Interview

Satish Faugoo : «Il faut en finir avec le ‘one-man show’ de Navin Ramgoolam»

Sans langue de bois, le vice-président du Parti travailliste évoque le malaise qui règne au sein du parti. Satish Faugoo parle de « one-man show » de Navin Ramgoolam, décrie la régression du PTr et fustige la gestion du parti par l’ex-Premier ministre.  Il  évoque même un parti à la dérive. 

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25 ans au sein du PTR et vous allez jeter un regard sur un des plus grands partis politiques de ce  pays... votre parcours ? 
Cela fait exactement 25 ans que je suis au Parti travailliste (PTr), membre du comité exécutif (CE) et du bureau politique (BP) depuis mon adhésion au parti en 1998. Je suis vice-président depuis une dizaine d’années et reconduit comme premier vice-président parmi cinq depuis le dernier congrès national en 2022. Je suis un des rares, avec Arvin Boolell, à avoir été ministre durant les trois gouvernements de Navin Ramgoolam. D’ailleurs, j’ai été candidat aux dernières élections et je suis toujours très actif au sein du parti. Donc, je vous parle en ma qualité d’un des dirigeants du PTr.

Des éléments d’information font état d’un malaise chez les Rouges. Il y aurait, d’une part, certains membres qui ne seraient d’accord avec une alliance avec le MMM, et, d’autre part, la direction qui pense qu’il y a des Judas au sein du parti. Comment se porte le PTr ? 
Le Parti Travailliste est un grand parti qui a marqué de son empreinte l’histoire de Maurice depuis sa création en 1936, voilà bientôt 87 ans. C’est triste et lamentable de constater que le PTr va depuis quelque temps à la dérive. Il est devenu complétement dysfonctionnel. Sous la direction de Navin Ramgoolam, depuis 2019, aucune instance ne fonctionne selon les critères établis par la constitution du parti. Il y a une régression absolue dans la gestion du parti qui a été « hijacked » par Navin Ramgoolam. 

Les deux instances fondamentales du parti, le comité exécutif et le bureau politique, n’existent que pour la forme et servent de décor aux points de presse de Navin Ramgoolam quand il le souhaite pour faire son one-man show. 

D’après la constitution du parti – que je connais très bien – le CE doit se réunir au moins une fois par mois et le BP chaque quinzaine. Je ne me souviens même pas quand le parti a respecté les règles en ce qui concerne ces deux instances. Par contre, to « add insult to injury », lors du dernier congrès annuel, Navin Ramgoolam a fait introduire, dans la constitution, subrepticement, sans l’aval d’aucune instance, unilatéralement et en catimini, des amendements qui lui permettent de réunir les deux instances selon son bon vouloir et quand bon lui semble. Je vous fais d’ailleurs remarquer dans ce cadre que la dernière réunion du CE du parti a eu lieu juste après le congrès annuel, c’est-à-dire au début de septembre 2022, voilà plus de cinq mois…

Le fonctionnement du parti est sujet à la façon de faire et aux caprices de Navin Ramgoolam et se retrouve dans un désordre total.  Qui est dans le secret des dieux pour savoir où Navin Ramgoolam sera candidat aux prochaines élections ? Comment peut-on opérer avec 10 candidats potentiels qui travaillent dans chaque circonscription ? Est-ce que le parti, à moins de deux ans des élections générales, est prêt à présenter une équipe solide composée de gens d’expérience et de nouveau dynamisme, crédible et compétente pour la proposer comme alternance à la population ? Ou fera-t-il comme d’habitude en désignant les candidats du parti à la veille du Nomination Day ? Avons-nous un programme autour duquel nous pouvons fédérer la nation ? 

Navin Ramgoolam parle de rupture. Quel est le contenu de cette rupture ? C’est un terme totalement vide de sens. Comment pouvons-nous avoir un programme alors que deux instances stratégiques, à savoir le National Policy Forum et les Policy Commissions, sont non existants ? Encore une fois, je ne me souviens du tout pas de la dernière fois que ces instances se sont réunies. L’objectif d’un parti politique est de gagner les élections. Pour gagner les élections, il faut une stratégie claire et opérationnelle. 

Quelle est la motivation de Navin Ramgoolam de nommer comme directeur de  stratégie à  un moment pareil un novice qui n’a jamais fait une campagne, même pas pour des élections villageoises ? La seule motivation que je puisse imaginer est de récompenser ce monsieur pour avoir créé une nouvelle plateforme nommée Gen-Next, donnant ainsi à Navin Ramgoolam une plateforme parallèle pour contourner les instances du parti. 

C’est triste et lamentable de constater que le PTr va depuis quelque temps à la dérive. Il est devenu complétement dysfonctionnel.

Mais vous ne m’avez rien dit sur le projet d’alliance avec le MMM…  
Personne n’a le droit de discuter ou de négocier une quelconque alliance avec qui que ce soit sans l’aval des instances compétentes du parti. Autant que je sache, aucune instance n’a mandaté qui que ce soit au sein du parti, même pas Navin Ramgoolam, pour négocier une quelconque alliance. Beaucoup de membres, des Travaillistes authentiques, sont soucieux de l’avenir du parti et ils sont libres de discuter de ce qui est, selon eux, les meilleures options pour l’avenir du PTr. 

Mais Ramgoolam a probablement raison de parler de Judas dans le parti : il fait ainsi référence à ceux qui sont venus d’ailleurs et sont maintenant bien installés [et ils sont nombreux]. Navin Ramgoolam a l’habitude de travailler avec des Judas/transfuges : vous n’avez qu’ à consulter la liste du Conseil des ministres de 2005 à 2014 pour vous en rendre compte. 

Approuvez-vous le raisonnement de Navin Ramgoolam qui insiste sur le fait que l’objectif principal doit être de sortir le MSM et Pravind Jugnauth du pouvoir ? « Il ne faut surtout pas se tromper de cible », dit-il… 
Navin Ramgoolam est dépourvu d’une équipe solide et crédible, d’un programme, d’une organisation structurée au niveau des 20 circonscriptions, d’une stratégie claire et d’un projet de société qui puissent permettre au Parti travailliste de gagner des élections. Son unique objectif déclaré est de bouter Pravind Jugnauth et le MSM hors du pouvoir. Mais il ne nous dit pas comment il pense le faire, ni ce qu’il fera pour le pays ensuite – en dehors de son projet d’offrir un voyage gratuit à nos aînés à La Réunion… Encore une fois, il y a dans son projet un creux résonnant, comme avec sa « rupture ». Rupture, mais « all remaining the same ».

Aucune alliance ne peut se baser uniquement sur qui va devenir Premier ministre ou président de la République et sur le partage des postes constitutionnels et des nominations politiques. Une alliance doit impérativement se baser sur un programme, un projet de société et surtout assurer la stabilité sociale et le progrès économique du pays. La priorité du PTr aujourd’hui est de mettre toutes les chances de son côté pour ne pas se retrouver hors du pouvoir pour un troisième mandat, sinon il court le risque de se voir considérablement amoindri sur l’échiquier politique. Et tout cela doit obligatoirement être discuté au sein même du parti. Il faut aussi dans ce cadre prendre en considération les vœux de l’électorat travailliste et non seulement les desiderata de quelques apparatchiks. 

Quel est le contenu de cette rupture ? C’est un terme totalement vide de sens. Comment pouvons-nous avoir un programme alors que deux instances stratégiques, à savoir le National Policy Forum et les Policy Commissions, sont non existants ? 

À Solitude, Navin Ramgoolam avait déclaré que ce n’est pas normal qu’il soit le seul leader politique à ne pas avoir été élu lors des élections générales. Comment expliquez-vous ses deux défaites consécutives ?
Navin Ramgoolam en connaît les raisons mieux que moi. En 2014, Ramgoolam a totalement échoué dans sa stratégie électorale avec son projet de 2e République que personne n’a compris et en présentant Paul Bérenger comme Premier ministre alors que l’électorat avait rejeté depuis longtemps cette idée. En 2019, il n’avait toujours pas compris qu’il fallait toute une organisation, un planning pour créer un rapport de forces favorable : en 2019, fidèle à son habitude, il a pensé qu’il allait gagner « by default ». Et même aujourd’hui, il n’a pas changé, ne se rendant absolument pas compte que l’électorat mauricien est avisé, lucide, intelligent et capable de faire la différence entre la démagogie et le sérieux. « He is still sticking to his formula by default ».

Pour plusieurs observateurs politiques, et aussi pour certains membres du PTr, il serait plus facile de remporter les élections en présentant un visage autre que Navin Ramgoolam. Votre avis ?
Qui n’est pas de cet avis ? Nous entendons le même son de cloche partout : chez le coiffeur, au marché, à la foire, chez le marchand de ‘dholl puri’, dans les mariages, etc. Nous entendons la même farouche réticence à l’égard de Navin Ramgoolam. Ici, je dois vous corriger : il ne s’agit pas de certains membres du parti, mais d’une majorité qui partage cet avis, qui en parle doucement, en chuchotant, mais qui n’ose pas s’exprimer à haute voix – de peur de ne pas avoir un ticket électoral. 

Navin Ramgoolam, de par sa manière de faire et en brandissant ses soi-disant prérogatives, a « hijacked » le rôle d’un comité pour devenir le seul et unique distributeur de tickets. Il terrorise les membres du parti, lesquels sont devenus tout simplement des demandeurs de ticket électoral et des suiveurs pour leurs propres intérêts au détriment de ceux du parti. Navin Ramgoolam les a carrément pris en otage. Ceci en raison de l’absence de principes démocratiques à l’intérieur du PTr. Alors que notre modèle de gouvernement est fondé sur les principes démocratiques westminstériens, les partis politiques mauriciens fonctionnent sur des bases archaïques, faisant fi de tout principe démocratique. Quand aurons-nous l’équivalent d’un Rishi Sunak, qui est le leader du Parti conservateur et Premier ministre uniquement sur la base de ses compétences ? 

Navin Ramgoolam s’est présenté à un moment comme un Premier ministre de transition, mais depuis quelque temps, il semble que cette formule a été écartée. Navin Ramgoolam semble vouloir prétendre à un mandat de 5 ans. Quelle aurait été la meilleure formule pour lui ?
La seule formule possible est qu’il cède la place à quelqu’un d’autre. Un système qui permet à quelqu’un de rester leader d’un grand parti comme le nôtre pendant 33 ans en dépit de deux défaites électorales consécutives doit absolument être remis en question. Un leader politique ne peut pas le rester éternellement. Autant que je sache, Navin Ramgoolam n’est pas passé par la PSC et n’est pas un fonctionnaire avec une ‘Security of tenure’. Nul n’est indispensable. Navin Ramgoolam a l’habitude de dire : Parti travayis ena enn Bondie. Il ferait bien de se rendre compte qu’il y avait un Dieu pour le PTr avant lui et qu’il y en aura toujours un après lui. 

Quand aurons-nous l’équivalent d’un Rishi Sunak, qui est le leader du Parti conservateur et Premier ministre uniquement sur la base de ses compétences ? 

Pour la direction, seuls les « frustrés » sont en désaccord avec le fonctionnement du parti. La direction fait-elle fausse route en mettant cet argument de l’avant ?
De quel fonctionnement parlez-vous ? C’est justement le non-fonctionnement du parti qui est frustrant. De quelle direction parlons-nous ? Cette fameuse direction est aujourd’hui réduite à un « one-man » ou un « two-men show ». Navin Ramgoolam n’a que le mot de frustré à la bouche. Dès que quelqu’un n’est pas d’accord avec lui, il le traite de frustré.  Je me demande de quoi il va me traiter. De déloyal ? De frustré ? En fait, c’est Navin Ramgoolam qui est déloyal et qui prêche une chose et qui pratique le contraire. 

En ce qui me concerne, je lui ai dit catégoriquement que je n’étais nullement intéressé par un ticket ni par une position quelconque de responsabilité au sein du parti. Ce qui m’interpelle, c’est l’avenir et l’intérêt supérieur du PTr au sein duquel j’ai consacré plus de la moitié de ma vie active, comme beaucoup d’amis parmi nous. Je me suis engagé en politique pour le bien d’un parti que j’aime et pour l’intérêt du pays. Je me suis donné à fond dans cet engagement depuis un quart de siècle. Cependant, je n’ai nullement et, à aucun moment, mis en gage ma conscience, ni ma liberté de parole.

Du côté du MSM on affirme qu’aussi longtemps que Navin Ramgoolam restera à la tête du parti, c’est la victoire assurée pour Pravind Jugnauth. Le MSM a-t-il raison ?
Navin Ramgoolam reste évidemment un adversaire politique pour Pravind Jugnauth et le MSM, mais il n’est pas un challenger. Il était un bon agent du MSM en 2019, et avec le statu quo dans l’orientation politique et stratégique qu’il impose sur le Parti travailliste, il sera encore le meilleur agent du MSM au prochain scrutin.

Vous êtes très critique vis-à-vis du leadership du PTr. Que proposez-vous ?
En finir avec le « one-man show ». ; remplir le poste de Deputy Leader avec des pouvoirs et des responsabilités et abolir tous les postes fantoches, dont principalement les cinq postes de vice-président - clairement créés pour la galerie et pour bâillonner ceux occupant ces postes -; créer une équipe solide, compétente et crédible avec un mix d’expérience et de nouveau dynamisme pour relever les nouveaux défis ; réinventer le parti pour en faire un parti participatif et de prise de décisions collectives ; définir une nouvelle vision tout en ravivant la philosophie sociale et travailliste du parti ; raviver toutes les instances du parti selon sa constitution, créant ainsi les plateformes voulues et trop longtemps négligées pour discuter des stratégies et des mesures de ‘policy’ nécessaires ; développer un programme gouvernemental/projet de société qui réponde aux attentes de la population. Tout ce dont j’ai parlé est essentiel afin d’éviter une dissidence qui clairement se profile à l’horizon et pour que le Parti travailliste ne subisse pas le même sort que le MMM. 

Le mot de la fin ?
Je souhaite simplement reprendre les mots d’Abraham Lincoln qu’il a prononcés en 1887. « You can fool all of the people some of the time ; you can fool some of the people all of the time; but you can’t fool all the people all the time.”

 

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