L’observateur économique et politique Rajiv Servansingh estime que le Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth, utilisera le Budget 2018-19 pour consolider la reprise de la croissance, qui s’est manifestée depuis janvier. Et non avec une arrière-pensée électoraliste à un an des législatives.
Le Budget 2018-19 sera présenté dans un contexte particulier avec, d’une part, la situation internationale défavorable, et d’autre, l’approche des élections générales. Le Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth, marche-t-il sur la corde raide ?
La présentation d’un Budget n’est jamais facile. Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte difficile sur le plan international, surtout avec l’augmentation du prix du pétrole et ses conséquences pour l’économie mauricienne en termes d’inflation. Comme tout le monde le sait, une augmentation des prix des carburants a une répercussion sur le coût de production et, donc, sur les prix. Ajouté à cela, la situation géopolitique très instable, avec ce qui se passe surtout en Europe, et les répercussions sur la valeur de l’euro. Il faut faire des choix. À mon avis, ce n’est pas plus difficile ou moins difficile que dans un autre contexte.
Dispose-t-il d’une marge de manœuvre suffisante pour « fer labous dou » à la population en vue des élections générales ?
Je ne pense pas que le ministre des Finances et Premier ministre va utiliser ce Budget à des fins électoralistes. Un autre Budget peut être présenté en 2019 et sera plus proche des élections. Je pense qu’il utilisera le Budget 2018-2019 pour consolider la reprise de la croissance qui s’est manifestée depuis l’année dernière. Le présent Budget sera probablement axé sur la consolidation de la croissance dans les secteurs comme la construction, le tourisme et les finances.
Dans ces trois secteurs, il n’est pas nécessaire d’engager de gros financements, mais l’accent doit être mis sur la flexibilité et le traitement rapide des dossiers en suspens sur divers projets de développement. Il restera alors les secteurs en difficulté et la priorité demeure le secteur manufacturier et celui de l’exportation.
Les problèmes auxquels fait face ce secteur sont de nature structurelle et concernent la productivité. La relance des petites et moyennes entreprises ne sera possible qu’en trouvant une solution au problème majeur que constitue l’accès aux finances pour ces entreprises. Ce sera une partie de la solution du problème dans le secteur manufacturier.
Il restera la question de la formation et de la convergence entre la formation et les besoins de nos entreprises. Dans ce contexte, il est souhaitable que le Budget propose une restructuration des organisations liées à la formation, notamment le Mauritius Institute of Training and Development (MITD) et la Mauritius Qualifications Authority (MQA).
Maurice est arrivé à un moment où le modèle économique prévalent n’est plus capable de répondre aux aspirations du peuple»
Selon Pravind Jugnauth, ce sera un Budget de continuité…
Si on considère strictement la croissance économique, il est vrai qu’il y a eu une amorce de relance économique et, dans ce sens, un Budget de continuité peut représenter quelque chose de positif. Cependant, il faut aussi se rendre compte que Maurice est arrivé à un moment où le modèle économique prévalent n’est plus capable de répondre aux aspirations du peuple. Donc, le ministre des Finances ne peut se contenter d’un Budget de continuité et devra envisager des mesures plus radicales visant à une transformation de notre modèle économique.
Sous quel signe doit être placé le Budget 2018-19 ?
Il y a deux éléments qui constitueraient, à mon avis, les vecteurs importants du Budget. Primo, sous le signe de la continuité, il faudrait revoir le fonctionnement de tous les corps paraétatiques et autres institutions gouvernementales, afin d’améliorer leur efficience. La transparence et la bonne gouvernance dans les entreprises de l’État devraient être des priorités du gouvernement. Deuxio, sous le signe de la transformation, nous nous attendons à ce que le ministre des Finances établisse quelques pistes en ce qui concerne les nouveaux secteurs de développement, comme l’économie bleue, c’est-à-dire l’économie océanique, ainsi que le développement des industries de service à l’exportation, particulièrement vers le marché africain.
La transparence et la bonne gouvernance dans les entreprises de l’État devraient être des priorités du gouvernement»
Comment expliquez-vous le fait que la « Blue Economy » - annoncée sous des formes différentes dans plusieurs Budgets depuis 2007 - ne se réalise toujours pas ?
Très souvent, même lorsque nous savons ce qu’il faut faire, nous n’arrivons pas à exécuter des projets valables, soit par manque d’encadrement technique et professionnel, soit par manque de volonté politique pour combattre la résistance qui se manifeste contre tout projet de changement. En ce qui concerne le manque de cadres professionnels, Maurice devra sérieusement reconsidérer sa politique d’immigration et d’ouverture, surtout en ce qui concerne les professionnels voulant s’établir à Maurice ou aspirant à un permis de travail dans des secteurs où il y a un manque de compétences.
Quels sont les nouveaux secteurs qui demandent à être prospectés ?
Les secteurs identifiés sont le secteur financier, l’économie océanique et les industries novatrices et créatrices de valeur ajoutée importante, comme la biotechnologie.
Qu’est-ce qui nous empêche de franchir la barre des 4 % de croissance ?
Il y a d’abord la conjoncture internationale, qui a été, entre 2008 et 2016, assez difficile pour les petites économies comme Maurice, mais depuis, l’économie mondiale s’est remise en marche. Toutefois, à Maurice, nous continuons à faire face aux difficultés déjà mentionnées.
Sans une croissance soutenue, le chemin vers une « High Income Economy » risque d’être très long ?
Les deux sont liés. Une High Income Economy, c’est une économie qui produit de la valeur ajoutée, avec une productivité en constante progression. Il est évident que, pour atteindre notre objectif, il faudra un changement de mindset radical au niveau du gouvernement, de l’administration ou de la population. Avoir des aspirations pour être une High Income Economy est très bien, mais encore faut-il que toutes les parties concernées fassent des efforts.
Il faut une politique intelligente de l’immigration et faire appel aux professionnels mauriciens aujourd’hui à l’étranger»
Comment peut-on attirer de nouveaux investissements ? Et quels sont les secteurs prioritaires ?
Le gros problème, ces dernières années, c’est que les investissements dans l’économie mauricienne sont allés à presque 70 % vers le secteur de la construction de villas et autres résidences de luxe. Dans un contexte difficile, après la crise financière de 2008, il n’y avait peut-être pas d’autre choix, mais cette stratégie a ses limites et ne contribue pas à la croissance économique sur le long terme.
N’y a–t-il pas lieu de revoir le modèle de développement du pays dans un monde en pleine mutation ?
Le monde a changé. Il y a le fait que le centre de gravité économique globale est en train de bouger vers l’Asie et l’Afrique. Le modèle de développement de Maurice devra forcément s’adapter à cette nouvelle réalité. Tout en sachant que notre expérience historique, le niveau de développement de nos institutions, ainsi que notre position géographique sont des atouts majeurs qui nous permettent de nous placer idéalement dans le corridor Asie-Afrique. C’est à nous d’être novateurs et créatifs pour pouvoir en bénéficier.
Sans compter que le vieillissement de la population s’avère être un sérieux handicap...
C’est sûr que le vieillissement de la population, d’une manière générale, représente un challenge important auquel nous aurons à faire face dans les années à venir. On parle même d’une réduction de la population d’ici 2040, si rien n’est fait pour changer la situation. Dans ce contexte, une politique intelligente de l’immigration, aussi bien qu’un appel aux Mauriciens professionnels et qualifiés aujourd’hui à l’étranger doivent être des facteurs importants de notre stratégie.
Maurice mise beaucoup sur les ressources humaines. Ne faudrait-il pas revoir la stratégie de formation, vu que 65 % des emplois de demain n’existent pas encore et seront certainement liés à la technologie ?
L’éducation et la formation ont été à la base du succès de Maurice depuis l’Indépendance. C’est certain qu’elles demandent à être revues. Cela afin de s’adapter au nouvel environnement économique et remplir les conditions pour arriver à une High Income Economy.
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