À chaque saison de pluies, de sécheresse et de temps cyclonique, il est toujours question de la hausse quasi-immédiate du prix des légumes.
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S’en suit le débat sur l’importation de certains légumes frais ou en boîte. Maurice, jadis une économie reposant sur l’agriculture, peut-elle se ressaisir et s’atteler à produire des légumes frais en quantité suffisante et cela tout au long de l’année ?
Kamlesh BhuckoryFaisons d’abord le point sur la situation dans les champs. Le passage du cyclone Carlos – du samedi 4 au mardi 7 février – a provoqué un excédent de pluies et des inondations dans des régions Sud et Est du pays. Pour la période d’octobre à janvier, les Plaines-Wilhems (hauts plateaux) sont notre principal fournisseur de légumes frais. Or, dans cette partie de l’île où il continue à pleuvoir, les terres sont saturées en eau. Cela a donc eu un impact négatif sur la production de carottes, choux, courgettes et concombre, entre autres.
Ceci étant dit, comment expliquer la soudaine hausse dans les prix ? Kreepalloo Sunghoon, secrétaire de la Small Planters Association (SPA), l’attribue à une certaine psychose dans la population, tant au niveau des planteurs, revendeurs et consommateurs. Le revendeur lève une plus forte quantité de légumes lors des ventes à l’encan. Ensuite, le consommateur se dit qu’il y a une pénurie à venir et augmente ses achats. Bref, on entre dans une logique de spéculation.
Passé ce cap de la bulle spéculative, on devrait s’attendre à une certaine baisse des prix. Après, elles grimperont à nouveau et vont durer entre 20 à 25 jours selon Kreepalloo Sunghoon, le temps que la situation dans les champs se stabilise. Pendant cette période, les prix seront de 20% plus chers que la moyenne. Et il faudra attendre jusqu’à fin avril, souligne notre interlocuteur.
Production en hausse
C’est pendant cette période de flottement que le pays est confronté à une pénurie de légumes frais et la question d’autosuffisance refait surface. Il s’agit avant tout d’assurer une production et fourniture égale tout au long de l’année. Cependant, le bât blesse au niveau des pratiques culturales existantes et la disparité entre grands et petits. L’autosuffisance n’est guère utopique à voir le niveau de production dans le pays.
Selon Statistics Mauritius, pour les six premiers mois de 2016, les planteurs ont cultivé tout type de variété de légumes sur 3,766 hectares. La production a été de 44,175 tonnes, ce qui représente une augmentation de quelque 43% par rapport à la période similaire en 2015. La récolte de pomme d’amour s’est élevée à 4,438 tonnes contre 2,465 tonnes au premier semestre de la précédente année.
« En moyenne, tout au long de l’année, le pays est autosuffisant jusqu’à 90%. Nous avons le potentiel d’atteindre le seuil maximal. Notre point fort c’est que nous avons les personnes compétentes, les terres et l’expérience. Ce qu’il faudrait c’est l’encadrement et le soutien financier afin de changer le système existant. Nous devons aussi nous atteler à mettre en place un mécanisme de stockage », affirme le secrétaire de la SPA. «Il faudrait aussi créer les conditions pour inciter les jeunes à s’engager dans cette industrie.»
Au-delà des pratiques industrielles modernes à adopter et à introduire dans l’agriculture mauricienne, on devrait également effectuer un retour aux sources, où les Mauriciens disposaient d’une parcelle dédiée à la production agricole pour répondre à ses besoins immédiats. « On peut produire jusqu’à 60% de ce que nous consommons en légumes à la maison. Des exemples sont les haricots, les aromates ou les poivrons. Cette culture requiert peu d’espace », affirme Eric Mangar, agronome et directeur du Mouvement pour l’autosuffisance alimentaire, une organisation non-gouvernementale qui milite pour le développement agricole et social.
« Cultiver à la maison est également un moyen d’assurer sa sécurité nutritionnelle, c’est-à-dire des légumes de qualité, qui n’ont pas été traités avec des fertilisants et des pesticides lors de la pousse. C’est une voie à promouvoir au sein de la famille mauricienne.»
Combien ça coûte?
Le prix des légumes est dans une fourchette au-dessus de la moyenne. Ci-dessous la moyenne des prix par demi-kilo estimée par la Small Planters Association.
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Takesh Luckho, économiste et chercheur à KMDL Consults Limited :« L’autosuffisance réduirait le déficit commercial et l’inflation »
Dans ce mini-entretien, notre interlocuteur aborde les retombées positives pour le pays, si on arrive à produire localement, dans une certaine mesure, ce dont la population en a besoin. Takesh Luckho est d’avis que pour le long terme, on devrait s’associer aux pays voisins afin de s’assurer une continuité dans la fourniture de produits alimentaires.
L’autosuffisance alimentaire est-elle possible pour Maurice ?
Le concept de l’autosuffisance alimentaire ne doit pas être confondu avec celle de la sécurité alimentaire. L’autosuffisance peut être définie comme « la possibilité pour un pays de subvenir aux besoins alimentaires de son peuple par sa seule et propre production ». La sécurité alimentaire est un terme plus complexe qui exige l’existence d’une offre locale suffisante pour satisfaire les besoins de la population mais aussi d’une demande solvable de cette dernière. Malheureusement, avec sa maigre production locale de fruits et légumes – qui est traditionnellement artisanale à Maurice, et face aux besoins exponentiels d’une économie en constante évolution, le pays est aujourd'hui dans l'incapacité d'assurer l'autosuffisance et la sécurité alimentaire de la population.
En quoi ce serait bénéfique?
Imaginons un instant que durant l’année en cours, le pays parvient à garantir une autosuffisance alimentaire à la population. En théorie, les retombées de ce scenario improbable vont être macro-économique ainsi que micro-économique.
Voyons d’abord l’impact macro-économique. Les principaux rapports publiés par la Banque mondiale montre qu’en 2015, les importations alimentaires de Maurice étaient situées à environ 22% des importations commerciaux. L’autosuffisance alimentaire va, à coup sûr, soulager la balance commerciale du pays et en même temps diminuer l’effet inflationniste des produits alimentaires importés.
Pour ce qui est de l’effet micro-économique, comme à Maurice la production agricole est essentiellement le fait de petites unités familiales, celles-ci vont percevoir une amélioration constante de leur pouvoir d'achat. Cela peut avoir des retombées indirectes sur les chiffres de la croissance dans le pays.
Quelle approche préconiseriez-vous afin que nous puissions nous rapprocher de l’autosuffisance?
Vue la superficie des terres allouée aujourd’hui à la production alimentaire à Maurice, l’autosuffisance alimentaire en autarcie restera une utopie. Cultiver un potager ou un verger permet aux petites unités familiales de subvenir à leur besoins et d’économiser sur le court et moyen termes. Mais, entretenir son potager ou son verger a un coût qui n’est pas soutenable pour les gens qui ne sont pas des féru de jardinage. Pour parvenir à une autosuffisance sur le long terme, les autorités mauriciennes doivent réfléchir à des projets en collaboration avec nos pays voisins – où des lopins de terre fertiles sont à exploiter.
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