
Adoptée à l’unanimité, l’abrogation de l’article 242 du Code pénal met fin à une vieille loi coloniale qui excusait le meurtre en cas d’adultère. Jamais appliquée mais lourdement symbolique, elle incarnait une inégalité entre les sexes. L’Assemblée nationale a tranché : l’émotion ne justifie pas l’homicide.
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Un homme qui tue sa femme après l’avoir surprise en flagrant délit d’adultère ne pourra plus invoquer « l’excuse de la passion » pour tenter d’atténuer sa peine. L’Assemblée nationale a définitivement abrogé, à l’unanimité, l’article 242 du Code pénal le mardi 13 mai 2025. Cette disposition, vestige du Code Napoléon, était aussi ancienne que choquante.
Cette réforme représente un pas de géant pour la justice mauricienne. Tous les bancs de l’hémicycle, gouvernement comme opposition, saluent cette avancée historique. La suppression de cet article élimine une brèche dangereuse qui compromettait le principe fondamental d’égalité devant la loi.
Jusqu’ici, l’article 242 considérait comme excusable l’homicide commis par un homme sur sa femme ou l’amant de celle-ci, pris en flagrant délit d’adultère. En revanche, cette « excuse légale » était exclusivement réservée aux hommes. Aucune disposition similaire n’existait pour les femmes.
« Ce texte repose sur une idée dépassée : qu’un homme peut posséder sa femme et qu’il peut la punir si elle le trahit. C’est un principe que nous devons rejeter sans ambiguïté », a déclaré le Premier ministre Navin Ramgoolam lors de son intervention à l’Assemblée nationale. Il a souligné que cette disposition contrevenait directement aux articles 3 et 16 de la Constitution garantissant les droits et libertés fondamentaux sans distinction de genre.
Une loi jamais appliquée… mais menaçante
L’argument de son inutilité – car l’article 242 n’a jamais été invoqué dans un procès à Maurice – n’a pas résisté à l’analyse du gouvernement. L’Attorney General, Gavin Glover, a été catégorique : « Une loi qui dort dans les textes peut se réveiller demain. Et si elle contredit nos valeurs d’égalité, elle doit disparaître. »
Il a aussi mis en garde contre toute tentative de considérer l’adultère comme une forme de provocation légale : « La passion, la jalousie et la trahison peuvent expliquer un comportement. Mais elles ne doivent jamais excuser un homicide. »
Un signal fort contre les violences conjugales
Pour Arianne Navarre-Marie, ministre de l’Égalité des genres, cette abrogation marque « un tournant historique » pour les droits des femmes à Maurice. « L’article 242 était une justification déguisée des féminicides. Il envoyait un message dangereux : que l’on pouvait tuer par amour, par rage, par trahison… et être compris. »
Elle a aussi souligné que la violence conjugale ne se nourrit pas uniquement de faits avérés, mais souvent de simples soupçons, et que les violences fondées sur l’honneur n’ont pas leur place dans une République moderne.
Une décision en phase avec la jurisprudence
Si la disposition légale vient d’être abrogée, les juges, eux, avaient déjà pris leurs distances avec cette notion de « crime passionnel ». Me Khushal Lobine rappelle que la Cour suprême mauricienne s’est progressivement détachée de l’approche permissive de l’article 242, à travers plusieurs jugements :
- État contre Takoordyal (2017) : remise en question de la provocation comme justification.
- Seegoolam (2018) : importance des actions après le crime, non du choc émotionnel.
- Booshan (2019) : la colère ou la jalousie n’atténuent pas la gravité d’un meurtre.
- Nelia (2021) et Bungary (2021) : rejet ferme de considérer la violence conjugale comme « excusable ».
- Jenisen Ramen (2024) : même le remords ou la détresse psychologique ne suffisent plus comme excuse.
L’opposition soutient, mais appelle à la vigilance
Le Leader de l’Opposition, Joe Lesjongard, a lui aussi soutenu la réforme, tout en appelant à la prudence sur les applications futures du Code pénal.
« Je suis d’accord qu’il fallait abroger cette disposition. Mais il faut aussi faire attention à ne pas créer de nouvelles brèches. Quand on parle d’usage de la force ou de légitime défense, il faut poser des limites claires. »
Il a aussi évoqué la situation du « law and order » dans le pays et appelé à mieux encadrer l’usage de la force par les autorités, pour éviter d’autres dérives.
Alignement avec le droit international
Avec cette réforme, Maurice rattrape son retard sur de nombreux pays. La France a supprimé une disposition équivalente dès 1975, l’Italie en 1981, le Royaume-Uni en 2009, et l’Australie l’a complètement abolie en 2020.
« Le passé nous a façonnés, mais il ne définit pas notre avenir. Que nos lois reflètent les convictions de notre temps, pas les préjugés d’un autre siècle », a insisté Navin Ramgoolam, soulignant que cette réforme s’inscrit dans une volonté plus large de réformer la Constitution et moderniser l’appareil législatif.
Et après ?
Le gouvernement a annoncé que cette avancée n’est qu’un premier pas. D’autres projets de loi sont en cours, notamment :
- Le Sexual Offences Bill destiné à réformer en profondeur le traitement des agressions sexuelles.
- Le Domestic Abuse Bill, attendu de longue date.
- La mise sur pied d’une Commission de réforme constitutionnelle pour renforcer les droits fondamentaux.
« Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est corriger une anomalie. Ce que nous devons faire demain, c’est refonder notre justice sur des bases modernes, solides et justes », a conclu Navin Ramgoolam.
Ce qu’il faut retenir en cinq points
1. Une loi coloniale abrogée
L’article 242 du Code pénal permettait d’excuser un meurtre commis par un homme ayant surpris sa femme en flagrant délit d’adultère. Cette disposition, héritée du Code Napoléon, est désormais supprimée.
2. Fin de l’excuse du « crime passionnel »
Les émotions comme la jalousie ou la trahison ne pourront plus être invoquées pour atténuer ou excuser un homicide. Un crime reste un crime, quelles que soient les circonstances.
3. Une victoire pour l’égalité et les droits des femmes
La loi ne protégeait que les hommes. Son abrogation met fin à une inégalité flagrante et envoie un message fort contre les violences conjugales et les féminicides.
4. Une mise en conformité avec la Constitution et les traités internationaux
La réforme aligne notre droit avec les articles 3 et 16 de la Constitution, mais aussi avec la Convention contre les discriminations envers les femmes (CEDAW).
5. Un signal fort pour l’avenir législatif
Le gouvernement annonce d’autres textes à venir : Sexual Offences Bill, Domestic Abuse Bill et réforme constitutionnelle. L’objectif : construire une société plus juste, plus égalitaire et sans violences.

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