvelle génération de leaders émerge ? Si un Registrar of Political Parties avec les modalités dont j’ai fait l’énumération était en place, la question ne se poserait même pas. Mais puisqu’elle est posée, je vous invite à la poser à Navin Ramgoolam et à Paul Bérenger. Ce dernier est dans l’opposition depuis 2005 et Navin Ramgoolam n’est même plus élu depuis 2014. Ils ont eu plus d’une décennie pour renouveler leurs partis, moderniser leurs instances et préparer la relève. Est-ce que cela a été fait ? Dans le cas de Paul Bérenger, il a même eu dans son parti certains des esprits politiques les plus profonds et des compétences les plus reconnues de notre pays, mais ils se sont tous désolidarisés de lui après quelque temps. Once is an accident ; twice is a coincidence ; three times is a pattern…

dynasties politiques se nourrissent de cette peur du changement, se présentant comme les seuls garants du statu quo"

L'un des reproches adressés à la classe politique est son manque d'innovation dans la création de nouveaux secteurs économiques. Cependant, il faut reconnaître au gouvernement en place d'avoir été pionnier dans le lancement du cannabis médical à Maurice. Pensez-vous que le potentiel du cannabis peut être davantage exploité, et que ce secteur pourrait se développer au point de devenir une véritable industrie ?

La création de nouveaux secteurs économiques nécessite trois éléments clés : de l’argent, des travailleurs qualifiés et un accès aux marchés. En d’autres termes, vous avez besoin d’investissements, de personnes possédant les compétences adéquates et de la capacité de vendre à d’autres pays. 

Du côté du marché, le gouvernement a réalisé des progrès en signant des accords avec des pays comme la Chine et l’Inde, aidant ainsi les industries mauriciennes à accéder à davantage de marchés mondiaux. Quant au développement des compétences, il est clair que nous devons repenser notre système éducatif. Les écoles et les programmes de formation devraient se concentrer sur l’amélioration de notre capital humain, notre principale ressource. 

Nous devons également nous attaquer au problème du vieillissement de la population et à son impact sur la productivité. Les jeunes Mauriciens sont contraints de travailler plus dur pour maintenir le niveau de vie. Pour y remédier, nous devons investir à la fois dans les ressources humaines et dans la technologie, comme l’automatisation et la numérisation, afin d’améliorer la productivité. 

Le contrôle qualité est également crucial, et le gouvernement se doit de garantir des normes élevées dans de nouveaux secteurs potentiels. Il faut que le « Made in Mauritius » devienne le gage d’une qualité mondialement reconnue. 

Il faut, enfin, identifier sérieusement des secteurs qui pourraient être porteurs sur le long terme pour Maurice. Vous mentionnez celui du cannabis médical, qui peut également se faire dans une industrie élargie du chanvre. De ce que je comprends, il s’agit d’un secteur porteur qui offre des potentiels importants pour la croissance économique et la création d’emploi.

Mais nous devons, pour maximiser cela, changer nos mentalités. Surtout que nous faisons face au fléau des drogues synthétiques et des drogues dures, fléau qui appelle à revoir notre attitude face au cannabis. Mais, encore une fois, nous sommes devant l’impératif d’un changement de mentalité. Et ce changement de mentalité doit se faire à tous les niveaux si nous souhaitons relever les immenses défis qui sont les nôtres. 

 

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