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Affaire Ravatomanga : un test pour la crédibilité du centre financier mauricien

Cette affaire pourrait ternir l’image de la juridiction mauricienne. Maminiaina (Mamy) Ravatomanga.
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L’enquête visant le milliardaire malgache Maminiaina (Mamy) Ravatomanga dépasse désormais le cadre d’un simple dossier de blanchiment d’argent. À Maurice, les répercussions de cette affaire pourraient durablement affecter la crédibilité du centre financier international, déjà soumis à l’attention des instances de régulation mondiales.

La Financial Crimes Commission (FCC) s’attelle à un dossier complexe impliquant un réseau de sociétés offshore enregistrées à Maurice sous le régime des Global Business Companies (GBC). Ces entités seraient liées à plusieurs structures étrangères, alimentant les soupçons d’un système organisé de flux financiers opaques. Au-delà du cas individuel, l’affaire met en lumière les failles potentielles du dispositif de contrôle mauricien et pose une question centrale : comment préserver la confiance des partenaires internationaux dans la juridiction ?

Pour Frankie Tang, directeur général de Polaris Global Services, le risque principal réside dans la perception que cette affaire pourrait créer à l’étranger. « Même si les abus relèvent d’acteurs isolés, l’exposition médiatique et la suspicion entourant certaines GBC peuvent provoquer une perte de confiance des investisseurs et des banques correspondantes », explique-t-il.

Maurice sort à peine d’une période de surveillance renforcée par les instances internationales, après avoir figuré sur la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI). Dans ce contexte, la moindre affaire de blanchiment impliquant des structures domiciliées sur le territoire peut raviver les inquiétudes. Frankie Tang anticipe également des conséquences opérationnelles : un renforcement des contrôles, un coût réglementaire accru et une surveillance plus stricte des transactions transfrontalières. Ces ajustements, s’ils devenaient nécessaires, pourraient ralentir les activités du secteur financier et éroder son attractivité.

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Siv Potayya, avocat du cabinet Wortels Lexus.

L’expert en conformité Beelal Baichoo appelle à distinguer la perception du public et la réalité des faits. Selon lui, « dans un dossier mêlant grosses fortunes et figures politiquement exposées, la perception seule suffit à nuire considérablement à l’image d’un pays ».

Pour Maurice, la question n’est donc pas seulement juridique, mais aussi réputationnelle. Beelal Baichoo rappelle que la réputation d’un centre financier repose sur la confiance de ses partenaires. Une image ternie peut entraîner des répercussions concrètes, comme la dégradation de la note attribuée par des organismes internationaux ou la réticence des investisseurs.
Il souligne toutefois l’importance d’une enquête menée « de manière rigoureuse et transparente ». À ses yeux, seule une démarche conforme aux principes de bonne gouvernance permettra de restaurer la crédibilité du système. « Les autorités ont donné des assurances sur l’impartialité de l’enquête, mais sans actions concrètes et crédibles, nous risquons de payer un lourd tribut », avertit-il.

Le rôle des institutions et des régulateurs

Pour l’avocat Siv Potayya, du cabinet Wortels Lexus, l’affaire Ravatomanga pose une question de conformité : « Y a-t-il eu un exercice de Know Your Customer (KYC) et de due diligence par la Management Company et les banques concernées ? » Ces procédures, exigées par la Financial Services Commission (FSC), permettent de vérifier l’origine des fonds et les connexions de leurs détenteurs.

Siv Potayya estime qu’il appartient aux institutions concernées – banques, Management Companies, régulateurs – d’appliquer strictement ces directives. « On ne peut pas accepter de l’argent de n’importe quelle source », rappelle-t-il. Selon lui, la Banque de Maurice et la FSC devront examiner attentivement le rôle des entités impliquées pour déterminer si les obligations de vigilance ont été respectées.

L’avocat s’inquiète par ailleurs de l’effet d’image. Maurice, souvent qualifié de « paradis fiscal » par certains étrangers, doit redoubler de prudence pour éviter d’alimenter cette perception. Chaque incident renforce la nécessité d’une surveillance accrue et d’une application stricte des règles.

Une question de confiance à long terme

Samade Jhummun, spécialiste des services financiers, partage ce constat. À ses yeux, toute affaire de ce type laisse des traces. « Maurice a déjà figuré sur la liste grise du GAFI. L’affaire Ravatomanga pourrait peser sur la prochaine évaluation de l’ESAAMLG prévue en 2027 », explique-t-il.

Samade Jhummun rappelle que la juridiction dispose de lois et de réglementations solides en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Des institutions comme la FCC, la Financial Intelligence Unit (FIU) ou la FSC mènent des enquêtes et assurent la supervision du secteur. Mais il souligne aussi une réalité incontournable : « Le risque zéro n’existe pas dans un centre financier. »

Selon lui, l’enjeu pour Maurice n’est pas d’éliminer tout risque, mais de démontrer que ses mécanismes de contrôle fonctionnent efficacement dès qu’une irrégularité est détectée. L’efficacité des systèmes de prévention et de réaction constitue un critère central dans l’évaluation internationale des juridictions financières.

Un tournant pour la place financière mauricienne

L’affaire Ravatomanga intervient à un moment où Maurice cherche à consolider sa position comme plateforme régionale d’investissement et de services financiers. Après avoir rétabli sa conformité auprès des organismes internationaux, la juridiction doit désormais prouver sa capacité à gérer avec transparence les cas sensibles.

Pour de nombreux observateurs, cette enquête représente un test déterminant. Elle met à l’épreuve la robustesse du dispositif de lutte contre le blanchiment, la coordination entre institutions et la volonté politique de maintenir la confiance internationale.

Si les conclusions de la FCC et des autres régulateurs parviennent à établir clairement les responsabilités et à sanctionner d’éventuelles défaillances, Maurice pourrait transformer cette crise en opportunité pour renforcer ses procédures. À l’inverse, une gestion opaque ou des retards dans le traitement du dossier risqueraient de fragiliser durablement l’image du centre financier.

L’enjeu dépasse le cas d’un individu ou d’un groupe d’entreprises. Il touche à la crédibilité d’un modèle économique fondé sur la confiance et la transparence. Dans un environnement mondial où les exigences de conformité se renforcent, Maurice devra convaincre qu’elle dispose des garde-fous nécessaires pour prévenir toute dérive.


Ces recommandations pour protéger l’image du pays et de la juridiction

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Frankie Tang, directeur général de Polaris Global Services. Beelal Baichoo, expert en conformité. Samade Jhummun, spécialiste des services financiers

Alors que la Financial Crimes Commission (FCC) mène une enquête sur le milliardaire malgache pour des soupçons de blanchiment d’argent, plusieurs acteurs du secteur financier mauricien appellent à une réponse institutionnelle claire, rigoureuse et coordonnée. L’enjeu dépasse le cadre de l’enquête elle-même : il s’agit de préserver la crédibilité de la juridiction mauricienne et la confiance de ses partenaires internationaux.

Frankie Tang, Managing Director d’une société de services financiers, estime que la priorité doit être donnée à la coopération et à la transparence. Selon lui, Maurice doit montrer qu’il agit en conformité avec les standards internationaux. « Il est essentiel que les autorités collaborent pleinement avec la FCC, tout en communiquant de manière transparente sur le fait que nos cadres réglementaires sont alignés sur les exigences du GAFI, de l’OCDE et de l’Union européenne », indique-t-il.

Pour Frankie Tang, une communication proactive est nécessaire. Elle devrait rappeler les réformes entreprises ces dernières années et les évaluations positives reçues, notamment de la délégation européenne venue examiner la solidité du secteur offshore mauricien. « En parallèle, il faut accélérer la modernisation des systèmes de déclaration, renforcer les obligations de due diligence et appliquer des sanctions rapides en cas de manquements. C’est le meilleur moyen de démontrer que nos institutions ne tolèrent aucun abus », ajoute-t-il.

Beelal Baichoo, expert en conformité, partage ce point de vue. Il insiste sur l’importance de l’indépendance institutionnelle, qu’il considère comme un pilier de la bonne gouvernance. « L’autonomie de nos institutions, à l’abri de toute influence, est essentielle. Elle conditionne la qualité et la crédibilité des enquêtes », explique-t-il.

Selon lui, Maurice doit renforcer la transparence dans la gestion publique et réduire les risques de corruption, de favoritisme et de népotisme. « Il s’agit de mettre en place un système de gouvernance rigoureux dans tous les domaines importants de la vie publique. Le traitement des dossiers ne doit dépendre ni du statut ni de la notoriété des personnes concernées. Il ne devrait pas y avoir de ‘first among equals’ dans l’application de la loi », affirme Beelal Baichoo.

Il rappelle que Maurice dispose déjà d’un arsenal juridique et réglementaire solide. Mais, selon lui, la question réside dans son application. « Si une enquête démontre que les mécanismes existants n’ont pas été respectés, il est impératif que des mesures appropriées soient prises contre les opérateurs défaillants », souligne-t-il. Les acteurs économiques impliqués dans des secteurs réglementés doivent, selon lui, être tenus responsables en cas de négligence ou de manquement à leurs obligations professionnelles.

De son côté, Samade Jhummun, spécialiste des services financiers, met l’accent sur la vigilance accrue à exercer envers les personnes politiquement exposées (PEP). Il rappelle que ces profils exigent une procédure de « enhanced due diligence », c’est-à-dire une vérification renforcée de leurs activités financières. « Les banques, Management Companies et autorités de régulation doivent exercer une surveillance continue lorsque des transactions sont effectuées par ces personnes », explique-t-il.

Pour Samade Jhummun, l’enquête en cours servira de test à l’efficacité de ces dispositifs. « Si des défaillances sont constatées, des sanctions devront être appliquées conformément à la loi. Cela enverra un message clair : Maurice prend ses engagements au sérieux et entend éviter la répétition d’erreurs passées », conclut-il.

À travers ces prises de position, les acteurs du secteur appellent à une approche équilibrée, soit de coopérer pleinement avec les autorités internationales, tout en réaffirmant la solidité du cadre mauricien. Dans un contexte où la réputation financière est un atout stratégique, la transparence, la rigueur et la redevabilité apparaissent comme les conditions nécessaires pour protéger durablement l’image du pays.

Comment opèrent ces réseaux de blanchiment d’argent ?

Frankie Tang, Managing Director de Polaris Global Services, avance que les réseaux impliqués dans le blanchiment opèrent souvent via des sociétés écrans, des prête-noms ou des structures offshores interposées entre plusieurs juridictions, afin de complexifier la traçabilité des fonds. « Ils utilisent des transactions commerciales artificielles, des prêts internes, des rachats ou transferts de parts entre sociétés liées, ou encore des comptes ouverts au nom de GBC pour mélanger des fonds d’origine licite et illicite », poursuit Frankie Tang. 

Cependant, dit-il, les mécanismes internationaux de contrôle se resserrent. « La coopération transfrontalière, les échanges d’informations bancaires et l’évaluation régulière par des instances comme la délégation de l’Union européenne permettent d’identifier plus rapidement les incohérences financières et de remonter jusqu’aux bénéficiaires économiques réels », fait-il comprendre. Selon lui, Maurice a tout intérêt à continuer à s’appuyer sur ces dispositifs pour démontrer son sérieux et sa conformité.

Pour sa part, Beelal Baichoo avance que de manière générique, le blanchiment d’argent désigne le processus par lequel les criminels tentent de dissimuler l’origine et la propriété réelles des produits issus d’activités criminelles. Traditionnellement, explique-t-il, le blanchiment d’argent comprend les étapes suivantes : placement, stratification (layering) et intégration. « Selon les allégations dans la présente affaire, la fortune du magnat malgache provient d’activités illégales et a été placée dans des institutions financières du pays d’origine ; de là, elle est transférée vers Maurice, entre autres, où elle est utilisée pour des transactions, telles que des investissements et autres, en profitant des cadres juridiques favorables mis en place pour ce type d’opérations », rappelle-t-il. Cela, dit l’expert, peut poser un problème de traçabilité si aucun processus ou documentation appropriée n’a été mis en place au moment où les transactions ont été effectuées. « Les fonds peuvent facilement « s’intégrer » au flux d’argent « propre », de sorte qu’il devient difficile de faire la distinction entre « hygiène » et « souillure » à la fin de la journée - lorsque cela se produit, on peut dire qu’un système de blanchiment d’argent a été mis en place avec succès », explique le consultant en conformité. 

Pour lui, il est donc primordial que les enquêteurs aient recours à des méthodes et des outils de pointe, notamment à une utilisation optimale des technologies et à des officiers compétents/qualifiés, dans des affaires aussi complexes.

 

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