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Suicide chez les hommes à Maurice : un fléau caché, entre pression sociale et silence émotionnel

À Maurice, la crise du suicide chez les hommes prend des proportions alarmantes. Trop souvent ignorée, cette réalité est alimentée par la pression sociale, l'isolement et le manque de soutien émotionnel. Un phénomène touchant particulièrement les hommes âgés de 30 à 45 ans, entre tabous et attentes sociétales.

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Entre 2023 et février 2025, la majorité des suicides à Maurice touche des hommes, en particulier ceux âgés de 26 à 40 ans. Ce phénomène soulève de graves interrogations sur la souffrance masculine souvent ignorée, sur l'impact des normes sociales et sur la difficulté pour de nombreux hommes d'exprimer leurs émotions. La pression constante de devoir répondre à des attentes sociales et familiales élevées, combinée à un manque de soutien psychologique, creuse un fossé de plus en plus profond.

Les hommes, en particulier ceux de la tranche d'âge 30-45 ans, sont confrontés à des facteurs de stress multiples : l'instabilité professionnelle, les tensions conjugales, les dettes ou encore la pression de maintenir leur rôle de « pilier » familial. Cette situation, exacerbée par des tabous autour de la santé mentale, entraîne de nombreuses victimes à souffrir en silence, sans oser chercher l'aide nécessaire.

La psychologue Anjum Heera Durgahee souligne que cette tendance n’est pas récente. Depuis la pandémie de COVID-19, les hommes ont été particulièrement affectés par des pressions financières, professionnelles et familiales. La perte d'un proche ou d'un emploi aggrave leur détresse. Paradoxalement, moins d'hommes consultent un thérapeute, souvent en raison de la stigmatisation entourant la santé mentale.

« La santé mentale reste un sujet tabou, et les hommes sont moins enclins à se tourner vers la thérapie. Ce phénomène n’est pas seulement lié à l’éducation, mais aussi à leur rôle de père et de modèle. Ils se retrouvent souvent dans un dilemme entre leur rôle traditionnel et leurs souffrances intérieures. Les problèmes familiaux, les dettes et les tensions conjugales figurent parmi les principales causes de suicide », explique la psychologue.

Rajen Suntoo, sociologue et chargé de cours à l’Université de Maurice, confirme cette analyse. Selon lui, « Maurice, en tant que société patriarcale, peine à contrer cette tendance. Les hommes deviennent de plus en plus dépressifs en raison des nombreux facteurs de la vie, qu’il s’agisse de l’emploi, de la hausse des prix ou de la pression familiale ». La dépression n'est pas le seul problème, la consommation de drogues et d'alcool est aussi un enjeu majeur.

« L’alcool et la drogue apportent plus de mal que de bien. Les effets ne sont que temporaires, mais les répercussions sont bien plus graves. Ceux qui se tournent vers ces substances deviennent non seulement dépressifs, mais développent également une forme d’isolation dangereuse, où les pensées suicidaires peuvent prendre le dessus », ajoute Anjum Durgahee.

L'impact du manque de soutien

Le manque de soutien moral et la pression des attentes familiales renforcent cette crise. Rajen Suntoo met en lumière les difficultés spécifiques des hommes mariés et pères de famille, particulièrement dans la tranche d'âge 30-45 ans : « Le suicide chez les hommes est souvent sous-estimé. Les problèmes sociaux sont largement invisibilisés, alors qu’ils ont tendance à s’intensifier après la pandémie de COVID-19. Le changement doit venir de l’intérieur, au sein des familles et de l’éducation, pour prévenir cette tragédie silencieuse ».

Briser le silence pour sauver des vies

Pour faire face à cette situation, il est impératif de changer les mentalités et de promouvoir un environnement où les hommes peuvent parler de leurs difficultés sans crainte de jugement. Le combat contre le suicide masculin nécessite un soutien collectif : « Nous devons tous être des acteurs du changement. Écouter, soutenir et guider peut sauver des vies », conclut Doris Dardanne.

Que fait l’ONG Befrienders ?

Befrienders Mauritius multiplie ses efforts pour sensibiliser et offrir un soutien accessible aux hommes en détresse. L’ONG met en place plusieurs actions pour contrer la crise du suicide masculin :

  • Normalisation de la recherche d’aide : Déconstruire l’idée que demander de l’aide est une faiblesse et mener des campagnes de sensibilisation.
  • Encouragement des témoignages masculins : Partager des parcours inspirants d’hommes ayant surmonté leurs difficultés pour inciter d’autres à parler.
  • Services anonymes et confidentiels : Développer des lignes d’assistance et des services de chat pour ceux qui préfèrent rester anonymes.
  • Formation des proches : Sensibiliser les familles, amis et collègues pour repérer les signes de dépression et de risque suicidaire.
  • Adaptation du discours : Des messages directs et axés sur l’action pour les hommes, afin de les encourager à prendre soin de leur santé mentale.
  • Collaboration avec des figures masculines influentes : Travailler avec des athlètes et des influenceurs pour briser les tabous et promouvoir l’acceptation des vulnérabilités.

Pourquoi les hommes sont-ils plus vulnérables ?

Doris Dardanne, responsable de l’ONG Befrienders Mauritius, explique que la vulnérabilité des hommes face au suicide est exacerbée par les normes sociales qui imposent une image de force et d’indépendance. « Les normes traditionnelles découragent les hommes d’exprimer leur vulnérabilité. Refouler leurs émotions peut mener à des troubles non traités, comme la dépression ou le stress. La société attend des hommes qu’ils soient les « piliers financiers » de leur famille, et toute épreuve perçue comme un échec personnel renforce la solitude », affirme-t-elle. Cette stigmatisation rend les hommes moins enclins à consulter des thérapeutes ou à demander de l’aide lorsqu’ils en ont besoin.

Les cercles de soutien des hommes sont souvent plus restreints que ceux des femmes. Après des événements marquants, comme une rupture ou une perte d’emploi, les hommes ont tendance à s’isoler, au lieu de chercher du soutien. « La société impose l’image d’un homme fort et indépendant, mais cette pression fait qu’ils ont beaucoup plus de mal à trouver l’aide nécessaire », poursuit Doris Dardanne.

Témoignage Pascal, un retour de l’abîme

Pascal* (prénom modifié), aujourd’hui âgé de 50 ans, nous raconte son histoire. En 2018, accablé par des problèmes familiaux qu’il ne pouvait plus supporter, il a tenté de mettre fin à ses jours. Il a été sauvé in extremis par un ami. Depuis ce jour, il ne cesse de remercier la vie pour lui avoir offert une seconde chance.

« J’avais touché le fond, et j’ai voulu y mettre un terme. L’absence de compréhension et le manque de communication m’ont poussé à ne plus pouvoir supporter la situation. J’ai voulu en finir, mais je me suis réveillé plus tard à l’hôpital. Pour ne pas sombrer à nouveau dans ce sombre tourbillon, j’ai suivi une thérapie, et ma famille a été mon plus grand soutien. » 

Nombre de suicide chez les hommes et les femmes de 2023 à février 2025 

Année Méthode 0-15 ans 16-25 ans 26-45 ans 46-60 ans 61+ ans Total Hommes Total Femmes Total Général
2023 Brûlures - - 1F 1H 1F 1H 2F 3
  Saut dans le vide - - - 1H - 1H 0 1
  Arme à feu - - 1H - - 1H 0 1
  Pendaison 2H 23H, 5F 49H, 6F 20H, 2F 15H, 2F 109H 15F 124
  Empoisonnement - - 2H, 2F 1H, 2F 1F 3H 5F 8
  Arme blanche - - - 1H - 1H 0 1
  Total - - - - - 116H 22F 138
2024 Brûlures - - 1F 1F - 0 2F 2
  Saut dans le vide - - 2H - 1H 3H 0 3
  Arme à feu - - - - - 0 0 0
  Pendaison 1H 18H, 2F 45H, 5F 19H, 3F 5H, 1F 88H 11F 99
  Empoisonnement - - 3H 1H 2F 4H 2F 6
  Arme blanche 1H 18H 1H - - 20H 0 20
  Total - - - - - 97H 15F 112
2025 (jusqu’à février) Brûlures - - - - - 0 0 0
  Saut dans le vide 1F - - - - 0 1F 1
  Arme à feu - - - - - 0 0 0
  Pendaison - - 8H 3H 1H 12H 0 12
  Empoisonnement - - 1H - - 1H 0 1
  Arme blanche - - - - - 0 0 0
  Total - - - - - 13H 1F 14
 

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