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Analyse : dans le brouillard monétaire

Un nouvel ordre monétaire mondial avait émergé bien avant la crise financière de 2008. Mais celle-ci a engendré un désordre monétaire international avec la mise en œuvre de politiques monétaires non-conventionnelles. Si des mesures réglementaires ont peut-être rendu les systèmes bancaires plus résilients qu’ils ne l’étaient avant la crise, elles ont exercé une pression déflationniste sur les économies au point de les enserrer dans une croissance bien ténue qui ressemble à une longue stagnation.

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Depuis dix ans, les banques centrales, parmi lesquelles la Banque de Maurice, ont navigué dans un brouillard monétaire. Au sommet enfumé de la Bank of Mauritius Tower, on ne sait pas s’il faut être expansionniste ou restrictif (c’est tout de même une exigence quand on veut agir sur l’activité économique !), on ne voit toujours pas clair sur la portée réelle des dollars du Global Business, et on n’inclut pas encore la monnaie produite par les établissements financiers non-bancaires dans la définition de la masse monétaire. En un mot, la Banque de Maurice ne contrôle plus rien. C’est qu’il n’est plus possible aujourd’hui de dissocier l’économie monétaire du pays de ce qui se passe au niveau global en matière de création monétaire (Global Money).

Apparus à la fin des années 1950, les comptes eurodollars (comptes en dollars ouverts par des banques en dehors des Etats Unis) sont une source de création monétaire mais ne se retrouvent pas dans le volume des outils de paiement traditionnels (billets, chèques, dépôts à vue). Ils sont néanmoins de la monnaie en ce sens qu’ils sont acceptés comme moyens de transaction entre banques et opérateurs du commerce international. Ce nouveau système bancaire, qui fonctionne à l’échelle mondiale hors contrôle de toute banque centrale, s’est développé avec l’apport de nouvelles technologies informatiques et avec la libéralisation des mouvements de capitaux. Il est ainsi devenu un « global wholesale money market », un marché où circulent d’énormes sommes d’argent offshore entre institutions financières et multinationales. C’est aussi un marché interbancaire offshore sur lequel de grands groupes bancaires, appelés « Market Makers », se prêtent de l’argent pour optimiser leur gestion de trésorerie.

Les dollars offshore (ceux qui ne sont pas d’origine de la Fed) constituent actuellement plus de 60% des dollars circulant sur les marchés internationaux. Du coup, ce marché interbancaire mondialisé a rendu les économies plus sensibles aux facteurs qui déterminent la création de dollars offshore qu’aux seules décisions des autorités monétaires nationales. Il avait pour mérite de satisfaire les forts besoins de liquidités suscités par la libéralisation des échanges. Mais les interventions massives des banques centrales pour endiguer la crise de 2008 ont fait voler en éclats tout ce dispositif.

D’abord, les programmes massifs de rachats d’actifs de la Fed (plus de 4 000 milliards de dollars entre 2008 et 2014, date de l’arrêt de l’assouplissement quantitatif) ont inondé les banques en liquidités à tel point qu’elles n’avaient plus besoin les unes des autres. En l’absence d’un marché interbancaire, les banques ne sont pas incitées à accroître ou diminuer leurs crédits.

Puis, cette stratégie a causé une pénurie globale d’actifs sûrs (notamment les obligations publiques), entraînant une destruction de monnaie bancaire privée (baisse des crédits bancaires). Car le marché mondial de la liquidité, qui fonctionne sans dépôts en dehors des canaux habituels, est devenu un gros consommateur d’actifs sûrs qui servent à garantir les transactions financières. De plus, la hausse des prix des actifs sûrs (baisse des rendements) causée par la pénurie se répercute sur les coûts des banques qui les utilisent comme gage.

Ensuite, en raison des coûts imposés par les nouvelles réglementations prudentielles, les banques ont beaucoup réduit leurs crédits aux entreprises. Le renforcement des contraintes bilancielles, tels le relèvement des ratios de Bâle sur le capital et la création d’un ratio de liquidité minimal (Liquidity Coverage Ratio), a érodé les marges des banques. L’effet n’est pas seulement quantitatif, mais aussi en termes de dégradation des prestations de services. Tout cela a nourri la déflation mondiale et freiné la croissance économique.

Pour avoir failli de relancer leur économie en faisant de la reflation, les banques centrales sont maintenant hantées par une nouvelle crise financière globale. S’efforçant de rectifier le tir, la Fed a relevé son taux directeur par un total de 200 points et compte l’augmenter par 100 points de plus. Cela ne restaurera pas le rythme de croissance de la production privée de monnaie aux Etats Unis. Les pays émergents, eux, risquent fort d’être pénalisés et par le raffermissement du dollar provoquant un exode de capitaux et par une rareté de contreparties en dollars, exacerbée par le protectionnisme de l’administration Trump.

Maurice est-elle prête à affronter ce scénario ? Elle ne doit pas se fier uniquement à ses réserves officielles, si élevées soient-elles. Sa banque centrale n’a aucun moyen efficace d’influencer les taux d’intérêt du marché ni les taux de croissance des agrégats monétaires. Tout ce qu’elle sait faire, c’est utiliser son bilan comme levier d’action monétaire. Or l’intérêt des Bank of Mauritius Instruments vient en déduction des bénéfices qui ne sont pas reversés au Trésor public, ce qui représente une charge pour le contribuable.

Les banques centrales, à l’instar de la Banque de Maurice, ne savent pas où elles vont.

 

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