Salaire minimal : ces PME qui paient leurs employés contre vents et marées

Salaire minimal

Si 19 % des entreprises ne se sont pas encore conformées au paiement du salaire minimal, la majorité des compagnies ont honoré leur engagement. Parmi, on compte un bon nombre de PME. Toutefois, c’est non sans difficulté qu’elles ont appliqué la mesure. Confession de trois entrepreneurs.

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Rekha Cowlessur, directrice d’Arvani Ltd : «J’ai été contrainte de licencier deux de mes employés»

Un véritable casse-tête. C’est ce que symbolise le salaire minimal pour Rekha Cowlessur, directrice d’Arvani Ltd, compagnie spécialisée dans la fabrication de chaussettes. Depuis l’introduction de cette mesure, l’entrepreneure doit faire provision d’environ Rs 30 000 additionnelles chaque mois. « Or, c’est une lutte continue pour trouver ce montant. Contrairement aux grosses entreprises, les PME ont un chiffre d’affaires et une marge de profits réduits », indique-t-elle.

Ce qui l’a poussée à faire un choix drastique. « J’ai dû me séparer de deux employés. De onze salariés, nous sommes aujourd’hui passés à neuf. J’ai préféré mettre les helpers que j’avais recrutés, il y a un ou moins d’un an, à la porte pour conserver ceux qui ont de plus longues années de service », indique Rekha Cowlessur. Une décision qui n’a pas été facile à prendre. « Je suis consciente du fait que quand on licencie une personne, c’est toute une famille qu’on touche. Mais je n’avais pas le choix. » Aujourd’hui, l’entrepreneure se retrouve avec moins d’employés, mais avec le même volume de travail. Du coup, les employés ont plus de travail sur le dos. Par ailleurs, la compagnie fait face à un manque à gagner de 30 à 40 % depuis l’introduction du salaire minimal.

« Nous ne sommes pas contre le fait que les employés obtiennent un salaire décent. Toutefois, nous estimons que les autorités auraient dû accorder un breathing space de six mois minimum aux PME afin que nous puissions prendre des dispositions pour pouvoir appliquer le salaire minimal. Or, la mesure est entrée en vigueur soudainement et sans consultations avec les PME », déplore Rekha Cowlessur.

Denis Ng, directeur de FX Creations : «Nous avons perdus des clients»

Pour pouvoir payer le salaire minimal à ses employés, Denis Ng, directeur de FX Creations (NdlR : la compagnie est spécialisée dans la fabrication de t-shirts et polo shirts pour le marché local et l’exportation) a dû prendre deux décisions. La première a été de se séparer de trois de ses dix employés. La deuxième a été d’augmenter le prix de ses produits. « Nous ne pouvons travailler à perte. Malheureusement, certains de nos clients nous ont quittés.  »

Mais que pense-t-il de l’introduction du salaire minimal ? « Le salaire minimal n’est pas une mauvaise chose. Le coût de la vie a augmenté et il est, tout à fait, normal que les employés soient payés en conséquence. Tout le monde doit vivre », souligne Denis Ng. Pour lui, le salaire minimal peut bénéficier non seulement aux employés, mais aussi aux entreprises. « C’est une win-win situation. Si l’on paie plus les employés, ils seront plus productifs. Et il y aura plus de ventes. Mais il faut que les employés comprennent cela et assument leurs responsabilités », fait-il ressortir. Denis Ng trouve toutefois dommage que cette mesure n’ait pas attiré la main-d’œuvre locale à se tourner davantage vers le secteur manufacturier. « Les Mauriciens continuent malheureusement à bouder le secteur », conclut-il.

Sanjay Boolakee, directeur de Spy Trading : «Une frustration parmi les salariés»

Sanjay Boolakee, directeur de Spy Trading.

Contrairement à d’autres PME, Sanjay Boolakee, directeur de Spy Trading (NdlR : la compagnie fabrique des t-shirts et d’autres vêtements), n’a pas eu à licencier des employés pour pouvoir appliquer le salaire minimal. Ce qui ne l’a pas empêché à avoir eu quand même des difficultés pour les payer car le travail a tourné au ralenti durant les trois premiers mois de l’année, en raison du mauvais temps. « Ce n’est qu’en avril que nous avons retrouvé notre vitesse de croisière », fait-il ressortir.

Parallèlement, pour faire face à cette situation, la compagnie a dû augmenter de l’ordre de 7 % les prix de ses produits. Autre changement noté depuis l’introduction du salaire minimal : le comportement des employés. « Il y a une certaine frustration et mécontentement parmi les salariés », avance Sanjay Boolakee.  Et pour cause, les employés les plus anciens et les plus expérimentés voient mal que des jeunes sans expérience et sans formation toucher plus ou moins les mêmes salaires qu’eux. « Il y a en effet une certaine injustice à ce niveau. On ne peut mettre tous les employés, avec ou sans expérience, dans un même panier. Il aurait fallu imposer un salaire minimal d’après le ‘grade’ de l’employé, comme c’est déjà le cas dans les Remuneration Orders », recommande-t-il.

Vijay Ramgoolam, ancien directeur de l’ex-SMEDA : «Les PME se retrouvent coincées de toutes parts»

La seule solution pour aider les PME à faire face au paiement du salaire minimal, c’est de les aider parallèlement à travers des mesures incitatives, insiste Vijay Ramgoolam, ancien directeur de l’ex-Smeda.  

Beaucoup de PME  n’arrivent-elles pas à payer le salaire minimum à leurs employés ? Est-ce fait délibérément ou par manque de choix ?
Il y a des PME qui sont réellement en difficulté. Il faut savoir qu’une PME prend du temps avant d’atteindre sa vitesse de croisière. Si elle emploie deux personnes, elle devra trouver Rs 17 000 rien que pour les salaires, sans compter qu’elle a d’autres dépenses. Au cas où la PME emploierait plus de personnes, elle devrait automatiquement réduire le nombre de personnel et ce serait les employés restants qui devraient faire l’ensemble du travail. Quant aux petites entreprises, qui seront asphyxiées par le paiement du salaire minimal, elles devraient tout simplement fermer leurs portes.

Cette mesure va décourager les gens à ouvrir une entreprise. Par ailleurs, la Smeda n’est plus fonctionnelle depuis les dernières élections.  Or, les PME ont plus que jamais besoin d’assistance, surtout en matière de marketing afin que leurs produits soient plus visibles à travers le pays. Les PME sont ainsi confrontées à un double problème. D’une part, elles doivent trouver des moyens pour payer leurs employés et, d’autre part, le SME Mauritius, qui a remplacé la Smeda n’est pas encore pleinement opérationnelle. Les PME se retrouvent coincer de toutes parts.

Pour les syndicats, il est inacceptable qu’en 2018 des employés touchent encore des salaires de misère. Vos commentaires ?
Tout pays en voie de développement fait face au même problème. Le système parfait n’existe pas. Et dans bien des cas, half a loaf is better than no bread. Il est préférable de conserver son emploi que de le perdre. Je ne suis pas contre le salaire minimal, mais c’est un fait qu’avec cette mesure, certaines PME se retrouvent encore plus en difficulté.

Quelles solutions pour que les PME et les employés y trouvent tous deux leur compte ?
La décision a déjà été prise. Nous ne pouvons plus reculer. Par contre, les autorités doivent proposer plusieurs incitations pour les PME. Il faut des mesures agressives pour aider les entrepreneurs. C’est la seule solution. Dans le cas contraire, les PME vont licencier ou tout simplement mettre la clé sous le paillasson.

Reeaz Chuttoo, syndicaliste : «20 000 à 30 000 personnes n’ont pas encore reçu le salaire minimal»

Reeaz Chuttoo ne cache pas sa colère. « Malgré le fait que ce soit écrit noir sur blanc dans la loi, plus de 600 entreprises n’ont toujours pas appliqué le salaire minimal. Ainsi, environ 20 000 à 30 000 employés sont concernés. C’est inacceptable ! »

Pour le syndicaliste, c’est une « fausse propagande » que de dire que les PME n’ont pas la capacité de payer.

« Près de trois quarts des PME sont couverts par le Factory Remuneration Order. Or, il est indiqué que le salaire d’un opérateur à fin décembre était de Rs 8 368. Quand on y ajoute la compensation salariale de Rs 360 cette année, l’opérateur touche Rs 8 728 », fait ressortir Reeaz Chuttoo. D’ailleurs, avance notre intervenant, les PME sont très peu à ne pas appliquer le salaire minimal.

« Au fait, plusieurs  grosses entreprises sont récalcitrantes à payer le salaire minimum. C’est de la mauvaise foi pure et simple. D’ailleurs, certains employeurs, conseillés par des avocats sans scrupules, sont en train de profiter des faiblesses de la loi pour ne pas appliquer le salaire minimal », explique le syndicaliste. D’où l’importance, souligne Reeaz Chuttoo, d’apporter des changements à la loi, afin de combler toutes les failles. « Le ministère doit sévir. Si une ou deux entreprises commencent à tomber, la situation va se renverser et le salaire minimal ne sera plus un problème pour les compagnies », conclut-il.


Ces employés qui n’ont pas encore reçu le salaire minimal

Marinette, agente de sécurité : «J’attends toujours»

Marinette, agente de sécurité de 56 ans, se faisait une joie de recevoir le salaire minimal fin janvier. Toutefois, elle a vite désenchanté, en réalisant que son salaire (NdlR : elle touche Rs 7 500) est resté inchangé. Qui plus est, elle n’a même pas obtenu de compensation salariale. Ses collègues sont dans la même situation. « Quand je suis allée voir la direction, on m’a dit que j’aurais le salaire minimal plus tard. Nous sommes aujourd’hui au mois d’avril et je n’ai toujours rien reçu. » L’affaire a donc été rapportée au ministère du Travail. « Mais, jusqu’ici rien n’a changé. Et moi qui comptait sur cet argent supplémentaire pour souffler un peu, surtout que tout coûte cher de nos jours », conclut Marinette.

Sunita, Teaching Assistant : «Notre employeur préfère payer l’amende»

« Je préfère payer l’amende, mais vous n’aurez pas de salaire minimal. » Ce sont les propos d’une responsable d’une ONG à ses employés. Des paroles qui hantent depuis Sunita. Cette Teaching Assistant, âgée d’une trentaine d’années, n’a pas obtenu de salaire minimal à ce jour. Tous les Teaching Assistants et les Carers’ sont affectés par cette situation. « Pour ne pas nous payer, elle nous dit que nous sommes des employés à temps partiel. Pourtant, nous travaillons cinq jours sur sept, de 9 h 30 à 14 h 30, tout comme les enseignants, à la différence que ces derniers touchent plus de Rs 11 000. C’est vraiment injuste, d’autant plus que certains d’entre nous comptent 15 à 20 ans de service », déplore la jeune femme qui touche un salaire de Rs 7 750. Et d’ajouter : « Si nous n’obtenons pas le salaire minimal fin avril, nous comptons organiser un sit-in ». à savoir que l’affaire a été rapportée au ministère.

Ces autres cas

Plusieurs employés des magasins, des grandes surfaces et autres commerces n’ont toujours pas reçu leur salaire minimal. « Ces entreprises réalisent, pourtant, des profits », fulmine le syndicaliste Reeaz Chuttoo. On retrouve cette situation dans d’autres secteurs d’activité. à titre d’exemple, une compagnie de pompes funèbres a tout simplement changé le « statut » de ces employés. « Elle les emploie dorénavant comme des freelance, tout en gardant leurs anciens horaires, soit de 9 à 17 heures. C’est tout bonnement révoltant », ajoute notre intervenant.

EN CHIFFRES

2 870

entreprises sur 3 529 paient le salaire minimum à leurs employés.

659

C’est le nombre d’entreprises qui n’a toujours pas appliqué le salaire minimal. 

30 avril.

C’est la date butoir à laquelle ces entreprises devront se conformer à la loi.

50 000 roupies.

C’est le montant de l’amende que les entreprises récalcitrantes devront payer si elles ne respectent pas ce délai.

Source : ministère du Travail.

 

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