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Trafic devant des postes de police : un bouchon de méthadone vendu à Rs 200

Méthadone La méthadone est au cœur d’un trafic en plein jour, au vu et au su des autorités.

La distribution sans surveillance de méthadone aux toxicomanes devant des postes de police a facilité le trafic de cet opiacé de synthèse, ce qui provoque l'insécurité dans les alentours. C’est ce qui ressort d’une enquête de trois semaines menée sur le terrain par Le Défi Plus. 

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Offerte gratuitement par l’État à des toxicomanes comme traitement à la dépendance à la drogue, la méthadone est au cœur d’un trafic en plein jour, au vu et au su des autorités. Et cela, en raison de l’absence de surveillance de la distribution. C'est ce qui ressort d'une enquête menée sur le terrain par Le Défi Plus. En effet, pour Rs 400, nous avons pu acheter deux bouchons de cet opiacé de synthèse utilisé dans le traitement de la dépendance à la drogue. La police et le ministère de la Santé se renvoient la balle et ce dernier indique qu'un autre mode opératoire sera mis en place bientôt. 

D’après le protocole du ministère de la Santé, les patients doivent consommer la méthadone sur place. Lors de notre enquête sur le terrain, il était évident que ce n’était pas toujours le cas. Alors que la plupart des toxicomanes sous traitement respectent le protocole, certains ont recours à la ruse pour ne pas consommer la méthadone sur place afin de pouvoir vendre une partie de la dose obtenue. La vente au marché noir se fait à quelques pas des postes de police où se fait la distribution.

«Ena enn ta klian»

Après deux semaines d’observation, notre coup d’essai a été un coup de maître. Le premier patient-trafiquant contacté nous a vendu sa fiole contenant « deux bouchons » de méthadone, dit-il, pour Rs 400. Cependant, nous n'avons pu avoir une remise de Rs 50 par bouchon. « Ki to pe kroir, lafoir ici, to rod discount ? Issi ena gagn traper ek ferme ar sa. Eh si to pa pou pren marss marsse. Ena enn ta klian », lâche notre interlocuteur, irrité. Tout en lui remettant deux coupures de Rs 200, nous lui demandons si le produit n’avait pas été avalé et régurgité. « Eh to pe fer enn ta manier la. Pren to kass, fonn pou mo pa mett enn kouto ar twa. Mo kroir to pe pren nissa twa », fulmine-t-il. Ne voulant l'énerver davantage, nous avons pris notre fiole et avons continué notre route. Selon nos renseignements, une dose de méthadone offerte par le ministère de la Santé est subdivisée, puis vendue par bouchon. Ainsi, le prix varie entre Rs 200 et Rs 1 000 dépendant de la quantité. Le trafic se délocalise vers des endroits très fréquentés comme à la rue Farquhar, près du Marché central, à Port-Louis. Le Défi-Plus a été témoin du trafic vers 7 h. « La méthadone est commercialisée entre drogués. Si certains vendent leurs doses pour s'acheter d'autres drogues, d’autres achètent de quoi se nourrir ou encore des cigarettes », confie un commerçant de la localité.

La langue bien pendue, un toxicomane faisant partie du réseau explique qu’il est « facile » de se procurer de la méthadone dans les points de distribution. L’important, précise-t-il, est d'employer la méthode qui « marche à tous les coups » et qui « n’éveillera pas les soupçons ». Il s’agit, confie le toxicomane, de la substitution de fioles contenant de la méthadone par des fioles vides.

« Souvent, il n’y a pas de policiers dans les centres de distribution de méthadone. Le mode opératoire est très simple. Les toxicomanes viennent au point de distribution avec une fiole vide en poche. Ils prennent la fiole remplie d’une main, font semblant de l’ouvrir puis prennent la fiole vide de leur poche. Ils substituent la fiole vide par celle qui est remplie. C’est ainsi que le conteneur vide va dans le sac poubelle du ministère. Dans leur poche, se trouve la fiole remplie de méthadone », souligne-t-il.

Méthabave

Lorsqu’il y a une présence policière dans les centres de distribution, explique un toxicomane devant un poste de police des Plaines-Wilhems, un autre moyen est utilisé. Ainsi, certains utilisent un morceau de coton qu’ils placent dans leur bouche alors que d’autres gardent la substance dans leur gorge. La méthadone est ensuite recrachée une fois que les toxicomanes se retrouvent en dehors du centre de distribution. La substance est communément appelée « méthabave » par les toxicomanes. « Les policiers et autres officiers du ministère sont au courant de ce qui se trame quotidiennement dans les points de distribution. Mais ils sont souvent en minorité par rapport au nombre de toxicomanes sous méthadone (Ndlr : ces derniers sont une centaine). C’est ce qui donne l’occasion aux toxicomanes de poursuivre leur trafic », ajoute le toxicomane.

En chiffres

À ce jour, 4 379 toxicomanes bénéficient du traitement de la méthadone. Le pays compte 42 points de distribution et depuis la réintroduction de ce traitement par le gouvernement, soit depuis juin 2017, 326 patients (soit 12 femmes et 314 hommes) se sont ajoutés à la liste.

Le rapport de l’Audit relève plusieurs failles

Dans son rapport de 2016, le Nation Audit Bureau montre du doigt la méthode de distribution de la méthadone dans les hôpitaux Victoria, à Candos, et Jeetoo, à Port Louis. Le rapport révèle des manquements à trois niveaux. D'abord, la présence des patients n’était pas correctement enregistrée ; ensuite, la quantité de méthadone qui était distribuée et retournée ne pouvait être vérifiée. Sans compter que les Nursing & Dispensing Officers ne signaient pas le Daily Attendance Sheets et les Distribution Lists. « Weaknesses were noted over the distribution of methadone at the dispensing points at VH and JH. Patient attendance was not properly recorded and the correctness of quantity dispensed and returned could not be ascertained. The Nursing and Dispensing Officers were not recording their names and signing the Daily Attendance Sheets and the Distribution Lists. »

Le Bureau de l’Audit recommande ainsi le renforcement de l'unité de contrôle interne pour un meilleur suivi de la distribution et de l’utilisation de la méthadone . Et dans sa réponse, le ministère assure que :« The Internal Control Unit will carry out regular checks at both distribution and user level. »


La cellule de presse de la police : «Les distributeurs doivent s’assurer que les doses ont été consommées»

Lors de la distribution de la méthadone, certains toxicomanes substituent des fioles contenant de la méthadone par des fioles vides.

La cellule de presse de la police (PPO) est catégorique. Le personnel du ministère de la Santé doit s’assurer que les toxicomanes ont consommé leurs doses de méthadone avant de quitter les lieux et le rôle de la police est de superviser la distribution. Le PPO souligne que malgré celà, des toxicomanes ont été arrêtés en possession de méthadone à plusieurs reprises l’année dernière.

« Les distributeurs de méthadone, soit les officiers du ministère de la Santé, doivent s’assurer que les toxicomanes consomment leurs doses. Le rôle de la police est d’assurer qu’il n’y a aucun dérapage lors de la distribution. D’ailleurs, ce n’est qu’en cas de problèmes que la force policière intervient », fait ressortir la cellule de presse de la police au Défi Plus.

Caméra cachée à l’appui, Le Défi Plus montre que la méthadone est distribuée sans aucune présence ni surveillance policière. On a fait une descente dans les points de distribution de Richelieu, Vallée-Pitot et Cassis. Après avoir pris leurs doses de méthadone, les toxicomanes restent aux abords des rues pendant des heures et incommodent les passants.

Toutefois, la cellule de presse de la police nie, affirmant que des policiers sont présents dans l'enceinte des postes de police lors de la distribution de la méthadone. Le PPO souligne qu’il « doit toujours y avoir au moins un policier présent lors de l’exercice de distribution ». C'est au chef inspecteur de service que revient la tâche d’assigner un policier, dit-on. Certains postes de police, comme celui de Trou-Fanfaron, selon la cellule de presse de la police, bénéficient de la présence de policiers anti-émeute (SSU). Ces derniers sont prêts à intervenir en cas de dérapage.

Drogue dangereuse

La loi est claire concernant la possession ou encore la commercialisation de la méthadone. Tout individu trouvé en possession de cette substance, classée comme étant une drogue, commet un délit aux termes de l'article 34, sous-article 1 (b) de la Dangerous Drugs Act. Le contrevenant risque une peine d’emprisonnement de deux ans et/ou une amende de Rs 50 000. Par ailleurs, toute commercialisation de la méthadone constitue également un délit grave (« Dealing with dangerous drugs ») passible d’une peine d'emprisonnement de trois à 40 ans.

Insécurité : appel du public ignoré

Ceux qui habitent aux alentours des points de distribution sont très remontés contre la force policière. Il y a eu plusieurs initiatives qui ont été prises afin que des toxicomanes ne se regroupent pas sur les trottoirs près des points de distribution mais elles se sont toutes avérées vaines. « Nous avons l’impression que les autorités ont peur de ces toxicomanes qui font la pluie et le beau temps aux dépens de la sécurité des citoyens », lance une femme qui ne peut plus endurer cette situation chaotique devant sa maison.

Un habitant de Vallée Pitot, quant à lui, s’indigne qu’une lettre qu’il a envoyée au bureau du commissaire de police soit restée sans suite. Dans sa lettre, il avait fait un appel solennel d’aide en faveur des enfants. Il déclare que plus les semaines passent, plus le nombre de toxicomanes bénéficiant du programme de méthadone auugmente. De plus, ces derniers se réunissent après avoir pris leur dose devant le poste de police. « Entre 6 h 30 et 9h tous les jours, une quinzaine de toxicomanes prennent d'assaut les trottoirs en compagnie d’une dizaine d'autres toxicomanes qui ne sont pas sous ce programme. Ils sont les principaux vecteurs du trafic de méthadone. Il arrive qu'un sergent de police essaie de mettre un peu d’ordre mais c'est rare. Ainsi, élèves et piétons doivent marcher sur la route dans une atmosphère d’insécurité », avait-il écrit.

Le ministère reconnaît que le système a des lacunes

Le ministère de la Santé reconnaît qu’il y a des failles en ce qui concerne la distribution de la méthadone. Un nouveau système sera bientôt mis en place pour « pallier au problème du trafic de méthadone ». Ce système demandera la collaboration des policiers,  du personnel du ministère de la Santé et des anciens toxicomanes sous méthadone qui ont pris un nouveau départ.

« Au ministère, on reconnaît qu’il y a des manquements et des problèmes au niveau de la  distribution de la méthadone. D’où le fait que le ministère envisage des mesures visant à faire chuter, voire faire disparaître ces problèmes dans un proche avenir », avance la cellule de presse du ministère de la Santé. 

Depuis 2017, le ministre de la Santé organise plusieurs réunions de coordination avec ceux qui sont impliqués directement et indirectement dans la distribution de méthadone : force policière, le personnel de la pharmacie et les infirmiers. La dernière rencontre remonte à la semaine dernière. Ces réunions, souligne la cellule de presse du ministère, permettent de discuter, prendre note des problèmes et proposer des mesures concrètes axées sur la distribution de la méthadone.

Une nouvelle approche sera ainsi développée. « Ce nouveau système gravite autour d’un soutien psychologique aux bénéficiaires de la méthadone. Des ''peer leaders'' (Ndlr : les anciens toxicomanes sous méthadone qui ont pris un nouveau départ) ont été approchés pour aider le ministère en vue d’améliorer le système actuel de distribution. Dans la pratique, leur rôle vise à aider, améliorer, mieux coordonner la distribution de méthadone et aider les toxicomanes à se réintégrer dans la société », fait ressortir la cellule de presse du ministère.


Mauvaise pratique : renouvellement de prescription «automatique»

Le trafic se déroule au vu et au su de tout le monde, devant un poste de police de la capitale.

Le renouvellement du traitement à la méthadone au patient doit être fait chaque trois semaines après que ce dernier a été examiné par un médecin. Force est de constater toutefois que seul un patient sur quatre enregistrés à ce programme se rend à son rendez vous médical. Pour le reste, leurs prescriptions sont renouvelées « automatiquement ». C’est du moins ce que confirme un haut cadre du ministère de la Santé. « Après trois semaines, le patient doit à nouveau revoir le médecin. Celui-ci va alors réajuster à la hausse ou la baisse la dose prescrite initialement. Sauf que sur les 4 300 patients qui suivent le programme, seul un millier vient au rendez-vous », affirme l'interlocuteur.

Quid des 3 300 autres patients ? « La prescription est renouvelée automatiquement », répond le haut cadre. Celui-ci soutient qu’il s’agit d’un mal nécessaire pour éviter que des toxicomanes ne s’en prennent au personnel du ministère. « Ou mazine ki kalite dezord zot kapav fer si zame zot vini gramatin e zot trouve ki zot non nepli lor la lis ? » observe ce haut fonctionnaire. Il y a d’ailleurs eu des précédents. Et d'ajouter : « Certains sont devenus violents et ont agressé le personnel. Pour leur sécurité, nous préférons ne pas prendre ce risque et les maintenir dans le programme. Le ministère se retrouve en quelque sorte prisonnier du système. ».

La présence policière aux Methadone Dispensing Sites, soit aux points de distribution, ne décourage en rien les toxicomanes les plus violents, note le haut cadre. Quant à un haut gradé affecté dans un poste de police de la capitale, il dira : « Vous pensez qu’un policier va prendre le risque de se faire agresser en se s'interposant ? Kan zot koumans fer dezord la, mem nou, nou gagn difikilte pou kalme zot. Et kan zot en group zot plis eksite enkor », fulmine-t-il.

Soupçon de trafic

Selon un officier affecté à la Harm Reduction Unit du ministère de la Santé, lorsqu’un toxicomane vient au point de distribution le matin, le personnel du ministère est censé appliquer, avec l’aide de la police, la Directly Observed Therapy (DOT). « C'est-à-dire que le toxicomane doit avaler sa dose de méthadone sous la supervision de l’infirmier avant de rendre le flacon à ce dernier. Sauf que cela ne se passe pas toujours comme cela », affirme-t-il. Ce dernier avance qu’il existe au moins trois moyens qui permettent d'alimenter le marché en méthadone. Primo, il y a ces toxicomanes qui repartent avec le flacon avec la complicité du Nursing Officer. Un toximane que l'on accosté explique le mécanisme. « Mo atann kan ress 5 minit pou zot ale. Lerla mo al ek infirmie la. Si kiken pann vinn pran so doz, mo pran li mo ale. Monn fini pran mo doz, be si mo pran enn ladrog, mo pa pou gagn nanye. Alor mo vann li e mo gagn enn ti la mone », dit le toxicomane. 

Secundo, il y a des infirmiers véreux. « Ceux-ci peuvent récupérer les doses qui n’ont pas été servies pour les revendre, tout en apposant une fausse signature pour faire accroire que le toxicomane l'a bien prise », explique notre interlocuteur. Le responsable d’une ONG, connue pour son combat en faveur des toxicomanes, soutient qu’il a déjà dénoncé l’un de ces « venderr lamor » au ministère, photo à l’appui. « Nous avons appris plus tard que l’infirmier incriminé avait été muté dans un autre département », ajoute ce responsable.

Et tertio, il y a les moyens ingénieux par lesquels les toxicomanes parviennent à ne pas avaler la dose pour la recracher ensuite afin de la revendre.

Le programme de méthadone

Pour être admis sur le programme de substitution de méthadone, il faut être un Injecting Drug User (IDU), soit une personne qui s’injecte de la drogue dure (héroïne, Subutex..) par voie intraveineuse.

Trois centres ont été mis à leur service par le ministère : Sainte-Croix et Mahébourg pour les hommes et Bouloux (Cassis) pour les femmes. Au centre, le toxicomane est examiné par un médecin qui lui fait passer une batterie de tests. Et si le médecin juge que la personne peut être admise au programme, celle-ci doit signer un contrat stipulant qu’elle ne touchera aucune drogue tout le long du programme. « Le patient peut faire l’objet de ‘surprise test’ en lui faisant faire un test d’urine. Si l'examen confirme la prise de drogue dure, le patient risque d’être éjecté du programme », explique un officier du ministère de la Santé. Le patient doit aussi revoir son médecin chaque trois semaines. Celui-ci réajuste alors, si nécessaire, la dose prescrite. Selon le même officier, Maurice se classe premier en Afrique en matière de distribution. « Sur les 10 000 Injecting Drug Users recensée à Maurice, le ministère parvient à toucher plus de 40 %. »

Depuis sa mise en opération en 2006, environ 7 000 Injecting Drug Users ont été admis sur le programme de la méthadone. À ce jour, 4 300 doses sont préparées et distribuées quotidiennement, incluant le weekend et les jours fériés. La distribution se fait sur 42 sites, incluant les prisons de Melrose, de Beau-Bassin et de Petit-Verger. Lorsque le pays est en alerte trois ou plus, la distribution se fait uniquement dans l’un des hôpitaux régionaux. Le matin, la distribution se fait entre 6 heures et 8heures Les caravanes sont escortées par la police de leur point de départ au point de distribution. « Même lorsqu’un patient se retrouve en cellule policière ou admis à l’hôpital, le ministère s’arrange pour lui donner sa dose de méthadone », indique notre interlocuteur. Cependant, si un toxicomane ne se présente pas au point de distribution pendant trois jours consécutifs, son nom est enlevé de la liste. « Il y a un risque qu’il fasse une overdose si trois jours durant il n’a pas pris sa dose et qu’il le fait le quatrième jour », ajoute-t-il.

  • defimoteur

     

 

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