Interview

Rama Valayden sur l’affaire L’Amicale : «Je veux prouver leur innocence avant de quitter ce monde»

Rama Valayden

Me Rama Valayden reste convaincu de l’innocence des quatre condamnés de l’affaire L’Amicale. L’avocat estime qu’il y a une sorte de « conspiracy to commit injustice » au lieu d’une quête de la vérité. Son souhait, avant de quitter ce monde : prouver l’innocence de ces hommes et trouver les véritables coupables.

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« J’ai des munitions que je sortirai en temps et lieu »

Quels sont vos sentiments maintenant que les quatre condamnés de l’affaire L’Amicale ont été libérés, d’autant que vous êtes derrière ce mouvement ?
J’ai des sentiments mitigés. Je ressens d’abord de la joie, car ils ont été libérés. Tant qu’ils étaient emprisonnés, le combat pour prouver leur innocence était encore plus difficile à mener. Mais bien qu’ils aient été libérés, ils restent ceux qui ont été condamnés pour le crime de L’Amicale. Reste encore à prouver leur innocence et à trouver les vrais coupables. Les quatre hommes, les avocats et des well-wishers sont sur la même longueur d’onde que moi à ce sujet.

Vous êtes l’auteur d’une contre-enquête « wrongfully convicted ». Quelle est votre analyse de l’affaire ?
Il nous a fallu un an pour venir avec ce rapport. Nous avons rencontré plusieurs personnes individuellement. Nous avons contacté des policiers et des membres de la State Security qui nous ont donné des renseignements off-the-record. Nous avons aussi rencontré des témoins, à l’instar du gardien de L’Amicale. On disait que ce dernier était intraçable en Cour. Pourtant je l’ai rencontré facilement. Il m’a donné une version qui allait aider les quatre condamnés.

Quelle version ?
Dans le cas de Keramuth, je détiens des informations selon lesquelles il était avec sa fiancée d’alors chez une couturière au moment de l’incendie. C’est là-bas qu’il a appris ce qui se passait. La femme a été courageuse et nous a donné un statement devant un avoué. Nous avons aussi parlé à quelqu’un en Irlande qui nous a dit qu’il avait peur de représailles. C’est cela que l’État n’a pas pris en considération. Nombreux sont ceux qui ne sont pas venus de l’avant, de peur de se retrouver derrière les barreaux.

Après avoir rencontré plusieurs personnes, nous sommes arrivés à la conclusion que les quatre condamnés sont innoncents. Et j’en suis convaincu.

« Il y a plusieurs zones d’ombre dans cette affaire »

Reste à prouver n’est pas ?
J’espère arriver à prouver leur innoncence et à trouver les vrais coupables avant de ‘depart from this earth’. J’ai d’ailleurs failli m’en aller l’année dernière lorsque je suis tombé malade.

Quand je réfléchis à l’affaire L’Amicale, j’ai parfois peur pour le pays. C’est comme une ‘conspiracy to commit injustice’ et non une quête de la vérité. C’est un long combat. Lorsque nous avons publié le rapport, plusieurs hommes politiques de tous bords ont écouté ce que j’avais à dire. J’ai tenté de convaincre le Premier ministre d’alors, Navin Ramgoolam, de faire revoir la loi pour que l’enquête puisse être rouverte face aux nouvelles preuves. Finalement, lorsque la Human Rights Commission a rendu son rapport en 2014, elle a conclu qu’il n’y avait pas eu de « new evidence », concédant toutefois qu’il y avait bel et bien des zones d’ombre dans cette affaire.  

Si des personnes étaient venues de l’avant et si la police avait joué le jeu, on aurait pu trouver ces preuves. Si on avait eu les enregistrements des caméras CCTV de la rue Royale et du match, on aurait levé le voile sur ce drame. On s’est servi de certaines images contre Badal. Et les autres, on les a ignorées. On aurait su que les accusateurs avaient eu des problèmes avec Keramuth et Nawoor. On aurait démontré qui était avec les Sumodhee. C’est pour cela que je dis que l’État est coupable. Commission de pourvoi en grâce, Privy Council, bureau du Premier ministre… Nous avons frappé à plusieurs portes pour que les quatre condamnés retrouvent la liberté.

Pourquoi dites-vous que les vrais coupables courent toujours ?
Tout ce que j’ai dit plus haut démontre l’innocence des condamnés. Il y a plusieurs zones d’ombre dans cette affaire. La police avait retrouvé une personne déguisée en femme en face de L’Amicale avant que l’incendie éclate. On dit que ce sont des cocktails Molotov qui ont été utilisés. Mais aucun n’a été retrouvé. Il n’y a eu aucun test de rationalité scientifique dans cette affaire. Plusieurs aspects ont été négligés.

«  C’était plus accomodant pour tout le monde de faire porter le chapeau à des innocents »

Est-ce qu’une réouverture de l’affaire est possible ?
Oui c’est possible. Il n’y a aucune limitation en droit pénal. La police et l’État ont des renseignements. Ce n’est pas un hasard si le log book de la police et des pompiers avait disparu. Il y a aussi le rapport du National Security Service qui, trois jours auparavant, évoquait des suspicions qu’on change les numéros des plaques d’immatriculation des voitures.

Il y a aussi d’autres questions sans réponses. Les 122 appels qu’ont reçus les pompiers les ont-ils empêchés d’être sur les lieux à temps ? Est-ce que les échanges de coups de feu au Champ-de-Mars étaient liés ? Pourquoi des policiers étaient-ils devant la Government House pour la protéger, ce qui les a retardés à être à L’Amicale ? A-t-on fait le lien entre tous ces événements ? C’est ce qui est grave. Je le redis : s’il y a deux ou trois fous dans une fête, ils peuvent agir. C’est dangereux pour le pays.

Il est donc important de donner des récompenses voire l’immunité à certains pour faire la lumière sur cette affaire. Il y a plusieurs témoins, dont le témoin mystère qui était venu de l’avant il y a quelques années. J’ai aussi parlé à un membre de l’escadron de la mort. Il m’a donné une indication. J’ai des munitions que je sortirai en temps et lieu.

Les quatre condamnés, qui n’ont eu de cesse de clamer leur innocence, peuvent-ils réclamer des dommages ?
Même si les gens commencent à croire en leur innocence, ils sont toujours reconnus comme étant coupables. Je vois la colère qu’ils ressentent en leur for intérieur et avec laquelle ils doivent vivre. C’est comme un tatouage qui leur colle à la peau. Ils ont passé 19 ans, soit plus de 7 000 jours et nuits en prison.

Reprochez-vous toujours à la police de ne pas avoir examiné toutes les pistes ?
Mes reproches ne sont pas dirigées contre la police mais contre l’État, qui a été pressé de trouver des boucs émissaires. Je suis convaincu qu’il y a deux policiers qui peuvent rouvrir l’enquête. Il s’agit de Monsieur Tuyau et de Monsieur Monvoisin. Il faut leur donner les moyens de le faire. Il faut aussi la collaboration du bureau du DPP. Il faudrait aussi une sorte de Witness Protection Scheme.

Pourtant, la police a pris 18 mois pour enquêter. Pensez-vous, malgré cela, que le dossier n’a pas été bien ficelé ?
L’enquête a été ‘kwi vide’. Des personnes ont été battues. D’ailleurs, il n’y a pas eu d’enquête sur les cas de brutalité policière. C’était comme un ‘ticking bomb’. Je comprends les policiers. Il y avait les pressions médiatiques et politiques. Sans oublier les lobbies. C’était plus accommodant pour tout le monde de faire porter le chapeau à des innocents au lieu de chercher les vrais coupables. Mais ce n’est pas le cas pour ceux qui croient en la justice et en la vérité.

Faut-il donner des moyens technologiques plus sophistiqués à la police ?
Cela fait des années que je le dis : il faut une commission présidentielle pour une refonte de la police. Prenons le cas de la Criminal Investigation Division. Cette unité ne dispose même pas d’un endroit privé pour mener ses enquêtes. Il faudrait une réforme en profondeur de la force policière. Si on veut une police efficace, il faut penser à revoir les salaires et les heures supplémentaires des policiers. À ce jour, les enquêtes sont basées sur les confessions. Le fait que ce soit une confession ne signifie pas que c’est la vérité.

Peut-on parler de « miscarriage of justice » ?
Définitivement. C’est pour cela que nous avons rédigé le rapport Wrongfully Convicted. Je cite aussi le procès de Jésus, qui est l’homme le plus innocent. Son procès s’est déroulé en six étapes. En avons-nous tiré des leçons ? Nous sommes tous des « Pilate » modernes.

Quelles sont les failles de notre système judiciaire ?
Il faut une réforme du judiciaire. Le système de jurés est dépassé. Je suis parfois bouleversé par les calculs communaux. Le comble est que le Law and Order n’est même pas discuté au Conseil des ministres alors que c’est la base de toute discussion. Cela reste la prérogative du Premier ministre depuis l’indépendance.   

Pouvez-vous nous citer des cas dans lesquels des erreurs judiciaires ont été commises ?
Une femme était accusée d’avoir tué sa belle-mère. Tout la désignait comme la coupable. Or, quand son beau-frère et son époux m’ont dit qu’elle était innocente, cela m’a poussé à revoir mon opinion. J’ai assisté à la reconstitution des faits avec quelques élèves. J’étais tranquillement assis et j’observais. J’ai alors vu des caméras de surveillance. Je me suis battu pour avoir l’autorisation d’y accéder. On a découvert qui était le véritable coupable. Idem dans l’affaire Azie, l’homme qui était accusé du meurtre de Nadine Dantier. C’est le premier cas que j’ai mené sur la base de l’ADN. Quand je défendais Marcelin Azie, il y avait une manifestation contre moi, comme une révolution populaire. Mais vox populi ne signifie pas que c’est l’opinion de tous.

 

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