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Vijay Makhan : «La communauté internationale dans son ensemble demande un cessez-le-feu»

Vijay Makhan exprime sa préoccupation concernant la politique africaine de Maurice.

Le bombardement de Gaza par Israël, les préoccupations liées à Agaléga, la question de la souveraineté des Chagos et la politique africaine de Maurice suscitent une analyse approfondie de la part du diplomate Vijay Makhan.

Le bombardement de Gaza par Israël focalise l’attention actuellement… Pouvez-vous d’abord nous expliquer le rôle du Hamas, qui suscite des opinions divergentes, certains pays le désignant comme une organisation terroriste. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Le Hamas contrôle la bande de Gaza depuis 2006 après avoir gagné les élections en récoltant plus de 40 % du suffrage aux dépens du Fatah. Donc, c’est le Hamas qui gouverne Gaza. Il a été désigné, surtout par l’Occident, comme étant une organisation terroriste à cause de ses revendications musclées, vis-à-vis d’Israël, concernant les territoires occupés, mais aussi parce que le Hamas ne reconnaît pas l’État israélien. Le Hamas se positionne comme une organisation militant pour la libération du Territoire palestinien, accaparé par Israël. L’histoire nous révèle que plusieurs organisations de libération ont, dans le passé, été qualifiées de terroristes. Il y a eu notamment l’ANC de Nelson Mandela tout comme l’OLP de Yasser Arafat. Et les deux ont été anoblis par le prix Nobel de la paix ! Il est dit qu’au début, le Hamas a bénéficié du soutien financier d’Israël, dans le seul but de diviser pour mieux régner. Ne voyez-vous pas l’hypocrisie qui caractérise toute cette question ?

Le Hamas se positionne comme une organisation militant pour la libération du Territoire palestinien, accaparé par Israël. L’histoire nous révèle que plusieurs organisations de libération ont, dans le passé, été qualifiées de terroristes. Il y a eu notamment l’ANC de Nelson Mandela tout comme l’OLP de Yasser Arafat.»

 Nous constatons également que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou est de plus en plus critiqué depuis les attaques du 7 octobre. Que pensez-vous de tout cela ?
Le peuple israélien, je pense dans sa grosse majorité, en a assez de vivre dans cet état de belligérance continue. Ajouté à cela le fait que les services de renseignement de Netanyahu n’ont pas vu venir les frappes du 7 octobre qui ont occasionné plus de 1 400 morts et plusieurs milliers de blessés en sus de la prise d’otage. Évidemment, Netanyahu porte le blâme et sa popularité est en baisse constante. Sous son commandement, Israël va subir un isolement grandissant dans la communauté internationale. Déjà certains pays ont rappelé leur ambassadeur sinon carrément rompu les relations diplomatiques avec Israël. Les conséquences vont être énormes.
 
Il semble y avoir beaucoup de divisions au niveau de la communauté internationale concernant la demande de cesser le feu. Pourquoi cela divise-t-il autant ?
La communauté internationale dans son ensemble demande un cessez-le-feu comme l’a voté l’Assemblée générale des Nations Unies vendredi d’avant. Il n’y a que 14 pays, menés par les États-Unis, qui ont voté contre cette résolution. Devant l’ampleur de la dévastation à Gaza et la perte en vie humaine par milliers, surtout parmi les enfants, ces pays auront à porter ce fardeau et sont aussi coupables que le gouvernement israélien des tueries à Gaza et en Cisjordanie. 
 
Parlant de la diplomatie internationale, abordons les développements à Agaléga. Le 31 octobre dernier, le journal en ligne indien Deccan Herald a rapporté la visite prochaine d’un navire de la marine indienne à Port-Louis, en relation avec la probable signature d’un accord spatial. De plus, la presse indienne fournit de plus en plus de détails sur les infrastructures en développement à Agaléga, présentées comme une base militaire, tandis que le Premier ministre mauricien réfute ces affirmations et insiste sur le fait que toutes ces installations resteront sous l’autorité de Maurice.

Sauf erreur de ma part, je n’ai vu aucune déclaration venant des autorités indiennes contredisant ces affirmations de la presse indienne concernant Agaléga»

Quelle est votre analyse de cette situation ?
Écoutez, la visite chez nous de navires de la marine de pays amis comme l’Inde, la France, la Grande-Bretagne ou la Chine est récurrente depuis notre indépendance. La visite de l’INS Sharda s’insère dans le cadre de la commémoration de l’anniversaire, le 2 novembre, de l’arrivée des premiers travailleurs engagés. Cette visite n’a, d’après moi, rien à voir avec la signature d’un accord spatial ni avec les développements infrastructurels à Agaléga. Je ne connais pas l’itinéraire de ce navire en quittant Port-Louis, mais ce qui est frappant, c’est que la presse indienne, depuis le début, parle de base militaire à Agaléga, alors que nos autorités réfutent régulièrement cette affirmation, plus particulièrement notre Premier ministre dont les déclarations à ce sujet ont été sans équivoque. Autre chose qui retient l’attention, c’est que sauf erreur de ma part, je n’ai vu aucune déclaration venant des autorités indiennes contredisant ces affirmations de la presse indienne. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a bien de nouvelles infrastructures à Agaléga qui peuvent difficilement être qualifiées comme n’étant que civiles.

Quels seraient les avantages et les inconvénients pour Maurice de l’établissement d’une base militaire à Agaléga ?
Découlant de ce que je viens de vous dire, il m’est difficile de faire des commentaires sur la question de base militaire. Si je dois en croire ce que nous répète officiellement le Premier ministre, je m’abstiendrai de faire des spéculations dans ce domaine.

Comment la population mauricienne perçoit-elle ces développements à Agaléga et quelles sont les principales préoccupations à ce sujet ?
Le peuple mauricien est un peuple instruit et il n’est pas coupé du monde extérieur. Donc, il suit de près tout ce qui se passe autour de nous et surtout sur notre territoire. Aussi longtemps qu’il a le sentiment qu’on lui cache quelque chose, il tirera ses propres conclusions quant à ce qui se passe à Agaléga. La population mauricienne est naturellement préoccupée, surtout en prenant connaissance des reportages vidéo répercutés par des chaînes étrangères crédibles et des témoignages de nos compatriotes vivant à Agaléga. 

Notre Premier ministre vient de déclarer qu’il n’a aucun problème à rendre public l’accord paraphé entre l’Inde et Maurice si les autorités indiennes donnent leur consentement. Or, il me semble que feue Sushma Swaraj, ancienne Ministre indienne des relations extérieures avait dit exactement la même chose, mais dans l’autre sens. C’est-à-dire, que son pays n’éprouverait aucune difficulté à rendre l’accord public si Maurice n’y avait aucune objection. Allez comprendre !

Aujourd’hui, force est de constater que l’on n’est que peu impliqué dans les questions qui dépassent nos intérêts nationaux, alors qu’il y va de la coopération et l’intégration régionales.»

Comment voyez-vous l’évolution des discussions entre Maurice, le Royaume-Uni et récemment les États-Unis concernant la question des Chagos. Cela en tenant compte de l’annonce du Premier ministre selon laquelle un accord global pourrait être conclu tôt en 2023 ?
Comme d’autres Mauriciens, je suis très concerné par la question de notre souveraineté sur les Chagos. Je trouve que ces négociations s’étirant en longueur, mettent à mal notre Premier ministre qui s’était évertué à nous annoncer qu’un accord serait conclu au début de 2023. Or, cette année tire à sa fin et c’est toujours Anne, ma sœur Anne… La députée Navarre-Marie, elle-même de souche chagossienne, a eu raison d’exprimer, à l’Assemblée, récemment, la crainte que les Britanniques nous mènent en bateau. On ne connaît pas les tenants et aboutissants de ces négociations qui sont tenues secrètes. Cependant, je n’ai pas vu les Britanniques acquiescer, jusqu’ici, concernant notre souveraineté comme confirmée, et par la Cour internationale de justice et par l’Assemblée générale des Nations unies.  

Comment évaluez-vous la position actuelle de Maurice par rapport à ses revendications sur les Chagos et les actions entreprises pour les soutenir sur la scène internationale ?
Maurice est dans ses droits légitimes découlant du droit international et il est massivement soutenu par la communauté internationale. Il n’y a que cinq pays qui ont voté contre la résolution onusienne sur la souveraineté de Maurice sur les Chagos : la Grande-Bretagne, les États-Unis, l’Australie, la Hongrie et Israël. Je ne puis vous dire si Maurice et la Grande-Bretagne ont fait rapport à l’Assemblée générale des Nations unies des progrès accomplis pour donner substance à ladite résolution. Bientôt, cela fera cinq ans depuis que la souveraineté de Maurice a été confirmée.

Comment le soutien de la communauté internationale à la position de Maurice sur les Chagos a-t-il évolué au fil du temps, et quel impact cela pourrait-il avoir sur les négociations en cours ?
Les organisations dont Maurice est membre, comme l’Organisation de l’unité africaine, aujourd’hui l’Union africaine, et le Mouvement des non-alignés, avec notamment la Russie et la Chine, ont toujours soutenu notre pays dans sa juste revendication. L’Union africaine a été des plus vocales tant au niveau de la Cour internationale de justice qu’au niveau de l’ONU. C’est ce soutien indéfectible de la communauté internationale qui nous a permis d’arriver là où nous sommes s’agissant de ce dossier.

Comme d’autres Mauriciens, je suis très concerné par la question de notre souveraineté sur les Chagos. Je trouve que ces négociations s’étirant en longueur, mettent à mal notre Premier ministre qui s’était évertué à nous annoncer qu’un accord serait conclu au début de 2023.»

En ce qui concerne Maurice, pensez-vous que le gouvernement a négligé l’opposition parlementaire dans ses efforts pour légitimer la souveraineté de Maurice sur les Chagos ? Aurait-il été bénéfique de mieux impliquer l’opposition ?
J’ai toujours dit que la question de notre souveraineté doit dépasser le cadre partisan. Nous connaissons tous, et l’histoire en est témoin, les subterfuges utilisés par la Grande-Bretagne pour démembrer notre territoire défiant le droit international, en particulier, la résolution 1514 de 1960 des Nations unies, sur la décolonisation. Depuis les années 80, Maurice a revendiqué sa souveraineté, et donc plusieurs gouvernements précédents ont soutenu cette politique. Alors je ne vois pas pourquoi toute la classe politique ne devrait pas être impliquée dans cette démarche d’importance nationale.

D’ailleurs, l’internationalisation de cette question était bel et bien à l’agenda du gouvernement bien avant 2014. Les premiers jets de projet de résolution en vue de rechercher l’opinion de la Cour internationale de justice avaient été initiés en 2004 en même temps que notre démarche vis-à-vis du Commonwealth. Nous devrions faire bien attention et ne pas laisser les Johnson, Smith et autres Spithead nous mettre des bâtons dans les roues. De ce fait, il nous faut envoyer le signal d’une classe politique unie sur ce sujet d’importance nationale. 

Abordons la politique africaine de Maurice. L’opposition, en particulier Paul Bérenger, a souvent critiqué le fait que Maurice se soit désintéressé de ce dossier au cours des dernières années. Quel est votre point de vue sur la question ?
Encore une fois, si vous allez dans les archives, vous verrez que j’ai toujours affirmé que Maurice devrait développer sa politique africaine à long terme, donc de munir d’une stratégie bien définie, agissante et aboutissante. Dans les années 70 à 90, Maurice a su assumer son rôle comme État africain et se faire accepter en tant que tel, car ce n’était pas tout à fait évident. On s’impliquait dans les questions plus larges concernant le continent et personne n’osait nous reprocher de ne promouvoir que nos intérêts.   

À titres d’exemple, c’est Maurice qui, par le biais de Paul Bérenger en sa qualité de ministre des affaires étrangères, avait inscrit l’épineuse question de la Corne de l’Afrique à l’ordre du jour de l’OUA en 1992, et bien plutôt la question de l’Antarctique comme héritage commun de l’humanité avait été inscrite par Anil Gayan, et sous Ramdath Jadoo, Maurice s’était impliqué dans le Comité de paix pour le Burundi. Ainsi, Maurice était omniprésent dans des questions africaines dépassant le cadre national, ce qui nous a valu du respect. Personnellement, en tant que premier ambassadeur de Maurice auprès de l’OUA, j’ai mené ou étais membre des délégations de notre organisation pour l’observation des élections, en outre de participer dans l’élaboration des politiques africaines dans plusieurs secteurs, comme le mécanisme mis en place pour la résolution, prévention et gestion des conflits. D’ailleurs, c’est notre position agissante qui a facilité mon élection en 1995 en tant que Secrétaire général adjoint de l’OUA et ensuite comme Commissaire de l’Union africaine durant mon deuxième mandat. 

Quelles mesures pourraient être prises pour rétablir l’engagement de Maurice envers l’Afrique, s’il est effectivement perçu comme étant en baisse ?
Aujourd’hui, force est de constater que l’on n’est que peu impliqué dans les questions qui dépassent nos intérêts nationaux, alors qu’il y va de la coopération et l’intégration régionales. C’est vrai qu’on accueille pas mal de conférences et autres séminaires africains, mais ce qui est important, c’est de faire nôtres les problèmes africains et reprendre quelque peu le rôle de leader dont on jouissait sur le continent.

Il nous faut dégager une stratégie à court, moyen et long termes avec des objectifs bien réfléchis et réalisables. On est après tout un État africain.

Revenons à Maurice… Les évènements du 21 octobre à La Citadelle ont été diversement commentés. Deux semaines après ces incidents, quel rôle pensez-vous que les médias et les acteurs de la société civile devraient jouer pour contribuer à une meilleure compréhension de ce qui s’est produit au sein de la population mauricienne ?  
Tout d’abord, je me joins à tous ceux et celles qui ont dénoncé, sans réserve, ces fâcheux incidents qui ont failli bouleverser la quiétude et l’harmonie dont s’enorgueillit notre société, même si cette tranquillité apparente est sujette à des secousses ponctuelles. Tirant leçon des événements quasi-similaires qui ont, dans le passé, brouillé le vivre-ensemble dont on jouit, la société devrait être vigilante et préserver jalousement ce que nous avons su construire depuis le début de notre histoire dans ce pays. Les médias ont le devoir, pas seulement de rapporter ces incidents, mais aussi de faire valoir le danger et les conséquences néfastes que peuvent engendrer les actes irréfléchis d’un groupuscule. La question palestinienne ne peut être utilisée comme paravent. Il appartient également aux responsables de la société civile surtout ceux qui endossent des manteaux socioculturels, mais aussi les politiques, d’éduquer la population constamment quant à la fragilité que représente notre société, composée de différentes communautés et religions et de promouvoir la tolérance et le respect mutuel qui sont les ingrédients vitaux pour ce vivre-ensemble évoqué plus haut. 

En considérant les commentaires émis par la société civile et les acteurs politiques, comment évalueriez-vous la maturité de la nation mauricienne à réagir de manière constructive face à de tels incidents? Pensez-vous que la société est en mesure de traiter ces situations de manière mature et responsable ?
Le Mauricien est de nature très pacifique et ne se laisse pas entraîner dans des confrontations généralisées. Toutefois, comme vous le savez, il suffit d’une poignée de gens malintentionnés pour tout déstabiliser. C’est ainsi de par le monde. Le Mauricien est mature et responsable et place sa confiance dans les institutions de sécurité du pays. Toutefois, s’agissant des incidents de La Citadelle, la question reste posée quant à l’efficacité de nos services de renseignement ainsi que la capacité de prévention de nos forces de l’ordre. Il ne suffit pas de venir dire que l’on va être sans pitié envers ceux responsables de tels incidents sans actions fermes ! Les lois existent et elles doivent être appliquées sévèrement et sans aucune concession, qu’importe le statut de certains de ces pyromanes qui ont sévi ou qui étaient au courant de ce qui se tramait. 

 

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