Interview

Rajen Narsinghen, chef du département de droit de l’UoM : «Le système des examens en droit doit être revu»

L’Université de Maurice organise une « Moot Court Competition » interafricaine sur les droits humains, du 18 au 23 septembre, destinée aux étudiants en droit. Ce sera l’occasion de revenir sur la formation des légistes, leurs manquements et les questions d’éthique soulevées par la commission d’enquête sur la drogue.

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Qu’est-ce que la « Moot Court Competition » ?
Il s’agit d’une compétition de procès fictif. De jeunes juristes et aspirants juristes sont appelés à représenter les parties en Cour devant des juges qui sont, en fait, des professeurs. Mais pour la finale qui aura lieu au Vaghjee Hall le samedi 23 septembre, à partir de 10 heures, il y aura de vrais juges de Maurice, d’Afrique du Sud et du Cameroun. Un membre de la commission des droits de l’homme de l’Union africaine sera également de la partie. Les plaidoiries se dérouleront en trois langues : l’anglais, le français et le portugais. Le procès fictif s’articule autour d’une problématique des droits humains.

Pourquoi avoir choisi de régionaliser l’initiative et d’inviter 50 universités africaines à participer à l’événement ?
Cette initiative revient au Centre for Human Rights de l’université de Pretoria, qui a lancé le concept il y a 25 ans. Le département de droit de l’Université de Maurice (UoM) est co-organisateur de l’événement cette année. Les droits humains sont certes universels, mais il y a aussi des dimensions régionales. Nous disposons d’instruments, de conventions et de protocoles africains que même certains de nos juristes et avocats connaissent mal ou n’utilisent pas assez. C’est la raison pour laquelle nous nous focalisons sur l’Afrique. Nous devons encourager nos jeunes à se rappeler qu’ils doivent être fiers d’être africains. L’avenir appartient à l’Afrique. Il ne faut pas rater le coche.

En quoi la compétition est-elle importante dans la formation des futurs membres de la profession légale ?
Ceux qui suivent des cours pour obtenir un LLB ou une licence en droit reçoivent surtout une formation académique. Or, l’aspect pratique doit également être pris en considération. Un juriste se doit de maîtriser l’art de la plaidoirie et de la communication écrite et orale, en anglais et en français. L’idéal serait, toutefois, d’aller plus loin en apprenant à maîtriser aussi l’espagnol et le portugais. D’une part, parce que l’Afrique est en partie anglophone, lusophone et francophone. Et d’autre part, l’espagnol est la deuxième langue internationale.

À Maurice, malgré l’excellente formation académique dispensée aux aspirants juristes, les aspects de la communication tendent à être négligés. Nous devons reconnaître que c’est là que se situe la faiblesse de nos jeunes juristes et étudiants. Mais nous tentons d’y remédier. Depuis trois ans, nous mettons l’accent sur la communication.

Malgré les exercices de simulation et la formation dispensée à l’université, le taux d’échec aux examens en droit demeure colossal. Comment l’expliquer ?
Je concède que le taux d’échec au niveau des Law Practioners’ Exams est élevé. Ce que je trouve d’ailleurs inadmissible. En revanche, je tiens à préciser, d’une part, que ce n’est que maintenant que nous commençons à rectifier le tir en mettant l’accent sur les oral skills. D’autre part, il faut souligner que le niveau élevé du taux d’échec ne peut être imputé à la formation dispensée à Maurice ou ailleurs.

Il existe des problèmes systémiques graves auxquels il faut à tout prix remédier. Tout d’abord, j’estime qu’il ne faut pas imposer de Numerus Clausus (nombre déterminé de places disponibles dans les facultés, NdlR) implicite. On ne peut pas non plus dissocier les conférenciers des examinateurs.

Par ailleurs, il est primordial que les examinateurs respectent les programmes préétablis. Il existe une perception selon laquelle certains poseraient des questions spécifiques dans l’unique but de faire échouer les étudiants. Ce n’est pas ce qu’on attend des examinateurs. Leur rôle est de faire une évaluation objective des étudiants.

L’idéal serait que davantage de praticiens ayant de l’expérience dans le domaine, acceptent de dispenser des cours. Ce que je déplore aussi c’est le fait que certains praticiens n’aient pas l’approche pédagogique adéquate. Je trouve également regrettable qu’il existe une sorte de discrimination envers ceux qui passent leurs Law Practioners’ Exams à Maurice, en comparaison avec ceux qui le font en Angleterre ou ailleurs. À mon avis, c’est tout le système des examens en droit qui doit être revu.

La question liée à l’éthique des avocats a alimenté l’actualité ces derniers temps, notamment avec les convocations devant la commission d’enquête sur la drogue. Quelle part occupe l’éthique dans le programme d’études de la faculté de droit ?
Le cursus de l’UoM contient quelques heures de formation sur l’éthique professionnelle dispensées aux étudiants de première année. Dans le Law Practioners’ Vocational Course, l’éthique professionnelle est une matière principale et obligatoire. 

Selon moi, si une minorité de praticiens véreux ne respectent pas l’éthique, cela n’est pas dû à un manque de formation mais à des dérives de notre société. Cela reflète le mal qui ronge le pays, c’est-à-dire la course effrénée vers le matérialisme.

Vous organisez une conférence internationale sur les droits de la femme en parallèle. Pourquoi maintenant ?
L’objectif de cette conférence est de sensibiliser les acteurs, les ministères, les organisations non gouvernementales et la société civile aux droits de la femme, qui font partie des droits humains. On souhaite aussi sensibiliser le public à l’importance du protocole de Maputo en matière de droits des femmes. Convention que Maurice avait signée et qu’il a enfin ratifiée. Reste à présent à la mettre en pratique.

Quels progrès le pays doit-il encore accomplir en matière de droits humains ?
Maurice a déjà fait pas mal de progrès à ce niveau-là, mais cela ne suffit pas. Nous sommes encore très loin derrière les pays européens et scandinaves. À Maurice, il faut revoir plusieurs aspects du droit civil, du droit du travail et du droit pénal pour y inclure les standards des droits humains.

Ratifier une convention ne suffit pas dans un pays qui prône un système dualiste, c’est-à-dire où on fait la distinction entre l’ordre domestique et l’ordre international. Il faut inclure des instruments internationaux et régionaux dans nos lois.

Mais avant tout cela, il faudrait que l’éducation soit un agent de changement de mentalité. Les intellectuels, les riches et la classe moyenne ne doivent pas seulement se gargariser de rhétoriques. Ils doivent faire respecter ces droits. Indiren Palkivala, un grand juriste, avait dit : « Democracy lies in the heart of Man. » Moi je dirais plutôt que les « Human rights lie in the heart, mind and soul of Man ».

 

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