
La ministre de l’Égalité des genres et du bien-être de la famille, Arianne Navarre-Marie, relance le placement familial. Dans l’entretien qui suit, elle revient sur le placement du bébé abandonné à Stanley. La ministre parle de la réforme de l’adoption, de la relance de la Foster Care Unit et du soutien aux mères en détresse. Elle dévoile aussi les mesures pour mieux protéger les enfants et accompagner les familles.
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Vous avez traversé plusieurs échéances électorales. Comment percevez-vous l’évolution du rôle et de la visibilité des femmes dans la sphère politique aujourd’hui ?
Vous savez, quand je me suis engagée en politique en 1982, être une femme candidate relevait presque de l’audace. C’était un monde d’hommes, et il fallait une force intérieure immense pour s’imposer. Quarante ans plus tard, je peux dire avec fierté que la femme mauricienne a conquis sa place dans la sphère politique, non pas en demandant la permission, mais en affirmant sa légitimité.
Aujourd’hui, nous avons des femmes ministres, des Junior Ministers, une Chief Whip, et même une femme qui préside les débats à l’Assemblée nationale. Mais au-delà des titres, ce qui me réjouit, c’est la montée en puissance d’une parole féminine qui transforme les politiques publiques.
Je suis fière d’appartenir à un parti, le MMM, qui a toujours cru en l’émancipation des femmes. Lors des dernières élections municipales, nous avons présenté cinq femmes sur six candidats dans ma circonscription, dont une jeune de 21 ans. C’est cela, l’avenir : transmettre le flambeau, ouvrir la voie, et ne jamais revenir en arrière.
Au sein du MMM, vous êtes reconnue pour votre fidélité et votre attachement aux principes du Bureau politique. Quelles convictions personnelles nourrissent votre engagement au sein du parti et dans l’action publique ?
Je suis une femme de principes, oui — mais surtout une femme de convictions. La politique ne peut être un terrain de compromis sur les valeurs. La loyauté envers le Bureau politique, c’est aussi la loyauté envers les citoyens qui nous font confiance.
Depuis mes débuts, je me bats pour une société où chaque individu est reconnu pour ce qu’il est, et non pour ce qu’il possède ou d’où il vient. Je crois en une République de dignité, où les compétences priment sur les privilèges.
Ces convictions irriguent mon action publique. C’est pourquoi j’ai lancé les Family Support Services (FSS), des guichets uniques qui regroupent tous les services d’aide aux enfants et aux familles. Parce qu’il est inadmissible qu’une victime de violence ait à frapper à dix portes pour obtenir de l’aide. Mon militantisme est un moteur, il me pousse à transformer les idées en solutions concrètes.
Le drame du nourrisson abandonné à Stanley a profondément touché l’opinion publique. Quelles mesures concrètes votre ministère met-il en œuvre pour prévenir de tels cas et accompagner les mères en détresse ?
Cette histoire m’a bouleversée. Mais elle a aussi révélé la force de notre solidarité nationale. Je tiens à saluer l’habitant de Stanley qui a agi avec humanité, ainsi que le personnel de l’hôpital Victoria qui a entouré ce bébé d’amour et de soins. Aujourd’hui, Solea est placée dans une famille d’accueil, et c’est une victoire de la vie sur l’abandon.
Mais nous devons aller plus loin. L’Adoption Bill, que je porterai bientôt devant l’Assemblée, apportera des réponses claires à ces situations. Il encadrera mieux les adoptions, tout en prévoyant des mécanismes pour les mères en détresse.
Nous avons aussi renforcé nos services d’accompagnement : le Gender Service, le National Women’s Council et le National Women Entrepreneur Council (NWEC), qui vient d’organiser une formation en entrepreneuriat pour les femmes victimes de violence. Notre message est clair : aucune femme ne doit se sentir seule. Nous sommes là, avec elles, pour les aider à se relever.
Cet événement tragique vous amène-t-il à envisager une réforme ou un renforcement du dispositif de placement familial à Maurice ?
Absolument. À mon arrivée, la Foster Care Unit était en sommeil. Je l’ai réveillée. Le 31 mai dernier, nous avons célébré le Foster Day à Port-Louis, et depuis, les demandes affluent. Cela montre que les Mauriciens ont du cœur, et qu’ils sont prêts à ouvrir leur foyer à un enfant.
Mais accueillir un enfant, ce n’est pas un geste symbolique — c’est un engagement profond. C’est pourquoi nous avons mis en place un processus rigoureux, avec des évaluations sociales et psychologiques. Oui, cela prend du temps, mais c’est le prix à payer pour garantir la sécurité et le bien-être de l’enfant.
Ma conviction est simple : un enfant doit grandir dans une famille, pas dans une institution. Et nous faisons tout pour que cette conviction devienne réalité.
Vous avez récemment annoncé une réforme des crèches visant à mieux encadrer leur fonctionnement. Quelles sont, selon vous, les principales failles du système actuel que cette réforme entend corriger ?
Les crèches sont bien plus qu’un service de garde : ce sont des lieux de développement, de socialisation et de sécurité. Pourtant, trop de gestionnaires nous ont dit qu’ils ne pouvaient plus suivre les exigences réglementaires. Il fallait agir.
Nous avons donc lancé une grande concertation avec les acteurs du secteur — petits et grands. Nous avons écouté, trié et rédigé une réforme qui tient compte de leurs réalités tout en renforçant la qualité et la sécurité. Ces propositions sont entre les mains du State Law Office. Dès qu’elles seront validées, nous les mettrons en œuvre. Car sans crèches accessibles et fiables, l’autonomisation des femmes reste un vœu pieux. Et moi, je veux que ce vœu devienne une réalité.
L’inclusion des enfants en situation de handicap dans les structures d’accueil reste un défi majeur. Comment votre ministère veille-t-il à ce que ces petits ne soient pas laissés pour compte dans les crèches et les programmes éducatifs ?
Les enfants en situation de handicap occupent une place centrale dans mon engagement. La semaine dernière, j’ai lancé une campagne nationale pour une petite enfance inclusive. Cette initiative vise à bâtir une société où chaque enfant, chaque parent et chaque professionnel bénéficie de soutien, de reconnaissance et de dignité.
Malgré les structures existantes, trop d’enfants présentant des retards de développement restent sans repères, et trop de familles vivent dans l’angoisse. Depuis ma prise de fonction, j’ai reçu de nombreux appels de parents en détresse. Cette campagne est une réponse concrète : elle sensibilise les gestionnaires de crèches, forme les éducateurs et crée des ponts entre les services sociaux et les familles. Chaque parcours est unique et précieux. Et chaque enfant mérite l’égalité des chances.
L’épisode politique impliquant Mme Anishta Babooram a révélé certaines tensions internes. Qu’en est-il ?
Je tiens à le dire avec clarté : il n’y a jamais eu de tensions internes au sein de mon ministère. Depuis mon arrivée en novembre 2024, le travail se poursuit avec rigueur et sérénité. Mon énergie est entièrement tournée vers les enfants, les familles et les victimes de violence.
Les enjeux sont trop graves pour se laisser distraire. Nous avançons, avec nos équipes, nos partenaires et nos convictions. Le ministère fonctionne, et il fonctionne bien — parce que notre mission est plus grande que les individualités.
Quelles actions votre ministère prévoit-il pour prévenir la consommation de drogues chez les femmes, notamment les jeunes, et offrir un accompagnement adapté à cette population vulnérable ?
La consommation de drogues chez les femmes est une réalité préoccupante. Le gouvernement a réagi avec force en créant la National Agency for Drug Control (NADC), confiée à un homme d’expérience dans la lutte contre la drogue. Mon ministère y contribue activement, mais aussi à travers des campagnes de sensibilisation dans près de 200 centres sociaux et communautaires à travers l’île.
Nous travaillons main dans la main avec la police, les ONG et les leaders communautaires pour toucher les femmes là où elles vivent, là où elles souffrent et là où elles espèrent. Notre approche est holistique : prévention, accompagnement, réinsertion. Parce que derrière chaque dépendance, il y a une histoire. Et derrière chaque histoire, une possibilité de renaissance.
On sait que les jeunes filles consommatrices de drogues sont particulièrement exposées à la violence, à l’exploitation et à la marginalisation. Que fait votre ministère pour renforcer la prévention et la protection dès le plus jeune âge ?
Nous avons choisi d’agir là où les blessures commencent — dans les silences, dans les non-dits, dans les familles qui cherchent des repères. Mon ministère ne se contente pas de faire de la prévention en surface. Nous accompagnons, nous écoutons, nous tissons des liens.
Dimanche dernier, à Résidence La Cure, notre programme Parental Strength Circle a été un véritable moment de grâce. Pour la première fois, des parents ont découvert les rêves de leurs enfants — le métier qu’ils veulent embrasser, les passions qui les animent. Ce n’est pas une simple causerie, c’est un espace de partage, de reconnexion. Chacun se raconte, chacun puise dans les expériences des autres des idées, des forces, des ressources. Et les parents repartent avec une responsabilité nouvelle : celle de nourrir l’ambition de leurs enfants, de les accompagner avec amour et lucidité.
Nous sommes là comme facilitateurs. Ce sont nos coordinatrices qui donnent de leur temps, surtout les dimanches, pour faire ce travail d’accompagnement des familles. Leur dévouement est admirable, et je tiens à leur dire merci. Ce sont elles qui portent, avec nous, cette cause qui nous tient à cœur : le bien-être des familles mauriciennes et la protection des jeunes filles contre toutes les formes de violence et de marginalisation.
Notre approche est humaine, enracinée et profondément respectueuse des parcours de vie. C’est ainsi que nous bâtissons une prévention durable en donnant aux familles les moyens de se reconstruire et aux jeunes filles les clés pour rêver sans peur.
Le plan d’action 2025–2030 pour l’égalité des genres affiche des ambitions fortes. Quels sont les indicateurs clés que vous suivez pour en mesurer l’impact réel sur le terrain ?
Ce plan n’est pas un simple document administratif. C’est une réponse directe au cri de notre société. Depuis sept mois, avec mes collaborateurs et les officiers du ministère, nous avons sillonné le pays, organisé les Assises de la Femme et de la Famille et co-construit avec les femmes, les enfants, les pères et les familles un projet profondément transformateur.
Aujourd’hui, ce plan — Un Nouvel Horizon pour l’Enfance, l’Égalité des genres et le Bien-Être Familial — est en pleine mise en œuvre. Et les indicateurs que nous suivons sont concrets, humains et porteurs de sens :
Moins d’enfants dans les shelters : grâce à la relance de la Foster Care Unit et au renforcement du placement familial, nous observons une baisse significative du nombre d’enfants en institution.
Prise en charge plus rapide et plus efficace des victimes : nos huit Family Support Services (FSS), de véritables guichets uniques, fonctionnent à plein régime. Les femmes et les familles accèdent désormais à un accompagnement intégré, sans fragmentation ni errance administrative.
Des familles qui arrivent à souffler : les retours du terrain sont clairs. Nos ateliers de parentalité, nos campagnes sur la discipline non violente et la médiation familiale permettent aux familles de retrouver équilibre et confiance.
Des décisions fondées sur les données : le Système d’Information Genre que nous avons lancé nous permet de suivre les progrès en matière d’égalité, d’accès aux services et d’autonomisation économique.
Deux projets de loi structurants : le Domestic Abuse Bill et l’Adoption Bill sont en phase finale. Ils traduisent notre volonté de moderniser la protection des victimes et de garantir que chaque adoption serve l’intérêt supérieur de l’enfant.
Ce que nous mesurons, ce n’est pas seulement l’efficacité des politiques. C’est le soulagement des familles, la sécurité retrouvée des enfants, la dignité restaurée des femmes. Et chaque indicateur est un signal que nous avançons dans la bonne direction. Nous avons le désir d’une société plus juste, plus inclusive et plus humaine.

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