L’une des mesures phares de l’alliance PTr-MMM-ND porte sur l’introduction d’un congé de maternité s’étalant sur un an. Cette mesure progressiste envers les femmes fait, toutefois, sourciller plus d’un observateur.
L’annonce faite
C’est une des principales annonces de l’Alliance PTr-MMM-ND lors du meeting du 1er-mai. Elle a, en effet, annoncé qu’elle introduira un congé de maternité d’une année si elle est élue aux prochaines législatives. Du côté des syndicats, on se prononce en faveur des congés parentaux.
La pratique actuelle
Le congé de maternité est de 14 semaines. Auparavant, on n’en comptait que 12. Mais, le nombre de semaines a été revu à la hausse suite à la convention de l’Organisation internationale du travail (OIT).
Combien de femmes pourraient être concernées par une telle mesure ?
Le pays compte environ 12 000 naissances chaque année (Ndlr : 12 096 naissances en 2022 et 12 872 en 2023). Il faut, cependant, prendre en considération qu’une partie de ces femmes ne travaillent pas. Ces données ne sont pas disponibles.
Les implications d’une telle mesure
Les femmes pourraient passer plus de temps avec leurs enfants
Au lieu de 14 semaines, les femmes, qui mettront un enfant au monde, pourront avoir droit à un an de congé. « C’est une bonne chose pour les mères car elles seront plus proches de leurs enfants », avance Manisha Dookhony, économiste.
Un impact positif sur le taux de natalité
Une telle mesure pourrait inciter les couples à avoir plus d’enfants. Ce qui permettrait d’augmenter le taux de natalité, qui est de 10,2 en 2023 contre 9,6 en 2022. À savoir que le nombre de naissances pour 1 000 habitants à Maurice a diminué de 75 % au cours des 60 dernières années. « Les faibles taux de fécondité ont entraîné une diminution de la part des jeunes dans la population totale », avait indiqué Statistics Mauritius dans un récent rapport. De même, le pays fait face à un vieillissement progressif de la population âgée elle-même. Le nombre de personnes âgées de 80 ans à monter a été multiplié par sept au cours de cette période.
Des risques sur le recrutement des femmes
Pour Manisha Dookhony, on encourt le risque d’avoir un « negative bias » contre les femmes au moment du recrutement, notamment envers les femmes en âge d’enfanter, et cela même si elles ont les qualifications requises pour le job. « L’employeur va recruter quelqu’un d’autre à la place. D’où l’importance d’avoir un équilibre où le papa a son rôle à jouer », fait-elle ressortir.
La carrière des femmes pourrait être affectée
« Un an de maternité, même si c’est une initiative louable, peut avoir un impact sur la carrière des femmes car on parle d’une longue période. Une telle mesure peut inciter beaucoup d’entreprises du privé à revoir leurs procédures de recrutement et de promotion. Ce qui peut affecter la carrière des femmes », avance Lillka Cuttaree, Gender Specialist et directrice de KIP Center for Leadership.
Manisha Dookhony partage les mêmes craintes. « D’après une étude que nous avons faite sur le secteur financier, il a été observé qu’une des conséquences pour les femmes qui reviennent d’un congé de maternité est que leurs portefeuilles de clients ont été partagé avec d’autres collègues. Et ces clients, pour des questions de relation ou de confidentialité, n’aiment pas qu’on les bouge d’une personne à une autre. C’est le cas dans plusieurs secteurs », indique Manisha Dookhony. Il est donc difficile, poursuit-elle, pour l’employée de reprendre son travail comme elle l’avait laissé à son départ. « Et là, on ne parle que de trois mois de congé ! Imaginez pour une période étendue sur un an ! » explique l’économiste. « De même, certaines activités sont très dynamiques avec de nouvelles normes qui sont introduites fréquemment. Avoir un long congé risque d’être difficile pour l’employée. À titre d’exemple, pour une pilote, il faut une certification. Celle-ci est calculée sur le nombre d’heures de vol effectuées sur une année », ajoute Manisha Dookhony.
Lillka Cuttaree fait, elle, ressortir que certaines femmes, dans une position de leadership à titre d’exemple, ne pourront pas s’absenter pour plus de trois mois. « Elle pourront faire le 4e mois en flexitime, mais un an, ce serait compliqué. Il faut mettre en place tout un écosystème pour permettre aux femmes d’être valorisées au travail avec plus de flexitime, plus de crèches dans les entreprises, entre autres mesures », recommande-t-elle.
Une contrainte pour l’économie
François de Grivel, industriel, ne mâche pas ses mots. « Je comprends les propositions faites, mais il faut être raisonnable. Il ne faut pas être démagogue. Nous ne sommes pas un pays aussi développé pour considérer qu’une année de congé de maternité soit absolument nécessaire. Notre économie ne supportera pas une telle contrainte », avance-t-il.
Si les propositions dépassent certains niveaux, poursuit-il, la confiance disparaît. « De telles mesures sont un peu exagérées. Mais, au-delà du coût pour l’entreprise et l’État dans une certaine limite, le pays ne sera pas capable de supporter l’ensemble de ces coûts », fait-il ressortir, tout en indiquant que Maurice est déjà aligné avec plusieurs pays en Europe et en Amérique.
Une mesure déjà proposée…
…par la CTSP
Jane Ragoo, secrétaire générale de la Confédération des Travailleurs des Secteurs Privé et Public, indique la confédération avait proposé un congé parental de six mois où les deux parents se partageraient la responsabilité de l’enfant. « Les frais doivent être partagés par l’État et l’entreprise. Dans certains pays, le congé de maternité est de trois ans », souligne-t-elle.
…l’ONG Raise Brave Girls
L’ONG Raise Brave Girls a fait la même proposition que l’alliance il y a trois/quatre ans. « Nous recommandons un congé payé d’un an, mais que ce soit plus un ‘parental leave’, où les congés sont partagés entre la maman et le papa. Ce sera au couple de choisir en fonction de leur carrière », préconise Prisheela Mottee, présidente et fondatrice de l’ONG.
Des recommandations pour des congés parentaux
Si elle trouve « encourageant » et « important » d’avoir un plus long congé de maternité, Lillka Cuttaree souligne, cependant, qu’aujourd’hui, le débat est plus orienté sur les congés parentaux. « Dans le contexte actuel où les politiques publiques et privées encouragent plus de diversité dans les entreprises, il faut des solutions plus intégrées pour valoriser les femmes », suggère-t-elle.
Voici quelques solutions préconisées par Lillka Cuttaree : plus de flexitime, la révision du système des garderies, l’introduction des « parental leaves » où les papas pourraient aider à s’occuper de l’enfant. Ces mesures, souligne-t-elle, créeront des meilleures conditions pour que les femmes restent au travail. « Ces solutions doivent être intégrées et il faut qu’il y ait un dialogue avec les entreprises privées », soutient Lillka Cuttaree.
De son côté, Manisha Dookhony est d’avis qu’il faut prôner les congés parentaux comme c’est la pratique dans des pays scandinaves, à titre d’exemple. « Le papa doit aussi pris en considération. Il faut évoluer vers un partage de tâches au sein de la famille », suggère-t-elle. Manisha Dookhony recommande aussi un ajustement de ce type de congé. « Au lieu d’avoir un congé d’un an d’un trait, pourquoi ne pas le rendre modulable pendant la petite enfance de l’enfant, soit jusqu’à ses trois ans. Il faut savoir qu’un enfant tombe souvent malade quand il est petit. Si le congé est partagé entre le père et la mère et si c’est modulable au niveau de la période, cela ne va pas tout bousculer.
Ce ne sera pas trop difficile pour la mère de reprendre le travail. De même, l’impact du ‘non work’ sur l’employeur va être moins important », explique-t-elle. Quant à Jane Ragoo, elle est d’avis que l’État doit « prendre en charge » l’enfant de sa naissance jusqu’à ce qu’il travaille. D’où sa recommandation à titre personnel pour un congé parental jusqu’à les 3 ans de l’enfant. « Il n’est pas évident d’acheter des couches, de payer la garderie... C’est extrêmement cher. L’État paie déjà l’école pré-primaire, les examens du SC/HSC… Qu’il prenne en charge l’enfant dès sa naissance », avance-t-elle.
Et le financement…
Si l’Alliance PTr-MMM-ND a annoncé un congé de maternité d’une année, elle n’a pas précisé si ce sera un congé payé ou pas. « Dans certains pays, les mères peuvent prendre des ‘non paid leaves’. Dans d’autres pays, les congés sont entièrement ou en partie payés. Il faudrait connaître les détails avant de mesurer l’impact d’une telle mesure sur le plan financier », fait ressortir Manisha Dookhony.
Quelques exemples dans le monde…
Congé de maternité
Royaume-Uni : 52 semaines
Bulgarie : 410 jours dont 45 à prendre avant la date de naissance supposée de l’enfant
Allemagne : un congé prénatal de six semaines et un congé postnatal de huit semaines
Inde : 26 semaines de congé maternité rémunéré pour les deux premières naissances d’une mère
Congé parental
Suède : 16 mois
Pologne : 41 semaines
Espagne :
jusqu’à 3 ans
Business Mauritius
Pour des consultations élargies afin de déterminer les mesures les plus adaptées
« Au niveau de Business Mauritius, une de nos priorités phares sous la commission du capital social reste une plus grande inclusion de la femme dans le marché du travail. Cela passe par une reconfiguration de plusieurs structures de travail afin qu’elles soient mieux adaptées non seulement aux femmes, mais, de manière plus vaste, aux responsabilités familiales et parentales des employés, des responsabilités qui revêtent au moins autant d’importance que leurs responsabilités professionnelles », indique-t-on au niveau de Business Mauritius. Au niveau de l’association la demande a déjà été faite, par exemple, dans le sens d’un congé parental qui prendrait en compte le rôle des pères aussi bien que des mères lors de l’arrivée d’un enfant.
« Il y a plusieurs mesures qui ont pu être appliquées de par le monde pour arriver à ces objectifs, et celles-ci peuvent inclure le congé de maternité prolongé, le congé parental, ou encore la flexibilité aux heures de travail et le ‘remote working’, ou d’autres mesures encore telles que le congé menstruel. Pour Maurice, il serait important de tenir des discussions et des consultations qui incluraient employés, employeurs, institutions et autres acteurs du public et du privé afin de déterminer quelles seraient les mesures les mieux adaptées à notre contexte et nos réalités locales », recommande Business Mauritius.
Bon à savoir
Le congé de maternité est de 18 semaines pour les employées du Groupe MCB. De plus, deux semaines de congé supplémentaires, soit 20 semaines, sont accordées aux employées donnant naissance à plusieurs bébés ou à partir de leur troisième enfant.
Ces pays qui ont adopté les congés mensuels
Japon (1947)
Indonésie (1948)
Corée du Sud (2001)
Zambie (2015)
Taïwan
Espagne (2023)
Déjà une réalité chez Capital Horizons
À Maurice, la compagnie Capital Horizons propose déjà le « Menstruel and Motherhood Leave Policy ». Ses employées peuvent ainsi bénéficier d’un jour de congé ou d’un maximum de trois jours de congé pour chaque cycle menstruel.
Congés menstruels : accueil mi-figue, mi-raisin
Près d’une femme sur cinq souffre de douleurs atroces pendant leurs règles. Ce qui affecte leurs activités quotidiennes. L’annonce des congés menstruels par l’Alliance PTr-MMM-ND est favorablement accueillie. « C’est une des propositions de la CTSP. Nombreuses sont les femmes et jeunes filles qui souffrent tous les mois. Ce n’est pas juste, car elles doivent puiser dans leurs congés annuels ou congés de maladie. Les congés menstruels sont une réalité dans plusieurs pays. Il faudrait, cependant, qu’il y a un certificat médical, car ce ne sont pas toutes les femmes qui en souffrent », souligne Jane Ragoo. Prisheela Mottee abonde dans le même sens. « Le congé menstruel demeure un sujet tabou. Nous avons lancé une pétition pour l’introduction de deux jours de congés pour les jeunes filles et les femmes qui ont des douleurs atroces. (Ndlr : la pétition est toujours en ligne et compte plus de 12 000 signataires). Il faudrait que ces employées aient un papier médical prouvant qu’elles ont des règles douloureuses. Il faudrait que ce soit un congé spécial qui ne soit pas déduit dans les congés existants », souligne-t-elle.
François de Grivel n’est pas du même avis. « Il ne faudrait pas imposer un congé où l’on aurait un quart des employés du pays qui arrêteront de travailler certains jours chaque mois. Cela ne me paraît pas raisonnable. Il ne suffit pas seulement de décider, il faut qu’il y ait une concertation objective entre ceux qui proposent une telle solution et ceux qui doivent les appliquer », recommande-t-il.
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