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«Revenge Porn» : une violence numérique à visage humain

À l’heure où la technologie envahit chaque recoin de notre quotidien, le revenge porn ou pornodivulgation non consensuelle s’installe comme une ombre silencieuse dans la société mauricienne. D’abord considéré comme un phénomène marginal, il s’étend aujourd’hui jusqu’aux plus jeunes, profitant de l’anonymat et de la viralité des réseaux sociaux. En quelques clics, une image intime peut devenir une arme de destruction psychologique. La prolifération de l’intelligence artificielle et l’accessibilité du dark web soulèvent aussi de nouvelles menaces. Psychologues, pédagogues et sociologues alertent : au-delà des lois, il est urgent de repenser notre éducation, notre rapport à la technologie et notre accompagnement social.

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Dr Anjum Heera Durgahee : « Ce n’est pas de la sexualité, c’est de la domination »

Anjum HeerahLe revenge porn ne peut pas être réduit à une simple dérive numérique. Selon la psychologue Dr Anjum Heera Durgahee, cette pratique constitue une agression psychologique grave, dont les racines plongent plus profondément dans la soif de pouvoir que dans la sexualité. Il s’agit d’une forme de contrôle, d’humiliation et d’asservissement émotionnel. Selon elle, il faut d’abord reconnaître cette violence comme une atteinte à la dignité humaine et à la sécurité psychologique, au même titre que d’autres formes de maltraitance psychique.

Dans son approche clinique, la Dr Heera Durgahee insiste sur l’importance d’un accompagnement thérapeutique structuré. La première étape consiste à créer un espace sécurisant où la personne concernée peut s’exprimer sans crainte d’être jugée. La confidentialité et l’écoute bienveillante sont essentielles. Beaucoup de personnes arrivent avec une grande culpabilité, qu’il faut dissocier de leur responsabilité. Le travail thérapeutique se concentre ensuite sur les symptômes du traumatisme : flashbacks, troubles du sommeil, anxiété sociale, perte d’estime de soi. Grâce à des outils comme les thérapies cognitivo-comportementales, il devient possible de reconstruire l’image personnelle et de retrouver une stabilité émotionnelle.

Processus LONG 

Mais la prise en charge ne s’arrête pas là. La psychologue souligne la nécessité d’un accompagnement juridique et d’un encadrement numérique. Il faut guider les personnes concernées dans les démarches pour signaler et faire retirer les contenus. Ce processus peut être long et douloureux, mais il est essentiel pour la reconstruction. Elle prône aussi le travail en réseau : groupe de soutien, thérapie familiale, dialogue avec les proches. Le silence isole, tandis que l’entourage soutient.

L’objectif à long terme reste l’empowerment. Redonner aux personnes concernées le pouvoir d’agir, transformer la douleur en résilience, faire de leur expérience un levier de croissance personnelle. Et surtout, sensibiliser. Tant qu’on ne parlera pas ouvertement de consentement, de respect numérique et de conséquences psychologiques, le phénomène continuera à proliférer dans l’ombre. Pour la psychologue, il est temps d’élever la conscience collective.

Ritesh Poliah : « L’école et la famille doivent reprendre le contrôle »

Ritesh PoliahFace à la montée du revenge porn chez les jeunes, le pédagogue Ritesh Poliah plaide pour une réforme de l’éducation à Maurice. Il ne suffit pas de durcir les lois, il faut comprendre pourquoi ces comportements apparaissent et se propagent. Et cela commence dans la cellule familiale. Dans un monde connecté, où les enfants de 12 ans ont déjà un smartphone avec accès à Internet, l’éducation numérique doit être une priorité dès le plus jeune âge.

Pour Ritesh Poliah, les parents jouent un rôle fondamental. Le téléphone est devenu un outil banal. Mais combien d’enfants savent ce qu’ils peuvent ou ne doivent pas y faire ? L’éducation au numérique ne doit pas être punitive, mais explicative. Il faut que les enfants comprennent les limites, les risques et les conséquences. Certains parents, accaparés par leur quotidien, délèguent cette responsabilité à l’école et inversement. Ce vide éducatif est exploité par les réseaux sociaux.

S’ajoute la banalisation des contenus suggestifs sur des plateformes comme TikTok ou Instagram. Les jeunes se filment, s’exposent, parfois sans en mesurer la portée. Les prédateurs, eux, ne manquent pas. Pour répondre à cette réalité, Ritesh Poliah propose une meilleure coordination entre le ministère des Technologies et celui de l’Éducation. Il faut des ateliers dans les écoles, des dialogues continus. Et une loi adaptée à la réalité mauricienne.

Il cite l’Australie, où l’accès aux réseaux sociaux est interdit aux moins de 12 ans. On y applique un contrôle strict, même à l’école. Pourquoi pas ici ? Il souligne aussi l’importance d’une réponse rapide : lorsqu’une vidéo circule, il faut des mécanismes légaux pour la supprimer rapidement et protéger la personne concernée. Attendre des mois pour une suppression, c’est condamner une personne à revivre son trauma chaque jour.

En définitive, Ritesh Poliah appelle à une éducation du numérique, mais aussi à une pédagogie du respect et du consentement. Il ne suffit pas de punir, il faut prévenir. Seul un système éducatif inclusif et réformé peut le garantir.

Rajen Sunthoo : « Le revenge porn est le miroir d’une société en souffrance »

Rajen Suntoo 1Le sociologue Rajen Sunthoo dresse un constat : le revenge porn n’est pas uniquement une affaire de réseaux sociaux, c’est aussi un révélateur d’un mal-être plus profond. Ce phénomène montre que la société est fracturée. Le taux de suicide chez les jeunes, la montée des cas de dépression sont des signaux que nous ignorons à tort. Selon lui, cette forme de violence psychologique s’inscrit dans une culture du silence, où les personnes concernées ne dénoncent pas par peur du jugement ou par honte.

Selon Rajen Sunthoo, nous vivons dans une époque où la réputation est devenue une monnaie sociale. Imaginez un instant ce que subit une personne concernée. Son intimité devient publique, sa dignité bafouée, son avenir compromis. Et pourtant, combien osent porter plainte ? Peu. La honte, l’humiliation et le regard des autres créent un cercle vicieux qui empêche la libération de la parole.

Il souligne aussi le manque d’études sur le sujet à Maurice. On parle de loi, de régulation, mais connaît-on l’ampleur du phénomène localement ? Selon lui, il est nécessaire de lancer des recherches sociologiques sur le revenge porn et d’en faire un objet d’étude dans les cursus scolaires. Les jeunes doivent comprendre que derrière l’écran se cache une réalité brutale.

Rajen Sunthoo évoque aussi les risques liés à l’intelligence artificielle. Deepfakes, vidéos manipulées : autant de nouveaux outils pour nuire. L’intelligence artificielle est une épée de Damoclès. Elle peut créer des contenus faux, mais crédibles, et ruiner une réputation en quelques secondes. Il plaide pour des cours sur les technologies émergentes, leurs bienfaits, mais aussi leurs risques. La technologie évolue plus vite que la capacité à en saisir les conséquences. Il faut combler ce retard.

Pour le sociologue, c’est toute une culture qu’il faut revoir. Celle du respect, du consentement, de la responsabilité numérique. Et cela commence par l’écoute, la prévention et l’éducation.

Une réponse collective pour un fléau numérique

Le revenge porn est plus qu’une affaire d’images volées : c’est un symptôme d’une société qui peine à s’adapter à la vitesse de la technologie. Entre violence psychologique, échec éducatif et dérives numériques, le phénomène appelle une mobilisation collective. Le droit, l’éducation et la psychologie doivent désormais parler d’une seule voix. Derrière chaque vidéo, chaque image, il y a une vie brisée. Réparer demande plus que des lois : cela exige une conscience sociale éveillée.

 

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