Le ministère du Travail devrait prochainement présenter le rapport sur le réajustement des salaires dans le secteur privé. Le National Wage Consultative Council se penche sur ce dossier. Tout réajustement comporterait cependant des implications.
Après la compensation salariale située entre Rs 1 500 et Rs 2 000 en vigueur depuis janvier de cette année, un grand nombre de travailleurs du privé se verront offrir une nouvelle hausse salariale dans les prochains mois. En effet, le National Wage Consultative Council (NWCC) travaille actuellement sur un réajustement de l’ensemble des salaires. Ainsi, la présentation d’un rapport est attendue auprès du ministère du Travail dans les jours à venir.
« Le réajustement des salaires concernera uniquement les employés touchant les moins en termes de rémunérations, soit la catégorie décrite comme les ‘least paid jobs’ », explique-t-on au niveau du ministère du Travail. Cela inclut des postes tels que ‘typist’, réceptionniste, ‘boiler’, employé d’usine, opérateur de machine, entre autres. Par conséquent, les cadres supérieurs ne sont pas concernés par l’exercice de réajustement des salaires. « Seuls ceux touchant moins de Rs 30 000 par mois devraient être pris en compte », précise-t-on. Ainsi, le NWCC révise quelque 30 Remunerations Orders (RO) de divers secteurs.
L’objectif de ce réajustement est d’apporter une certaine justice dans les salaires. L’augmentation du salaire minimum à Rs 16 500 pourrait être perçue comme un désavantage, surtout pour ceux se situant au milieu de la grille salariale. L’idée est de procéder à un réajustement de tous les salaires de ceux touchant déjà Rs 15 000. « Lorsqu’on ajuste pour ces derniers, il est automatiquement nécessaire de procéder à un réajustement aux niveaux plus élevés », explique-t-on.
Le réajustement des salaires concernera uniquement les employés touchant les moins en termes de salaires, soit la catégorie décrite comme les ‘least paid jobs.
Les diverses implications d’un réajustement des salaires
Effet multiplicateur sur l’économie
Des salaires plus élevés signifient plus de revenus disponibles pour les individus. Cela entraîne généralement une augmentation des dépenses de consommation. Cette hausse de la consommation pourrait avoir un effet multiplicateur sur l’économie en stimulant sa croissance. « Selon la manière dont les augmentations de salaire sont distribuées, elles pourraient réduire ou aggraver les inégalités de revenu. Ici, ce serait souhaitable que les travailleurs à faible revenu reçoivent des hausses proportionnellement plus importantes que les travailleurs à revenu élevé », affirme Hafeez Toofail, expert dans le secteur financier.
Dans l’ensemble, fait-il ressortir, bien que les augmentations de salaire puissent stimuler la croissance économique et améliorer les conditions de vie des travailleurs, les décideurs doivent gérer attentivement les implications potentielles en matière d’inflation, d’emploi, de distribution des revenus et de compétitivité internationale pour assurer un développement économique durable.
Tahir Wahab affirme, pour sa part, qu’avec une augmentation des salaires, il y aura un afflux d’argent sur le marché, créant d’énormes liquidités sur le marché et cela peut avoir des effets d’entraînement sur l’économie globale. « Des salaires plus élevés peuvent accroître les dépenses de consommation, entraînant une demande accrue de biens et de services, ce qui peut stimuler la croissance économique », soutient l’observateur économique.
D’un autre côté, ajoute-t-il, si les employeurs sont confrontés à des contraintes financières dues à l’augmentation des charges salariales, cela peut entraîner une réduction des investissements et un ralentissement de la croissance économique. « L’impact global sur l’économie dépendra de l’ampleur des réajustements salariaux, de l’équilibre entre augmentation du coût du travail et hausse des dépenses de consommation, et de la réactivité du marché du travail aux changements de masse salariale », avance Tahir Wahab.
Booster le pouvoir d’achat
L’augmentation des salaires à Maurice peut avoir plusieurs impacts sur les employés, explique Hafeez Toofail. « Des salaires plus élevés permettent aux employés de subvenir plus facilement à leurs besoins essentiels et d’améliorer leur qualité de vie, compte tenu de la récente augmentation des prix », soutient-il. Par ailleurs, il avance que cela peut aussi entraîner une certaine amélioration des conditions de travail dans certains cas. « Des salaires plus élevés peuvent aider les employés à réduire le stress financier, à rembourser des dettes et à constituer des économies pour l’avenir, ce qui peut améliorer leur bien-être général », poursuit-il. En effet, il avance que de nombreux salariés ont contracté des prêts logement et autres prêts, et avec la hausse des taux d’intérêt, trouvent cela très difficile de pouvoir les rembourser.
L’observateur économique Tahir Wahab abonde dans le même sens. « Si les salaires augmentent, les salariés bénéficieront d’un revenu disponible plus élevé, ce qui entraînera une augmentation du pouvoir d’achat et potentiellement une hausse des dépenses de consommation », explique-t-il. Par ailleurs, il avance que si la relativité salariale est ajustée, cela peut contribuer à réduire les inégalités salariales et à créer une structure salariale plus juste et équitable pour les employés de différentes professions et secteurs.
Le président de l’Association pour la Protection des Consommateurs et de l’Environnement (APEC), Suttyhudeo Tengur, toutefois, est d’avis que le réajustement des salaires n’apportera pas grand-chose aux employés. « Avec un taux d’inflation à 7 % et un pouvoir d’achat toujours fragile, une légère augmentation salariale serait négligeable », dit-il. Par ailleurs, il affirme qu’avec la dévaluation de la roupie, les prix de plusieurs commodités coûteront plus cher dans un avenir proche. « Du coup, la hausse salariale sera absorbée par la perte du pouvoir d’achat », fait-il ressortir.
Le facteur d’équité
Ce réajustement va apporter un alignement de la pratique salariale à travers plusieurs compagnies qui se trouvent dans un secteur. C’est du moins l’avis d’Hubert Gaspard, psychologue du travail. « Il y aura une forme d’équité ressentie de la part de l’employé. Ce sera un sentiment de reconnaissance alors que l’emploi sera régi par un cadre légal », explique-t-il. Cependant, rien n’est moins sûr qu’un réajustement des salaires sera bénéfique à la productivité. Le réajustement des conditions de salaires n’a pas été précédé par quelque effort. Qu’est-ce qui va motiver l’employé à être plus productif ?
« Ce genre d’ajustement va venir valoriser la séniorité par rapport aux autres. Toutefois, séniorité ne signifie cependant pas plus compétent ou plus productif. Cela nourrit simplement l’estime de soi et le sentiment de supériorité par rapport à une année passée plus que d’autres », poursuit-il. En somme, cela va rassurer l’égo par rapport à l’ancienneté. Néanmoins, la productivité et la performance peuvent en pâtir, car « la notion de l’effort n’est pas là ».
Questions à…
Thierry Goder, CEO d’Alentaris
- L’employé doit continuer à être motivé à s’atteler à son travail
Quel pourrait être l’impact de ce réajustement des salaires sur la productivité dans le secteur privé ?
En tout cas, il devrait ! Il y a eu la révision du salaire minimum et la compensation salariale en début d’année. C’est très bien surtout pour les plus démunis, mais en même temps cela fait aussi appel à la productivité. L’employé doit continuer à être motivé à s’atteler à son travail. Au cas contraire, ce sera l’entreprise qui sera la grande perdante si la rentabilité ne suit pas. Cette hypothèse peut pousser à des licenciements. Plusieurs PME souffrent de l’augmentation salariale. Certes, le gouvernement apporte son soutien, mais il est trop tôt pour se prononcer sur ce qui pourrait être l’issue de cela.
Ce réajustement des salaires peut-il permettre de répondre au manque de main-d’œuvre dont font face plusieurs secteurs dans le pays ?
Cela pourrait y contribuer. Toutefois, il convient de souligner que plusieurs entreprises qui veulent recruter à différents échelons ne trouvent pas preneurs. Nous constatons que certains candidats qui sont embauchés par les compagnies disparaissent après quelques jours. Est-ce parce que la rémunération proposée est trop faible ? Dans certains cas, le salaire dépasse le salaire minimum. Le salaire, incluant les bonus ou autres allocations, est intéressant et il ne faudrait pas s’arrêter au salaire minimum. Dans certains corps de métiers, il y a des gens qui ont pris la retraite à 60 ans et qui reviennent sur un contrat à durée déterminée. Plusieurs entreprises peinent à trouver des personnes pour travailler dans l’agriculture par exemple. Elles se tournent vers des retraités qui ont de l’expérience et qui fournissent davantage d’effort qu’un jeune rempli d’énergie. C’est du respect pur qu’il faut avoir vis-à-vis de ces personnes qui veulent travailler.
Sachant que le salaire minimum a été révisé récemment et que ceux qui se retrouvent au milieu de la grille salariale pourraient se sentir désavantagés, est-ce qu’un réajustement des salaires dans le secteur privé était nécessaire ?
Je ne peux m’aventurer à répondre à cette question sans voir le rapport du National Wage Consultative Council (NWCC). Il faut d’abord comprendre ce qui est proposé. Je pense que l’idée est de revoir les salaires bas afin d’avoir un équilibre. Attendons voir..
Avantages sociaux
Certains employés risquent de ne plus être éligibles
L’augmentation de salaire peut aussi avoir des effets papillon, à titre d’exemple, sur les bénéficiaires du Social Register of Mauritius (SRM), dont le revenu familial maximum ne doit pas dépasser les Rs 14 650, incluant les avantages sociaux pour profiter des bourses pour les études universitaires et les formations professionnelles. Hafeez Toofail explique que le gouvernement a revu à la hausse le salaire minimum à Rs 15 000. Quand on y ajoute la compensation salariale à Rs 1 500 et les Rs 2 000 de la CSG Allowance, le montant total pour un parent touchant le salaire minimum s’élève à Rs 18 500. « Du coup, certaines familles ne risquent-elles pas de se retrouver automatiquement en dehors des critères du SRM et leurs enfants disqualifiés pour cette bourse ? Il faut donc revoir les critères pour le SRM », fait-il ressortir.
Pour sa part, Tahir Wahab affirme qu’avec l’augmentation potentielle des réajustements salariaux, l’impact sur l’inflation affectera l’efficacité des employés et l’inflation pourrait avoir une répercussion significative sur l’effet réel de la hausse des salaires.
Coût supplémentaire pour les employeurs
Le calcul de la masse salariale est, dans la plupart des secteurs d’activité, le premier poste de dépenses d’une entreprise et peut représenter jusqu’à 80 % du budget de fonctionnement, indique Hafeez Toofail. « Cela peut également poser des défis pour les employeurs en termes de gestion des coûts, de rentabilité et de compétitivité sur le marché du travail », avance-t-il.
De son côté, François de Grivel argue que toute augmentation de coût de salaire risque de pénaliser de nouveau les compagnies. L’industriel et chef d’entreprise rappelle d’ailleurs que la hausse des coûts a été très forte en janvier dernier. Il faut dire que le coût salarial est aussi un vrai problème pour les grosses entreprises. Ce qui le pousse à dire qu’on ne peut pas subir tous les six mois des coûts importants. Par conséquent, les entreprises peuvent être amenées à réévaluer leurs coûts. Pour cause, avance Hafeez Toofail, cette situation peut entraîner des répercussions si les compagnies n’arrivent pas à supporter certaines augmentations. Effectivement, le salaire représente un aspect crucial de l’activité de l’entreprise, qui dépend de ses clients. C’est pourquoi, selon François de Grivel, il est essentiel de trouver un équilibre en ce qui concerne les coûts opérationnels, car des prix excessifs pourraient entraîner la perte de clients. C’est dans cette optique, poursuit-il que les associations du secteur privé font en sorte que les membres maintiennent une qualité élevée, tout en gardant leur clientèle.
Ce réajustement des salaires pourrait être en défaveur des employeurs des PME. Suttyhudeo Tengur soutient que ce sont les PME employant un grand nombre de salariés qui seront les plus affectées. « Déjà avec le salaire minimum revu et la compensation salariale, de nombreuses PME font face à des difficultés pour payer les salaires. Maintenant, une nouvelle augmentation sera un autre coup de massue », souligne-t-il.
Par ailleurs, face à la problématique de main-d’œuvre dont font face plusieurs secteurs, un réajustement des salaires risque de pousser les employeurs à freiner tout recrutement. Tahir Wahab craint que les employeurs ne soient beaucoup plus réticents à recruter de nouveaux employés en raison d’une éventuelle augmentation des coûts. « Une situation qui peut avoir un impact négatif sur leur rentabilité et viabilité financière. Elle peut entraîner une réduction des investissements, des plans d’expansion ou des licenciements potentiels pour gérer les dépenses salariales », appuie-t-il.
Coup de pouce à la productivité
La productivité du travail a connu une hausse de 3,1 % entre 2021 et 2022 passant de 102.2 à 105.4. Selon François de Grivel, la productivité pourrait bénéficier d’un réajustement des salaires. « Celui-ci pourrait toucher à l’engagement du personnel dans son travail. Il apportera également une certaine objectivité des salaires. Aujourd’hui, un ancien employé et un nouvel employé touchent le même salaire, ce qui ne semble pas tout à fait juste et équitable », argumente-t-il. Et de l’avis de Tahir Wahab, si les réajustements salariaux améliorent la satisfaction et la productivité des employés, ils peuvent bénéficier indirectement aux employeurs en réduisant la rotation du personnel et en améliorant la rétention des talents.
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