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Retraite : Rs 6 milliards d’économie avec la pension à 65 ans

Le Fonds monétaire international prévoit qu’à terme, le nombre de pensionnés augmentera de plus de 50 %.

La question de la pension universelle refait parler d’elle cette semaine. Le ministre de la Sécurité sociale a affirmé que le ciblage ou la pension de vieillesse à 65 ans étaient hors de question. Pourtant, les analystes estiment que la situation est alarmante.

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Quels risques court-on si le gouvernement ne procède pas à la réforme de la Basic Retirement Pension (BRP), soit la pension de vieillesse universelle ? Le Fonds monétaire international (FMI) se montre alarmiste, prévoyant qu’à terme, le nombre de pensionnés augmentera de plus de 50 %, alors que l'augmentation du nombre de personnes professionnellement actives sera d’à peine de 0,5 %. Pourtant, le ministre de la Sécurité sociale, Étienne Sinatambou, a enterré l’option d’une réforme allant dans le sens du ciblage ou du report de l’âge d’éligibilité à 65 ans. 

Pourtant, l’option de la pension à 65 ans, à elle seule, apporterait des gains considérables au pays, selon Ashok Aubeeluck, ancien directeur du Budget au ministère des Finances. « Cela aurait un gros impact sur le Budget, avec des économies de Rs 6 milliards, explique l’économiste, soit à peu près 5,5 % du PIB. » Les Rs 6 milliards représentent à peu près la somme payée par le gouvernement aux personnes se trouvant dans la tranche d’âge de 60-64 ans qui ne devraient pas toucher de pension, selon Ashok Aubeeluck.

Ce dernier a d’ailleurs participé activement à la réforme de la retraite à 65 ans sous Rama Sithanen. Sauf que le gouvernement, à l’époque, opte pour la demi-mesure. « J’étais le président du comité responsable de l’extension de la retraite à 65 ans, raconte Ashok Aubeeluck. Mais le gouvernement s’est arrêté à mi-chemin en maintenant la pension à 60 ans, contrairement à ce que nous avions recommandé.» Si le gouvernement avait suivi ces recommandations, la population aurait été notifiée des changements qui auraient été échelonnés, comme avec la retraite à 65 ans. 

S’il est d’accord avec le principe et la nécessité de la pension à 65 ans, Noor Hotee, actuaire opérant dans le privé, estime toutefois que dix ans n’auraient sans doute pas suffit. Il faudrait appliquer les changements par rapport aux générations, selon lui. 

« Il faut sans doute envisager toute réforme sur 20 ou 30 ans, explique-t-il. Ceux qui ont plus de 40 ans aujourd’hui sont déjà dans le système et on ne peut les bousculer, car préparer sa retraite, cela prend du temps. Pour ceux en-dessous de la barre de 40 ans, l’idéal serait un nouveau système, peut-être contributif, à l’image du National Employment Savings Trust (NEST) britannique. »

En effet, dans le système britannique, chaque employé obtient automatiquement un compte NEST et contribue mensuellement. Il obtient un compte en ligne qu’il peut consulter à loisir et choisir de stopper ou de recommencer ses contributions à sa guise. Le compte NEST peut en fait être géré comme un compte en banque. Une forme de contrôle et de transparence qui aiderait à mieux faire accepter le changement, selon l’actuaire. « On ne peut nier qu’il y a un problème, explique Noor Hotee. Mais ce n’est pas un problème qu’un comité technique peut régler seul. Il faut une consultation populaire pour que ce soit accepté et que les gens comprennent la situation. Cela empêcherait qu’à l’avenir on utilise la pension comme appât électoral sans réfléchir aux conséquences. »

L’aspect politique de la chose irrite également l’économiste Pierre Dinan, qui a démissionné du comité technique qui ne s’est pas réuni depuis un an. 

« Ils sont en train de jouer avec le feu, lance-t-il. Ces hommes politiques ne seront pas là dans 5 à 10 ans. Ils le savent. » Pour ce dernier, la pension à 60 ans alors qu’on travaille encore est une anomalie. 

Si d’autres s’épanchent sur l’impact de la pension sur l’économie, Pierre Dinan se préoccupe surtout de son impact social. « Qui va financer ces pensions ? » se demande-t-il. Ce sont les gens qui sont en train de travailler, lesquels sont en train de diminuer. On crée à petit feu un conflit intergénérationnel. Cela n’arrivera pas demain, mais les jeunes vont finir par se dire qu’ils sont fatigués de travailler pour les vieux. » Le problème, argue-t-il, est économique et financier, certes, mais aussi social. « Malheureusement, ce sont des problèmes de moyen et long termes et les ministres vivent à court terme », conclut Pierre Dinan.


Les prévisions et prescriptions du FMI

À l’époque où Pravind Jugnauth était encore ministre des Finances et songeait sérieusement à une réforme de la pension universelle, le gouvernement tenait pour feuille de route un rapport du Fonds monétaire international (FMI) intitulé « Pension Reforms in Mauritius: Fair and Fast – Balancing Social Protection and Fiscal Sustainability ». Ce rapport comprenait des projections sur l’évolution des différents types de pensions du pays et les propositions de solutions possibles. 

Partant du principe que la pension augmentera de manière parallèle aux salaires et une éligibilité universelle maintenue à 60 ans, le FMI estime que de 2015 à 2050, le poids des pensions représentera 8,1 % du PIB, contre 3,6 % au moment de la rédaction du rapport. De 2050 à 2100, le FMI prévoit une augmentation supplémentaire de 3 %, portant le chiffre à 11,1 %.

Les conclusions du FMI basées sur ce scénario sont pour le moins inquiétantes : « This rapid increase could threaten the overall long-term sustainability of public finances.» Ou encore : « These amounts would not be financeable with the current tax system, and it is unlikely that Mauritius would want to increase taxes to be able to spend some 11% of GDP per year in universal pensions… »

L’une des solutions proposées par le FMI est effectivement le report de l’âge d’éligibilité à 65 ans, ce qui permettrait de faire des économies, représentant 198 % du PIB de 2015. « At the current age of eligibility of 60 years, the rising share of the population over age 60 in the total population would raise the number of BRP beneficiaries — over 2015–2050, the number of eligible BRP individuals is projected to more than double, while the total population is projected 

to increase by only 0.5% », indiquent les analystes du FMI. Et c’est sans compter l’espérance de vie qui continuera de croître, ce qui augmente le nombre d’années durant lesquelles une personne sera éligible pour la pension. 

L’alignement de l’éligibilité à la pension sur l’âge de la retraite, soit 65 ans, serait une bonne solution, selon le document du FMI. L’indexation de l’âge de la retraite sur l’espérance de vie est donnée en mesure accompagnatrice. « Over the long term, increasing the age of BRP eligibility would have a substantial impact on fiscal sustainability, by reducing the present discounted value of BRP expenditure from 457 % to 259 % of 2015 GDP, » conclut le rapport. 


La montée inexorable

Au cours des dernières années, le nombre de personnes éligibles à la pension universelle, ainsi que la charge financière que cela représente pour le gouvernement, ne cessent d’augmenter. Les dépenses sont passées de Rs 9 milliards en 2013 à Rs 15 milliards en 2017, avec une progression constante. L’exception de 2015 ne tient qu’à la révision de l’année fiscale de janvier-décembre à juillet-juin et les Rs 6 milliards ne représentent que six mois de dépenses.

Alors qu'en 2013, le pays comptait 177 721 personnes d’au moins 60 ans, ce chiffre a atteint 206 799 en 2017. Une hausse constante au fil des ans. 

En termes de pourcentage, le nombre de pensionnés a augmenté de 5 % de 2016 à 2017, alors que le coût des pensions a connu une augmentation de 9 % sur la même période. 

Le vrai casse-tête n’est pas nécessairement le volume croissant des pensionnés, mais le mouvement inverse en termes de population active. Un phénomène qui s’explique par une baisse du taux de fertilité et un prolongement de l’espérance de vie du Mauricien moyen. Le résultat étant, sur le long terme, qu’il y aura de moins en moins de gens qui travaillent pour financer les pensions des retraités. Les projections du FMI (voir en hors-texte) sont même très inquiétantes à ce sujet.

Le graphique, qui fait la comparaison entre la progression de la population active et celle du nombre de pensionnés sur les dernières années, ne montre pas, au premier coup d’oeil, une réduction très alarmante de l’écart entre le nombre de personnes professionnellement actives et les pensionnés. Mais une comparaison permet de constater que l’écart se réduit tout de même progressivement : en 2013, plus de trois personnes actives supportaient un pensionné, alors qu’en 2017 ce chiffre est descendu en-deçà de 3.

Une comparaison avec les dépenses totales du gouvernement en termes de sécurité sociale (voir camembert) donne également un aperçu du poids de la pension de vieillesse : elle représente 45,2 % des dépenses, loin devant le deuxième item, soit les pensions de la Fonction publique, avec 19,4 %. La Sécurité sociale représente 29 % des dépenses totales du gouvernement et 7,4 % du Produit intérieur brut (PIB).


Ce dont le comité technique a discuté

Si Étienne Sinatambou affirme aujourd’hui qu’il est hors de question que le gouvernement touche à la pension de vieillesse, que ce soit en termes de ciblage ou du recul de l’éligibilité à 65 ans, cette position est loin d’avoir été la seule du gouvernement. C’est Pravind Jugnauth, ministre des Finances en 2016, qui avait mis sur pied le comité technique qui devait venir de l’avant avec des recommandations et les préparatifs pour une réforme de la pension qui avaient déjà été lancés, avec notamment des dépenses additionnelles de Rs 1 milliard votées pour le ministère de la Sécurité sociale.

Les informations qui ont filtré alors que le comité siégeait indiquaient également que le gouvernement, du moins initialement, prenait au sérieux la réforme proposée. Lors d’une réunion présidée par Fazila Daureeawoo en 2017, à titre d’exemple, référence a été faite au rapport du FMI, avec la retraite à 65 ans et le ciblage évoqués comme options. 

Un mois plus tard, c’est le représentant du ministère de la Fonction publique de l’époque, Soopramanien Pather, qui devait proposer une pension graduée, soit Rs 1 000 à 60 ans, Rs 2 000 à 61 ans et ainsi de suite jusqu’à l’âge de la pension pleine à 65 ans. 

Celui du ministère des Finances, A. Ancharaz, a émis les propositions suivantes :

  • Le paiement complet de la pension universelle pour les personnes âgées de plus de 60 ans et chômeurs.
  • Le paiement de la moitié de la pension universelle pour les personnes âgées de plus de 60 ans qui travaillent toujours et une pension complète pour ceux âgés de plus de 60 ans qui sont sans emploi.
  • Une pension non indexée payable aux pensionnés âgés de plus de 60 ans qui sont toujours salariés et une pension universelle complète à ceux qui sont âgés de plus de 60 ans et ne sont pas salariés.
  • La pension universelle payable aux personnes ayant atteint l’âge légal de la retraite de 65 ans, à partir du 1er août 2018 (indépendamment du statut d’emploi).
  • Une réduction de 50 % de la pension universelle à l’âge de 60 ans et la totalité payable à l’âge de la retraite, soit à 65 ans.
  • Une pension universelle complète aux bénéficiaires âgés de 60 ans dont le revenu mensuel est inférieur au seuil de l’impôt sur les revenus particuliers, qui est actuellement de Rs 23 000.
  • Le paiement de la pension universelle complète aux individus âgés de 60 ans ou plus (excluant les bénéficiaires existants) dont les revenus mensuels sont inférieurs au seuil des impôts, qui est de Rs 23 000.

Toutefois, le remaniement ministériel, qui a vu le parachutage d’Étienne Sinatambou à la Sécurité sociale, a provoqué un gel des travaux du comité technique qui ne s’est plus réuni depuis mars 2017. Les indications qui provenaient du ministère étaient confuses, la haute hiérarchie indiquant qu’une mystérieuse équipe d’experts étudiait la question et allait soumettre un rapport avant que le comité technique ne reprenne ses travaux. En attendant, certains, dont Pierre Dinan, ont perdu patience et démissionné du comité technique. 

Après la polémique du week-end dernier, Étienne Sinatambou a toutefois annoncé une réunion du comité technique le 22 mai prochain, plus d’un an après la dernière. Le ministre a laissé entendre que le comité devrait revoir ses analyses en prenant en considération les différentes projections en termes de croissance du PIB sur les années à venir.

Il faut souligner toutefois que les pensions contributives, dont le National Pension Fund, figuraient aussi parmi les attributions du comité technique qui n’y a pas du tout touché à ce jour. On ne sait pas encore si cet aspect du problème est toujours pris en considération. La réunion du 22 mai pourrait livrer quelques pistes à ce sujet. 


Sinatambou et Imrith ravivent les débats

Si les interrogations entourant le BRP ont refait surface, c’est surtout dû à la polémique qui a éclaté le week-end dernier sur les ondes de Radio Plus entre le syndicaliste, Rashid Imrith, et le ministre de la Sécurité sociale, Étienne Sinatambou. Le syndicaliste est venu affirmer que le gouvernement avait proposé une pension graduée - à partir de 60 ans pour atteindre la pension maximale à 65 ans - au comité technique mis sur pied en 2016 pour travailler sur le dossier. Étienne Sinatambou a fermement nié que la réforme de la pension faisait partie des plans du gouvernement, allant même jusqu’à faire un statement à ce sujet au Parlement mardi. Cela, malgré le fait qu’on ait établi que son chef de cabinet ait soumis un document au comité technique, recommandant effectivement une pension graduée. Vendredi, Rashid Imrith a relancé la polémique en déclarant dans une conférence de presse que le ministère de la Sécurité sociale n’était pas apte à gérer le dossier de la pension, réclamant que ce soit les Finances qui prennent la relève.

 

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