Le 7 février dernier, la Banque de Maurice (BoM) émit un avis public pour dire que « only a bank duly licensed by the Bank of Mauritius may make use of the word ‘bank’ ». Qui était visé par cette mise en garde si inattendue ? Personne ne pouvait le dire. Mais trois semaines plus tard, un article de presse fit éclater l’affaire Alvaro Sobrinho, révélant les dessous de l’octroi du premier permis de banque d’investissement par la Financial Services Commission (FSC). Suffit-il qu’une société n’utilise pas le mot banque dans son nom pour qu’elle puisse exercer une activité bancaire parallèle, hors du champ de la BoM ? Car « investment banking » est bien « shadow banking », qu’on surnomme la finance de l’ombre. Et il ne manque pas de zones d’ombre autour du mystérieux investisseur angolais.
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Utilisée pour la première fois en 2007 par l’économiste Paul McCulley pour décrire un phénomène bien américain qu’est la transformation des crédits hypothécaires en titres, l’appellation shadow banking désigne les établissements financiers non bancaires qui pratiquent la transformation des échéances. Tout comme les banques commerciales qui mobilisent des dépôts pour financer des prêts à plus long terme, les banques parallèles empruntent des fonds à court terme sur le marché monétaire pour acheter des actifs à plus longue échéance. Ces dernières ne peuvent toutefois pas emprunter en urgence à la Banque centrale, puisqu’elles ne sont pas soumises à la réglementation bancaire. Elles ne prennent pas des dépôts des particuliers mais ont recours au financement de marché (wholesale funding), à des fonds de plusieurs investisseurs disposés à prêter à court terme.
Ainsi donc, l’activité bancaire parallèle assure la fonction première d’une banque, qui est l’intermédiation du crédit (prendre l’argent des épargnants pour le donner aux emprunteurs). Trois autres aspects de celle-ci sont la transformation des liquidités (utiliser des engagements liquides pour acheter des actifs plus difficiles à écouler), l’effet de levier (emprunter de l’argent pour acheter des actifs fixes) et le transfert du risque de crédit (prendre le risque de défaut d’un emprunteur et le transférer à une tierce partie).
De fait, l’activité de banque parallèle est similaire à l’activité de banque de dépôt en ce sens qu’elle transforme échéance et risque. En d’autres mots, les banques parallèles accordent du crédit comme les banques traditionnelles. Pour cette raison, on ne comprend pas pourquoi les banques parallèles ne peuvent pas tomber sous la coupe de la Banque centrale sous prétexte qu’elles ne sont pas autorisées à accepter des dépôts. Elles ont pourtant joué un rôle essentiel dans le déroulement de la crise financière de 2008. N’a-t-on rien appris à Maurice ?
Cherchant à reprendre ses billes dans la saga Alvaro Sobrinho, la Banque de Maurice écrit que « the Bank agreed that Investment Banking Licensing be transferred to the Financial Services Commission, provided that such activity does not entail deposit taking ». Sous Rundheersing Bheenick, la BoM aurait exigé la supervision de toutes les activités bancaires indistinctement. Par ailleurs, l’ancien gouverneur avait proposé de fusionner la BoM et la FSC, mais ses détracteurs y voyaient à tort une manœuvre pouvoiriste, voire une tentative de protéger le groupe BAI. Pour avoir accusé celui-ci d’être « involved in shadow banking », l’actuel gouverneur Ramesh Basant Roi devrait remettre au goût du jour cette idée de fusion.
Car c’est le meilleur moyen de mettre le secteur financier à l’abri des ingérences politiques. En matière de régulation, la BoM est réputée pour sa rigueur objective tandis que la FSC est connue pour sa légèreté, si ce n’est pour sa fermeté sélective. Contrairement à la Bank of Mauritius Tower, où l’on respire le professionnalisme, la FSC House ressemble à une pépinière de jeunes diplômés. Il est ainsi moins difficile pour les décideurs politiques de mettre au pas la direction de la FSC. L’austérité affichée par la BoM envers le monde des affaires n’est pas une raison pour que le gouvernement donne à la FSC des pouvoirs qui auraient dû revenir à la Banque centrale.
Cette dernière est aussi accommodante du pouvoir politique. Cependant, il doit exercer beaucoup de pressions sur elle avant qu’elle se résigne à publier un communiqué qui fait le jeu de ses maîtres politiques. C’est ce qui explique le démenti tardif de la BoM au sujet de l’Angolais. Reste à savoir si un haut officiel de la Banque de Maurice a partagé un repas avec Alvaro Sobrinho, la Présidente de la République et un membre du gouvernement. Tout soupçon de relations incestueuses au sommet de l'État entache la réputation du secteur financier.
Comme pour confirmer la proximité des politiques avec des hommes d'affaires, le Premier ministre adjoint a choisi de rencontrer le personnage controversé dont il se fait l’avocat. Alors qu’une enquête de la FSC sur ce dernier était toujours en cours, il a raté une occasion de se taire. De surcroît, il bénit les milliards que compte investir l’Angolais ici.
À l’image des banques parallèles et de leur nébuleuse de mystère (absence de transparence et d’information sur la valeur ou la nature de leurs actifs, et opacité de leur gouvernance et de leurs structures d’actionnariat), Alvaro Sobrinho entretient une dose d'obscurité. Il travaille dans le flou et charrie des données disparates et incomplètes que les autorités ont du mal à assembler. S'il évite la presse écrite, c'est qu'il a quelque chose à craindre. Des questions sans réponse, c’est justement le lot de la finance de l’ombre.
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