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Pris dans l’engrenage de l’endettement: ces Mauriciens qui ont perdu leurs maisons

La famille n’a pas pu honorer leurs dettes.
Ils ont contracté un ou plusieurs emprunts pour construire leurs maisons ou encore pour leurs activités professionnelles. C’était sans compter sur des concours de circonstances tels que la maladie, la perte d’emploi et d’autres facteurs. Endettés jusqu’au cou et incapables de rembouser leurs dettes, ils ont dû en subir les conséquences. Témoignages de trois d’entre eux.

Les Toorabally: «Il ne nous reste que des regrets et des larmes»

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15964","attributes":{"class":"media-image size-full wp-image-26967","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"Les Toorabally"}}]] La famille n’a pas pu honorer leurs dettes.

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/div> [row custom_class=""][/row] Mohamed Ally Toorabally (48 ans), son épouse Nazma (58 ans) et leur fils Bilaal (13 ans), qui est sourd de naissance, font peine à voir dans les deux pièces très étroites qui leur servent de maison à Kaudeer Lane à Pamplemousses. Ici, l’eau s’infiltre quand il pleut. D’ailleurs, quand il y a eu les grosses pluies de février, les électroménagers de la famille ont été endommagés et ne fonctionnent plus depuis. Leurs multiples démarches pour obtenir un logement social n’ont pas abouties, mais les Toorabally ne perdent pas espoir. Un espoir qui leur a permis jusqu’ici d’affronter les différentes épreuves qui ont jalonné leur vie. Il y a eu d’abord la perte d’emploi de Mohamed Ally qui travaillait dans un centre communautaire, mais qui parallèlement exerçait comme chauffeur de taxi marron. Ce qui lui permettait de s’acquitter du remboursement des deux emprunts qu’il avait contractés : le premier d’un montant de Rs 300 000 chez LIC et le second de Rs 200 000 auprès de la Mauritius Civil Service Widows’ and Orphans’ Fund Association pour la construction de la maison familiale. Or, Mohamed Ally est un jour arrêté par la police. Le client qu’il véhiculait, explique son épouse, avait de la drogue en sa possession. Mohamed Ally est condamné à trois ans de prison. Mais, ce n’est-là que le début de leur malheur. En 2010, Mohamed Ally a une attaque cérébrale, c’était juste après l’annonce du verdict de la Cour. Ce qui le rendra aujourd’hui en partie invalide. « Avec tous ces problèmes, on n’avait pas les moyens de payer nos dettes. Et notre maison a été vendue à la barre durant la même année », indiquent les Toorabally. En 2011, Nazma Toorabally, qui a un cancer du sein, doit subir une intervention chirurgicale. En 2014, elle doit se faire à nouveau opérer car elle a une tumeur au cerveau. « J’ai continué à vivre dans ma maison quand elle a été vendue. Je n’avais d’autre part où aller avec mon fils d’autant plus que mon époux était en prison. La personne qui a acheté la maison ne cessait de me maltraiter. Finalement, l’Association Zakaat Fund a fait construire deux chambres chez ma mère pour que nous y habitions, mais c’est trop exigu pour nous trois, d’où notre appel pour avoir une maison sociale », soutient Nazma Toorabally. Mais, les Toorabally restent néanmoins attachés à leur ancienne maison. « Nous évitions de passer devant notre maison. Cela nous fait trop mal. Ce n’était pas à cet avenir qu’on aspirait. Il ne nous reste aujourd’hui que des regrets et des larmes »,  conclut-elle.  
   

Gérard Couttee: «Aujourd’hui, je n’ai aucun bien»

C’est une maison de 1 000 pieds carrés à Plaisance, Rose-Hill, dotée de deux chambres à coucher, d’un salon, d’une salle à manger, d’une cuisine, d’une salle de bains et des toilettes. Gérard Couttee en était tout fier, lui qui a toujours voulu avoir sa propre maison. Ce père de trois enfants, âgé aujourd’hui de 64 ans, l’a pourtant perdue en 2012. Elle a été vendue à la barre. C’est un courtier qui l’a achetée pour la somme de Rs 1,255 million. « C’était le jour le plus traumatisant de ma vie », se souvient-il encore. Rien pourtant ne présageait que les choses allaient en arriver là. Dans les années 90, Gérard Couttee, policier à l’époque, contracte un emprunt de Rs 210 000 auprès de la Mauritius Housing Corporation (MHC) en vue de construire sa maison. Au bout de cinq à six ans, il contracte un deuxième emprunt, cette fois-ci d’un montant de Rs 150 000 auprès de la SBM. « La maison n’était pas terminée et il fallait du financement additionnel pour tout compléter », explique-t-il. Durant la même période, il prendra un troisième prêt de l’ordre de Rs 35 000 auprès de la Banque de développement (DBM) dans le but d’aider son épouse à ouvrir un snack (Ndlr : le business ne va pas marcher). « Je devais payer environ Rs 3 000 mensuellement pour le remboursement de ces trois emprunts », indique-t-il. Gérard Couttee s’acquitte de ses remboursements sans aucun problème jusqu’au jour où il tombe gravement malade. Pendant deux ans, il sera incapable de travailler. « J’ai dû prendre deux années de leave without pay », explique-t-il. Sans salaire et ayant d’autres soucis en tête, Gérard Couttee est incapable de rembourser régulièrement sa dette. Conséquence, les frais de pénalité et les intérêts s’accumulent. « De Rs 3 000, je devais débourser Rs 10 000 par mois pour le remboursement de mes trois emprunts. J’étais dans l’incapacité de le faire », relate-t-il. Et ce qui devait arriver arriva. La maison de Gérard Couttee est saisie à la demande de la Mauritius Housing Corporation et est vendue à la barre pour régler ses dettes. « Outre les deux emprunts, j’avais mis mes propres économies pour construire cette maison qui devait être l’héritage que j’aurais légué à mes enfants. Aujourd’hui, je n’ai aucun bien », se désole notre interlocuteur. Il habite, en effet, chez son fils à Stanley dans une maison louée. Avec le recul, Gérard Couttee sait qu’il est en partie fautif de cette situation. D’où son conseil : « Réfléchissez à deux fois avant de contracter un prêt car il peut arriver des choses en cours de route et vous vous retrouvez sans moyen de le rembourser. Or, on a beaucoup à perdre quand ça arrive », fait-il ressortir. D’ailleurs, depuis la vente de sa maison, Gérard Couttee n’est plus éligible pour l’octroi d’un prêt.  
   

Narain Phoolbasseea: «Ma maison à la barre sans que je le sache»

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15965","attributes":{"class":"media-image alignleft size-full wp-image-26968","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"400","height":"480","alt":"Narain Phoolbasseea"}}]]Nous sommes en 1976. Narain Phoolbasseea ouvre une bijouterie. Un esprit entrepreneurial qui portera vite ses fruits. Pendant des années, Narain Phoolbasseea n’a pas à se plaindre des affaires. Toutefois, à partir des années fin 90 et début 2000, le vent se met à tourner. Les profits se transforment en pertes. Les clients ne se bousculent plus. La morosité s’installe. Pour maintenir le cap, Narain Phoolbasseea prend des emprunts et renouvellent d’autres. Lui qui a toujours été un bon payeur a, du jour au lendemain, des difficultés à honorer ses dettes. Il se retrouve finalement avec deux dettes importantes auprès de la Banque de développement : Rs 340 000 et Rs 650 000. L’entrepreneur, qui est père de cinq enfants, se retrouve avec des pénalités et doit s’acquitter du remboursement de ses dettes à un taux d’intérêt de 75 % (Ndlr : il nous montre les documents y relatif et le taux d’intérêt est en effet de 75 %). « Arrivé un moment, mes dettes à la DBM s’élevaient à Rs 1,4 million. J’ai alors vendu, avec l’autorisation de la DBM, un terrain que j’avais à Trou-d’Eau-Douce pour un montant de Rs 1,1 million. Somme que j’ai tout donnée à la banque. C’était le 3 septembre 2010. Il ne me restait qu’environ Rs 300 000 à rembourser. Ne voilà-t-il pas que le 14 octobre 2010, ma maison de 3 192 mètres carrés est mise en vente à la barre, sans que j’en soi informé », relate notre interlocuteur. La mise à prix est de Rs 500 000 alors que la maison et le terrain de 125 toises sur lequel elle se trouve vaut Rs 2 millions. Narain Phoolbasseea affirme qu’il n’a reçu aucune lettre de la DBM à cet effet. Ce sera Salim Muthy, dont il est l’ami, qui l’informera que sa maison est en vente à la barre. Il se rend vite fait à la DBM. « Bizarrement, personne ne savait qui avait pris cette décision. La DBM a fait finalement retiré la maison de la barre ». Mais, ce n’est qu’un sursis ! Narain Phoolbasseea, aujourd’hui âgé de 65 ans et à la retraite, n’a toujours pas rembourser ses dettes. Ce n’est qu’une question de temps avant que sa maison ne soit mise en vente. « Je ne conseille à personne d’emprunter de l’argent d’autant plus que les banques abusent en termes de taux d’intérêts et de pénalités. Ces dettes m’ont coûté mon mariage et ma tranquillité d’esprit », conclut-il.  
   

Les ménages endettés à hauteur de Rs 56,7 Mds

[lptw_table id="26970" style="material-blue"] Source: Banque de Maurice  
   

Salim Muthy (porte-parole du Mouvement Victimes Sale by Levy): « 30 maisons vendues à la barre en trois mois »

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15966","attributes":{"class":"media-image alignleft size-full wp-image-26969","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"400","height":"480","alt":"Salim Muthy"}}]]Soixante-dix mille Mauriciens ont des difficultés à rembourser leur emprunt, s’alarme Salim Muthy. Le porte-parole du Mouvement Victimes Sale by Levy réclame des solutions au plus vite pour éviter que ces personnes ne perdent leur unique bien : leur maison. Selon vous la situation au niveau de la vente à la barre devient de plus en plus alarmante, . Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? Les chiffres le confirment. Entre le 14 janvier et le 14 mars, 250 nouvelles maisons sont entrées dans le système de la barre, qui compte déjà 2 700 cas. 30 de ces nouvelles maisons ont été vendues durant la même période. Quant aux autres cas, ils ont été renvoyés pour un délai de trois à six mois. Au total, depuis 2007 à ce jour, 1 700 maisons ont été vendues à la barre. À l’heure où je vous parle 70 000 Mauriciens ont des difficultés à rembourser leurs dettes, même si certains font des efforts pour effectuer les paiements demandés. Pourquoi ces personnes s’endettent-elles ? La plupart des Mauriciens dont les maisons sont mises en vente à la barre ont contracté des emprunts pour acheter un terrain, une maison ou pour en construire une. Certains prennent des prêts pour des travaux de rénovation. Si certains se tournent vers la Mauritius Housing Corporation  (MHC) ou la National Housing Development Corporation (NHDC)  pour contracter un prêt, d’autres optent plutôt pour les banques commerciales. Quelles sont les diverses raisons qui font que ces ménages n’arrivent pas à honorer leurs dettes ? La perte d’emploi, la maladie, le décès du conjoint, le divorce, la violence domestique constituent les principales raisons qui font qu’une grande majorité des gens n’arrivent pas à rembourser leurs dettes. Toutefois, il y a certaines personnes qui sont irresponsables car elles prennent des prêts qu’elles savent qu’elles ne pourront pas payer. Selon vous, les institutions qui prêtent de l’argent ont le devoir d’informer des clients des risques qu’ils encourent s’ils ne remboursent pas leurs emprunts… Tout à fait, mais elles ne le font pas. Or, les contrats bancaires sont trop compliqués à lire pour qu’un client lambda en comprenne toutes les nuances. Les banques ont le devoir de donner des informations essentielles entourant le prêt à leurs clients comme le montant de pénalité qu’ils auront à payer en cas de retard. Je trouve également injuste que les banques fassent saisir les maisons des personnes qui ont été de bons payeurs pendant de très longues années. Il y a des cas où des personnes ont perdu leur maison alors qu’elles avaient remboursé leurs prêts pendant 15 ans. Il ne leur restait que deux ou cinq ans pour tout régler, mais ils ont eu des difficultés à rembourser pour une des raisons mentionnées plus haut. Il aurait fallu trouver un autre arrangement que de mettre leurs maisons directement à la barre. Vous restez convaincu que le système de vente à la barre est devenu un business très juteux… Oui. Les institutions qui prêtent de l’argent tout comme les courtiers font de bonnes affaires. Ils peuvent acheter une maison à un prix dérisoire, qui est deux fois, voire trois fois, inférieur au prix réel de la maison. Ils le revendent ensuite à un prix qui est non seulement plus cher que le montant de l’emprunt qui a été accordé, mais ils font également des gains même si les banques le font pour récupérer leur capital. Une personne peut-elle récupérer sa maison si elle est mise en vente à la barre ? Quand une maison est vendue à la barre, le propriétaire a un délai de huit jours pour contester la vente. Il doit aussi faire un dépôt d’un huitième du prix à lequel la maison a été vendue. La Cour fixe ensuite une date pour la revente de la maison. Il faut savoir que la vente commence avec pour prix de départ, la somme dont la maison a été vendue lors de la première vente. La maison est vendue lors de cette deuxième vente à la valeur du marché. Toutefois, le propriétaire n’a pas le droit de remettre la maison sur son nom, celui de son épouse ou de ses enfants s’ils sont majeurs. Il est connu comme un mauvais payeur par la Mauritius Credit Information Bureau. C’est pourquoi ce sont les membres de sa famille, s’ils en ont le moyen, qui rachètent la maison. Il se peut aussi que la banque qui a acheté la maison de la première vente ne souhaite pas la revendre à la famille du propriétaire, surtout si la maison est située dans un endroit stratégique. Qu’advient-il au propriétaire quand sa maison est vendue ? La Cour émet une Evacuation Order. La banque ou le particulier qui a acheté la maison donne normalement deux mois de délai au propriétaire pour qu’il quitte les lieux. Au cas où la personne refuserait de le faire, la Cour est saisie. Le propriétaire dispose d’un délai de six mois pour quitter sa maison. S’il ne respecte pas l’ordre de la Cour à la date fixée, la police, sur ordre de celle-ci, a le droit de retirer tous ses affaires personnelles pour les mettre à la rue. Que recommandez-vous pour éviter d’arriver à ces extrémités ? Il faut mettre en place un mécanisme totalement indépendant qui aura pour rôle de sensibiliser les gens aux risques qu’ils encourent si demain ils n’arrivent pas à honorer leurs dettes.
 

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