Live News

Amit Bakhirta : «La monnaie d’un pays est le premier et principal indicateur de sa prospérité socio-économique»

Au lendemain du scrutin général du 10 novembre 2024, Amit Bakhirta, fondateur et CEO de la société de conseils en finances ANNEAU, attend de voir les mesures que proposera le nouveau gouvernement et leurs impacts avant de faire un commentaire. « Le résultat pourrait être une arme à double tranchant pour les parties impliquées », nuance-t-il.

Les derniers jours de la campagne pour les législatives de 2024 ont été marqués par une succession de surenchères. Quelle lecture faites-vous de cette situation inédite ?
D’un point de vue purement socio-économique, je peux comprendre comment nous en sommes arrivés là, en tant que peuple. Mais elle n’évoluera pas nécessairement de cette manière à l’avenir. 
Les chiffres ont parlé.

Publicité

Nous pouvons donc conclure que ces offres, indépendamment de leur caractère commercial ou politique, ont atteint un certain sommet de rendement décroissant vers la neutralité, à un moment donné. 

Tant que les résultats sous-jacents sont bénéfiques, sur une base durable, pour la majorité de notre peuple, nous pouvons argumenter les bénéfices réels de ces offres. Si ceux-ci devaient conduire à un fiasco socio-économique non durable, nous nous retrouverions alors face à des enchères désastreuses.

Comme pour le reste dans la vie, l’équilibre est important, car nous voulons une nation libre et active. Ce pays a été construit par des travailleurs et des entrepreneurs et par des jouisseurs ou des socialistes extrémistes, me semble-t-il.

Les enjeux économiques et ses conséquences ont été quasiment esquivés durant cette campagne. Faut-il s’en étonner ?
Presque certes, mais pas nécessairement intégralement.

Pour trancher, l’essence de la gangrène économique, pensons-nous, a été précisément identifiée et commentée. Il y a l’horrible spirale descendante de notre roupie, l’augmentation incontrôlée du coût de la vie et une discipline budgétaire durable. 

Le discours politique doit rassurer et conforter le peuple.

La monnaie d’un pays est le premier et principal indicateur de sa prospérité socio-économique. Mais les taux d’intérêt et les écarts de pouvoir d’achat existant entre deux ou plusieurs pays doivent refléter la véritable valeur des capitaux propres souverains d’un pays. Elle montre sa situation socio-économique (ainsi sa véritable force économique), la confiance du marché dans ses politiques monétaires et budgétaires et son efficacité et sa durabilité. 

« Tout le reste en découle comme un ruisseau paisible. »

Une monnaie plus forte implique une maîtrise raisonnable de l’inflation importée, en moyenne, sur le cycle macroéconomique à long terme. Ce qui signifie que le pouvoir d’achat soit raisonnablement bien protégé, que les investissements des investisseurs nationaux et étrangers génèrent véritablement des rendements positifs (ajustés de l’inflation et des conversions de devises) et que les dirigeants soient exemplaires et dignes de confiance. 

« Laissons nos chiffres parler. » 

Ainsi, le remède à l’hémorragie de la monnaie et une baisse des prix de l’essence contribueront à la baisse du coût de la vie et à l’augmentation du revenu disponible. L’augmentation de la compétitivité et de la productivité économique dans l’économie sous-jacente en découlera.

L’assainissement budgétaire vers plus de bien-être socio-économique, de justice et de prospérité ainsi que des investissements en capitaux intelligents et nettement plus productifs sont essentiels pour notre population, à moyen et long terme. 

Un changement et un équilibre majeurs sont nécessaires dans l’élaboration des politiques publiques. Cette évolution mène à une démarcation claire entre les objectifs de politique publique à court terme et les objectifs à long terme. 

Si l’exécutif ne planifie pas et n’exécute pas des plans correspondants pour la prospérité socio-économique à long terme du peuple, qui le fera ?
Des observateurs ont fait valoir que l’économie est encore précaire à la suite de la double crise de la covid-19 et du conflit militaire en Ukraine. Est-ce le cas ou l’économie est-elle sur les bons rails ?

« Il y a toujours différentes faces à une médaille. »

Le produit intérieur brut du pays a augmenté en termes de roupies, passant de Rs 512 milliards en 2019 à environ Rs 734 milliards en 2024 (estimations de Statistics Mauritius). Ce qui représente une croissance cumulée sur cinq ans de +43,4 % et la roupie ayant été dévaluée de -41 % par rapport à l’USD durant la période correspondante. En termes réels en USD, l’économie n’a pratiquement pas progressé au cours des cinq dernières années ! 

La valeur nominale de la roupie et sa croissance peuvent sembler raisonnables. Mais la croissance nominale basée sur une monnaie faible est préjudiciable à la croissance réelle de la productivité réelle de l’économie. Car la valeur de cette monnaie locale est bien plus faible, son pouvoir d’achat ayant été érodé.

C’est une façon d’analyser la pièce, en particulier dans un environnement inflationniste galopant.

Par conséquent, même si l’économie sous-jacente s’est remise de la crise de la covid-19, en termes nominaux de roupies dévaluées, je dirais que c’est une faible croissance !

C’est pourquoi nous réitérons qu’il est essentiel de renforcer la confiance dans notre monnaie et notre politique monétaire. Il faut modifier la loi régissant la Bank of Mauritius (BoM). 

La BoM doit être en conformité avec ses réglementations. Elle doit être recapitalisée et renforcée. La Mauritius Investment Corporation doit être déchargée de son bilan. Sa gestion doit être sous-traitée à une société professionnelle de capital-investissement. Les réserves doivent être renforcées et les mécanismes du marché des changes doivent être mis en place pour stabiliser et faire apprécier la monnaie. Il faut se débarrasser du dysfonctionnement du marché des changes. C’est « inacceptable » pour la réputation de la juridiction financière internationale de Maurice.

En conclusion, il est grand temps que nous commencions à réfléchir sérieusement aux réformes structurelles indispensables dont le pays a besoin.

Faut-il craindre une situation inflationniste occasionnée par les augmentations salariales promises de tout côté ?
Elles risquent d’avoir un caractère inflationniste. Toutefois, la perte de pouvoir d’achat doit également être abordée.

Il est important de comprendre que l’augmentation du salaire minimum dans une économie n’affecte pas uniquement les salaires des emplois peu qualifiés/de niveau débutant/des travailleurs manuels. L’augmentation du plancher élève l’ensemble des structures salariales dans l’économie.

La dépréciation de la monnaie, l’impôt sur les sociétés, le coût des intrants et les coûts des affaires à Maurice ont augmenté. Par conséquent, il y a une perte de productivité et de compétitivité. 

D’où la nécessité d’avoir des processus meilleurs et plus efficaces. La numérisation devra être renforcée et, à terme, il faudra des marchés plus vastes pour nos produits et nos services. Sinon, cette faible productivité fera que nous nous retrouverons dans une croissance réelle moyenne du PIB à long terme ne pouvant dépasser les 3 % – 4 % !

Nous vivrons une situation déjà vue en 2020 quand l’État avait volé au secours des entreprises, des salariés et du secteur informel. Cette fois, il n’y a pas de menace de rupture sociale, mais plutôt un contexte électoral. Est-ce que cet interventionnisme est inévitable ?
Comme nous l’avons mentionné, les coûts liés aux affaires ont grimpé en flèche en raison, entre autres, de l’alourdissement du fardeau fiscal et de la charge salariale. 

Par conséquent, si elles sont proposées par l’exécutif, je pense qu’elles devraient soutenir le coût de leurs propositions.

Il nous semble injuste d’imposer une telle offre électorale aux entreprises privées en particulier les micros, petites et moyennes entreprises. 

Donc, nous pensons que l’État doit corriger cette erreur ! 

Le paiement du 14ᵉ mois et les primes liées à la performance de l’entreprise et de l’employé devraient être laissés à la discrétion des entreprises privées. Car c’est contre-productif d’une perspective de politique socio-économique publique.

L’enjeu environnemental a pris une dimension centrale dans les petits États comme Maurice, petit État insulaire en développement. Ce défi est-il pris en compte de manière appropriée à Maurice ?
Nous pensons qu’il est généralement bien pris en compte à Maurice. Il y a les organismes de réglementation, les cadres législatifs, les organisations à but non lucratif. Il y a les plans environnementaux de CSR au niveau des entreprises et le récent cadre ESG. Il y a les plans de transition énergétique. Il y a cependant des progrès à faire.

Aux États-Unis, le républicain Donald Trump a été reconduit au pouvoir. Quelles pourraient être les conséquences d’un tel retour sur les relations commerciales USA-Afrique et avec l’Inde et la Chine et ses retombées pour Maurice ?
Trump étant centriste, nous pensons que son arrivée pourrait renforcer les liens entre les États-Unis et l’Afrique, y compris avec Maurice. 

Un tel leadership, à notre avis, est susceptible d’éviter tout conflit, en particulier dans les grandes économies africaines. Car leur proximité récente (voire dans certains cas de longue date) avec l’Arabie saoudite, la Russie, l’Inde et la Chine ne dérangera peut-être pas plus Trump que les démocrates.

Les États-Unis entretiennent des relations de travail raisonnablement étroites avec notre pays. Ils sont un des principaux signataires de l’African Growth and Opportunity Act, en vertu de laquelle les échanges bilatéraux transfrontaliers fleurissent. 

Certains aspects peuvent être optimisés, en particulier dans ce monde toujours plus complexe. Les relations sont délicates avec la Chine et les affaires sont plus élevées avec la Chine.

Plusieurs pays d’Afrique (par exemple l’Éthiopie) se positionnent de plus en plus comme la deuxième usine du monde.

Nous nous attendons à ce que, sous Trump, les négociations sur les tarifs et les quotas ainsi que celles sur les dépenses militaires, entre autres, détournent l’attention géopolitique mondiale. Nous restons raisonnablement assurés que l’ordre mondial sera maintenu sous sa direction. 

Nous pensons que les États-Unis sont actuellement confrontés à un certain nombre de problèmes intérieurs qui doivent être résolus. Ce qui devrait attirer sa plus grande énergie, en particulier durant les deux premières années de son mandat.

Espérons qu’à mesure que nous discutons, négocions et consolidons l’accord sur les Chagos avec le gouvernement britannique, Trump s’abstiendra d’en faire une affaire trop tripartite ! 

Chez ANNEAU, nous sommes attentifs à la question de savoir si le président Trump peut réellement négocier un traité entre la Russie et l’Ukraine.

À l’heure de la mise en œuvre des mesures du gouvernement, quels sont les obstacles qui pourraient apparaitre ?
Ça dépend des mesures spécifiques et des parties impliquées.

Compte tenu du caractère délicat de certaines de ces mesures et de la généralité de la question, nous pensons qu’il est sage de s’abstenir de les énumérer et d’extrapoler. Car le résultat pourrait être une arme à double tranchant pour les parties impliquées.

Il s’agit désormais d’une opportunité historiquement importante, mais aussi unique pour l’exécutif du pays de se concentrer sur les grands changements socio-économiques structurels à long terme.

Il est essentiel de ne pas soutenir une mesure qui, après mûre réflexion altruiste, est sagement considérée comme préjudiciable à une croissance socio-économique et à une prospérité inclusive et durable. « Le médicament amer est celui qui, très souvent, guérit. »

Quels sont les enjeux qu’a fait apparaitre la double crise de la covid-19 et du conflit militaire en Ukraine ?
Le principal est la vulnérabilité de notre modèle économique, encore largement tributaire des activités touristiques. 

Ce point doit être bien discuté et exploré par les décideurs. Ils devraient en tenir compte dans leurs processus décisionnels respectifs.

Enfin, il faut toujours essayer de privilégier la connaissance et la sagesse plutôt que les croyances infondées qui se répandent rapidement. 

La majeure partie du monde a sombré aveuglément dans la psychose et l’hystérie généralisées. Pour une simple grippe !

On a diabolisé Poutine et la Russie, ne connaissant ni n’appréciant la véritable histoire et l’essence de ce conflit très médiatisé !

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !