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Ali Mansoor : «La clé de notre succès est de doubler nos exportations»

La croissance viendra par les exportations, affirme Ali Mansoor. Pour l’économiste et ancien secrétaire financier, le pays a besoin de réformes précises s’il ne veut pas se retrouver au bord du précipice et s’y laisser engloutir. Il appelle à un « effort national » pour que le pays double ses exportations. Ce qui entraînera une d’amélioration du niveau de vie du Mauricien. 

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Le rapport « State of the Economy » démontre que plusieurs données clés de notre économie ont été faussées, voire manipulées. Quel regard jetez-vous sur ce rapport ?

La première chose à faire, c’est de voir comment il a été possible de fausser les chiffres. Il faudra mettre en place les garde-fous nécessaires pour que cela n’arrive plus à l’avenir.
 
L’économie mauricienne est-elle au bord du précipice comme l’affirment plusieurs économistes ?

Nous avons derrière nous 50 ans de bonnes décisions économiques sous divers gouvernements, ministres des Finances et partis politiques. Nous avons donc une certaine marge de manœuvre. Bien sûr, si nous ne faisons pas de correction, nous allons non seulement nous retrouver au bord du précipice, mais nous allons y tomber. Ce qui est bien, c’est que nous avons le temps nécessaire pour faire ces corrections. La clé de notre succès serait de doubler nos exportations. Ce qui demanderait une croissance de 7 % annuellement. Si nous atteignons cet objectif des 7 %, cela démontrera que nous sommes sur la bonne voie. Si c’est en dessous, il nous faudra corriger le tir. 

Il y a deux façons de procéder pour réduire notre niveau de dette : l’austérité ou la croissance"


 Le gouvernement dit craindre une rétrogradation de Moody’s. Le risque est-il réel ?

Tout dépendra de ce que le gouvernement va proposer comme programme économique. Le rôle de Moody’s est de faire une évaluation pour savoir si le pays est en position de payer sa dette. Nous avons la marge de manœuvre et l’espace qu’il faut pour prendre les mesures correctives nécessaires. À moins que Moody’s ne découvre des choses très graves qui n’étaient pas anticipées, l’agence ne rétrogradera pas un pays sans avertissement. Notre notation est stable pour le moment. Donc, avant une rétrogradation, Moody’s changerait notre « stable outlook » en « negative outlook ». C’est comme un warning, une sorte de préavis que s’il n’y a pas les corrections nécessaires, on risque la rétrogradation. Rien n’est donc perdu d’avance. Si nous prenons certaines mesures, on peut éviter cette rétrogradation. Mieux encore, on peut même espérer une hausse dans l’évaluation de Moody’s dans les années qui viennent si nous atteignons l’objectif des 7 % de croissance annuelle qui doublerait nos exportations en dix ans. 
 
Le rapport sur l’économie met aussi en exergue l’ingérence des politiciens dans les institutions publiques. Pourra-t-on un jour mettre un frein à cela ?   

Encore une fois, il faudra comprendre comment ces choses sont arrivées. En théorie, il y a des garde-fous. Il faudra établir ce qui n’a pas marché et faire les corrections nécessaires pour éviter ce type de dérapage à l’avenir.

Quand nous avons mis en place le textile, nous avons consulté des Taïwanais et des Hongkongais afin d’établir un cadre pour faciliter leur investissement à Maurice. Il faut la même approche aujourd’hui"

 Le Gouverneur de la Banque de Maurice est d’avis qu’il faut des réformes structurelles pour remettre notre économie sur les rails. Qu’en pensez-vous ?

Il a 100 % raison. Il faut des réformes structurelles qui permettraient d’atteindre l’objectif de doubler les exportations sur 10 ans. Avec ce genre des réformes, on pourrait, au contraire, obtenir un « upgrade » de Moody’s dans un ou deux ans. En plus, cela permettrait de soutenir et d’améliorer le niveau de vie des Mauriciens. Le précipice disparaîtrait alors.   

Quelles sont les réformes dont le pays a vraiment besoin ?

Il y a deux niveaux pour identifier des réformes. D’abord, il faut savoir ce qu’on veut faire. Et ensuite, on regarde les détails, soit la mise en œuvre. Il faut prendre en compte qu’au 21e siècle les choses bougent très rapidement et de ce fait, il faudra se montrer souple. Car des réformes pertinentes aujourd’hui ne le seront pas dans cinq ans. De même, des réformes pertinentes il y a cinq ans ne s’appliquent pas forcément aujourd’hui. Il faudra donc une approche flexible. Nous allons devoir nous appuyer sur ce qui fait notre grande force, soit des consultations avec le secteur privé et parfois des syndicats. Il faudra privilégier une consultation plus large, bien sûr avec nos partenaires traditionnels, mais il faudra l’ouvrir aux parties civils, soit aux journalistes, aux académiciens, ou encore aux personnes qui ont une certaine expérience. Il faudra aussi un espace pour consulter ceux qui veulent investir dans la création de nouvelles richesses. Il y a, en effet, des Mauriciens qui veulent investir pour exporter, mais aussi des étrangers qui veulent venir chez nous.

Nous avons déjà appliqué ce type de modèle dans le passé. Par exemple, quand nous avons mis en place le textile, nous avons consulté des Taïwanais et des Hongkongais afin d’établir un cadre pour faciliter leur investissement à Maurice. Il faut la même approche aujourd’hui. Pour organiser ce système, c’est utile d’avoir un objectif facile à comprendre et à surveiller tel que l’objectif de doubler nos exportations. Il faudrait une réflexion nationale sur ce sujet ainsi qu’une structure souple pour absorber les idées et pour faciliter la tâche de ceux qui veulent investir pour exporter.

Pour en revenir à la partie des détails des réformes à mettre en place, il faut non seulement savoir ce qu’on veut faire, mais plus important savoir comment on va le faire. Il faudra l’apport des personnes et institutions qui partageraient leurs idées sur ce les moyens d’augmenter nos exportations. Les réformes doivent être précises. Il faudra, par ailleurs, miser sur une combinaison d’investisseurs locaux et étrangers.

Une fois les idées regroupées, il faudra instaurer un dialogue entre les ministères concernés et les investisseurs en vue de créer le cadre nécessaire qui nous permettra de venir de l’avant avec de nouvelles richesses.

À moins que Moody’s ne découvre des choses très graves qui n’étaient pas anticipées, l’agence ne rétrogradera pas un pays sans avertissement"

Vous avez déclaré que Maurice peut devenir un centre de business pour l’Afrique. Comment doit-on s’y prendre ?

Les Mauriciens, qui ont voulu investir à Madagascar, au Mozambique et d’autres pays d’Afrique ont rencontré des problèmes. Ce qui démontre que la voix de Maurice est relativement faible. Pour aller en Afrique avec succès, il nous faut un partenaire qui a une voix plus forte. Avec la situation géopolitique actuelle où l’on observe un désengagement accéléré des États-Unis de la Chine, l’Europe va devoir reconstruire ses chaînes de valeur. Notre tâche, c’est de convaincre l’Europe que ça ira plus vite, que ce sera plus facile et qu’il y aura de meilleurs résultats s’il travaille avec nous. Nous devons leur montrer que nous avons un modèle socio-économique qui a non seulement réussi à créer de la richesse, mais a partagé les bénéfices de la croissance.

Ce sera à nous de convaincre les Européens, qui avec le soutien des institutions internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international…), constituera une force majeure. Le défi, ce sera de créer une dizaine de Shenzhen africain, qui vont opérer sous des régimes économiques différents de ce qui prévaut en Afrique aujourd’hui tout comme notre modèle de la Zone Franche et l’approche de la Chine à Shenzhen. 

Pour aller en Afrique avec succès, il nous faut un partenaire qui a une voix plus forte… Nous devons convaincre l’Europe qu’il y aura de meilleurs résultats s’il travaille avec nous"

Le niveau de notre dette est bien plus élevé que ce qui avait été annoncé, soit à 83,4 % du PIB. Selon Navin Ramgoolam, une dette de Rs 500 000 pèse sur chaque nouveau-né. Comment renverser la tendance ? 

Il y a deux façons de procéder : l’austérité ou la croissance. La première façon, c’est d’appliquer une politique d’austérité comme en Argentine. C’est une méthode que je ne recommanderais pas. Certes, en Argentine, cette politique a apporté de bons résultats dans la mesure où cela a permis au pays de réduire sa dette, mais au niveau social, la pauvreté a augmenté et le niveau de vie des Argentins s’est dégradé. Mais, l’Argentine n’avait pas vraiment le choix.

Or, Maurice peut éviter une telle approche s’il double ses exportations dans les dix ans à venir. La croissance viendra par les exportations. C’est possible d’avoir un cadre macroéconomique qui va dans ce sens. En doublant les exportations sur 10 ans, cela nous permettra de réaliser les promesses électorales faites tout en réduisant la dette. Dans ce scénario, dans dix ans, la dette sera réduite à 70 % du PIB. 
 
Le gouvernement vient de réaliser partiellement ses premières promesses. Le paiement du 14e mois a été limité aux employés touchant moins de Rs 50 000 alors que la baisse de l’essence et du diesel est inférieure à ce qui avait été annoncée. Peut-on parler de faux pas ?

C’est une question qui est hors du cadre économique, où des gens raisonnables peuvent avoir une appréciation différente sur la marche à suivre et où il y a des gens qui ont une responsabilité plus lourde que ceux qui donnent des opinions.

Tous les pays qui ont réussi doivent leur succès à la hausse des exportations"

Navin Ramgoolam a déclaré qu’il y a des promesses d’un côté et les réalités économiques de l’autre. Ce jeu de promesses contre des votes semble être une épée à double tranchant. Vos commentaires ?

Si on dit que notre objectif, c’est d’améliorer le niveau de vie du Mauricien, tous les citoyens vont y adhérer. C’est un objectif noble. La question qui doit être posée est que doit-on faire pour atteindre cet objectif ? Le gouvernement peut mettre un cadre, mais il ne peut pas agir seul. Il faut un effort national de la part de tout le monde pour que le pays double ses exportations. On peut alors améliorer le niveau de vie des Mauriciens. Il faut savoir que tous les pays qui ont réussi doivent leur succès à la hausse des exportations.

 

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