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Quitter un conjoint violent : le parcours du combattant

Selon Passerelle, dans presque tous les cas, la violence n’est pas seulement physique, elle est aussi morale et institutionnelle.

À Maurice, les associations tentent de créer des espaces de parole et d’accompagnement pour sortir les victimes de l’isolement.

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Les histoires de courage sont quotidiennes à Passerelle. Chaque année, l’association accueille des femmes victimes de toutes sortes de violences : conjugales, sexuelles, psychologiques, économiques ou encore liées à la traite des êtres humains. Certaines arrivent après des années de silence, d’autres après une fuite précipitée.

« Dans presque tous les cas, la violence n’est pas seulement physique, elle est aussi morale et institutionnelle », explique Mégane Valère, coordinatrice de Passerelle. Beaucoup de femmes ont perdu confiance en elles, ont été isolées de leurs proches et doutent de leurs droits.

Malgré cela, la question reste lancinante : pourquoi certaines femmes restent-elles ? Le poids du regard social reste un frein majeur. Trop souvent, la société attend que les victimes « tolèrent » ou « sacrifient » leur bien-être pour préserver l’unité familiale, note Mégane Valère. Certaines craignent de perdre leurs enfants ou de devoir affronter seules les démarches administratives.

« La culture du silence est le premier obstacle à la liberté des femmes », ajoute Prisheela Mottee, fondatrice de Raise Brave Girls (RBG). « On cache ce qui fait mal. On tait la souffrance pour éviter le jugement, la honte ou le rejet. Trop de femmes vivent dans la peur du ‘qu’en-dira-t-on’, et cela les empêche de briser le cycle de la violence. »

Pour Mégane Valère, « quitter un conjoint violent, ce n’est pas seulement partir ». C’est tout un monde à reconstruire : un logement, la sécurité, la stabilité pour les enfants, mais aussi l’estime de soi. La peur de ne pas être crue, la honte, le jugement social, la dépendance financière ou le manque de structures d’accueil rendent cette étape extrêmement difficile. « On ne reconstruit pas une vie en quelques semaines. Il faut du temps, de la stabilité et surtout du respect », renchérit Prisheela Mottee.

Créer des espaces sûrs

Pour RBG, la priorité est de créer un climat de confiance. Prisheela Mottee plaide pour des groupes de soutien régionaux, encadrés par des psychologues, travailleurs sociaux et volontaires formés à l’écoute et à la confidentialité. Ces espaces offrent un accompagnement humain et psychologique, mais aussi la force et la dignité nécessaires pour dénoncer la violence. Elle milite également pour que les services sociaux et refuges disposent de moyens supplémentaires, notamment pour le suivi post-séparation et la réinsertion professionnelle.

Chez Passerelle, tout commence par l’écoute. L’équipe crée un espace sécurisé et bienveillant où chaque femme peut s’exprimer librement. « Ensuite, nous évaluons tous les besoins : psychologiques, juridiques, médicaux et professionnels », détaille la coordinatrice. 

L’association propose un accompagnement complet : hébergement, suivi psychologique, appui social et formations pour favoriser l’autonomie. Certaines femmes retrouvent un emploi ou lancent leur activité artisanale grâce aux ateliers et au Label Univers’Elles.

Pour sensibiliser davantage, Passerelle mène régulièrement des campagnes. Parmi elles : le violentomètre, un outil simple pour mesurer la toxicité d’une relation. Prochainement, la campagne « 16 jours, 16 droits, 16 entreprises », soutenue par l’ambassade de France, visera à informer les femmes en milieu professionnel.

Cependant, estime RBG, la lutte contre la violence domestique ne doit pas reposer uniquement sur les victimes. « Trop souvent, témoins, voisins, amis, collègues ou membres de la famille choisissent de se taire, reproduisant la culture du silence », déplore Prisheela Mottee. L’association propose l’introduction d’une loi rendant obligatoire le signalement des cas de violence domestique par tout témoin direct. « Le silence devient une forme de complicité. Fermer les yeux, c’est participer. »

Passerelle partage cette vision. Mégane Valère appelle à une meilleure coordination entre police, ministères, services sociaux et ONG, ainsi qu’à des procédures rapides pour les ordonnances de protection. « Il faut aussi former les professionnels de terrain pour qu’ils sachent écouter et orienter les victimes avec empathie et compétence », souligne-t-elle, tout en saluant à ce titre l’écoute du ministère de l’Égalité des genres (voir encadré).

Un changement progressif mais réel

Selon Mégane Valère, les mentalités évoluent lentement mais sûrement. « On observe un vrai changement, surtout chez les jeunes générations. Les femmes identifient de plus en plus la violence psychologique et comprennent qu’une relation peut être toxique sans coups. »

Les réseaux sociaux et les campagnes publiques ont libéré la parole. Pourtant, certaines zones ou milieux restent marqués par la peur et la dépendance économique. « Le tabou n’a pas complètement disparu, mais les femmes osent davantage mettre des mots sur ce qu’elles vivent. » Bientôt, Passerelle ouvrira une maison d’accueil du jour, en partenariat avec le CCAS de la Plaine des Palmistes (La Réunion), pour offrir un accompagnement social holistique aux femmes en difficulté.

Passerelle et RBG reviennent toutes deux sur l’importance d’éduquer dès l’enfance. Prévenir, c’est enseigner le respect, l’égalité et la tolérance dès le plus jeune âge. « On apprend aux filles à être gentilles, pas à poser des limites. On leur dit d’être patientes, pas de se protéger. Il faut changer cela », explique Prisheela Mottee.

Mégane Valère confirme : « La prévention doit commencer dès l’école, avec une éducation au respect, à l’égalité et à la gestion des émotions. » Passerelle mène déjà ce travail via le projet Green Flag, soutenu par le Haut-Commissariat australien, auprès des filles comme des garçons.

Au-delà du soutien psychologique, RBG plaide pour un changement culturel profond : « Il faut repenser la manière dont nous parlons des femmes, du couple, de la loyauté et de l’amour. Tant que la souffrance sera glorifiée comme preuve d’amour, rien ne changera. » 

Elle insiste sur l’inclusion des hommes : « La violence n’est pas une question de genre, c’est une question de pouvoir. Les hommes doivent apprendre à gérer leurs émotions autrement que par la domination. »

Malgré la gravité des situations, Mégane Valère veut transmettre un message clair : « Vous n’êtes pas seules. La peur, la honte et la confusion sont normales, mais il existe des lieux où vous serez accueillies avec respect et bienveillance. » Parler, c’est déjà commencer à se libérer. « Il faut du courage, mais la vie après la violence existe - et elle peut être belle, pleine de projets, de liberté et de dignité retrouvée. »

Chez RBG, le message est tout aussi limpide : « Briser le silence pour briser la violence. Aucune femme ne devrait avoir peur de parler, et aucune société ne devrait fermer les yeux. »

 

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