Le Budget 2018-2019 veut consolider nos secteurs productifs traditionnels et émergents, ancrer fermement notre économie dans la révolution numérique et développer une nouvelle classe d’entrepreneurs innovants, y compris dans l'économie bleue. La tâche s’avère compliquée mais pas impossible. Reste à voir les mesures qui viendront pour relever ces défis.
Les secteurs traditionnels peinent à survivre. La contribution du secteur manufacturier au Produit Intérieur Brut a chuté de 15,7 % à 13,9 % de 2013 à 2016. Selon Statistics Mauritius, ce secteur a connu une croissance de seulement 0,3 % en 2016 contre 4,7 % en 2013. Les secteurs agricole et manufacturier n’attirent pas autant d’investissements étrangers. En revanche, les secteurs non-productifs comme l’immobilier dominent l’économie. Sur le littoral, surtout au nord et à l’ouest, le Property Development Scheme et le Real Estate Scheme sont en train de créer des milliers d’emplois directs et indirects.
Les propriétaires de terres contemplent les bénéfices de l’industrie du béton.
L’autorisation accordée aux étrangers d’acquérir un appartement à Maurice a davantage stimulé le secteur. Le boom immobilier encourage l’abandon de la culture agricole, les propriétaires de terres contemplent les bénéfices de l’industrie du béton. Mais est-ce soutenable dans le long terme ? Pour renverser la situation, le prochain Budget se donne comme priorité la consolidation des secteurs productifs traditionnels et développer une nouvelle classe d’entrepreneurs.
L’agriculture, jadis l’épine dorsale de notre économie, attend ses moments de gloire, malgré un certain déclin ces dernières années. L’innovation agricole peut contribuer à la sécurité alimentaire, ouvrant de nouveaux horizons à nos jeunes entrepreneurs. Tout dépend de la volonté des autorités à venir de l’avant avec une politique agricole dynamique capable de relancer ce secteur. Les autres secteurs traditionnels qui attendent un bon coup de pouce sont le manufacturier, l’artisanat et la pêche. L’économie bleue n’est pas en reste, et c’est vraisemblablement avec ce prochain Budget que ce secteur émergent, dont on a longtemps vanté les mérites, va effectivement décoller.
Michaël Valère: « Introduire un ‘direct grant’ conséquent »
Michaël Valère, éleveur de vaches à Nouvelle Découverte, affirme que le secteur se porte mieux. Les gens sont maintenant plus soucieux de leur santé et commencent à consommer plus de lait frais local. Cependant, il juge que le marché doit se développer davantage à travers des campagnes nationales en vue d'encourager la consommation du lait frais localement.
Son souhait est que le gouvernement augmente le ‘grant’ sous le Calf Scheme aussi bien que le subside sur les aliments pour bétail. « Il faut aussi mieux encadrer les petits et moyens fermiers qui investissent beaucoup dans l’élevage en introduisant un ‘direct grant’ conséquent afin que les éleveurs gèrent eux-mêmes l’approvisionnement des médicaments, des équipements et la consolidation de leurs fermes. »
Pour assurer la pérennité du secteur, il propose au gouvernement d’obtenir des terres auprès de l’industrie sucrière afin d’aménager des zones de pâturage à l’intention des petits éleveurs. Il souhaite que les autorités privilégient le bon lait frais local, pour être consommé dans nos prisons et hôpitaux, au lieu d'importer le lait en poudre. Cela en vue d’ouvrir un vaste marché pour les éleveurs.
Zohra Gunglee : «Développer des start-ups ‘prêt-à-lancer’»
Zohra Gunglee, économiste, juge que le salut de notre économie viendra des petites et moyennes entreprises. Elle estime que beaucoup de personnes, désirant se lancer dans l’entrepreneuriat, ont la capacité et les qualités nécessaires pour gérer une entreprise et prendre des risques. Cependant, précise-t-elle, ces mêmes personnes ont des idées limitées quant au secteur d’activité à choisir. Trop d’entrepreneurs finissent par copier ce que font les autres. Le marché devient vite saturé, au détriment de tout le monde. « Je pense que les institutions comme le SME Mauritius doivent investir dans la recherche et la réflexion pour dénicher des segments d’activités innovantes. Nous devrons aussi encourager les Business Consultants à développer des start-ups ‘prêt-à-lancer’ que des entrepreneurs ou des investisseurs peuvent tout simplement acheter. Ce concept a marché ailleurs. Pourquoi pas chez nous ? », explique Zohra Gunglee.
Amar Deerpalsingh : «Notre base industrielle est en réel déclin»
Amar Deerpalsingh, président de la Fédération des Petites et Moyennes Entreprises, affirme que de nombreuses entreprises opèrent à partir de leur domicile ou dans des zones résidentielles. Malheureusement, il est difficile d'obtenir des permis pour certaines activités, sans le consentement des voisins ou encore si l'activité est susceptible de causer des désagréments. «C'est pourquoi nous avons besoin de nouveaux parcs industriels avec toutes les facilités. Cela a été promis dans les budgets successifs, mais on attend toujours. Toutes les zones existantes sont occupées et les nouvelles PME ne peuvent trouver l’espace nécessaire.»
Amar Deerpalsing explique que les PME, qui opèrent à domicile puisqu'ils n'ont pas trouvé d'espace convenable, ne peuvent pas travailler sur des projets d'expansion et de modernisation. Cela entrave la croissance et limite la création d'emplois.
Il ajoute que notre base industrielle est en réel déclin et que rien n'est fait pour remédier à la situation, même si la «Vision 2030» vise à étendre notre base industrielle à au moins 25 %. Il précise que Maurice importe près de 83 % de ses besoins de consommation, dont une grande partie aurait pu être produite localement, aidant à la création d’emplois. «Trop dépendre sur les importations engendre l'inflation importée», dit-il. Les changements institutionnels fréquents, qui n'apportent pas de résultats concrets, constituent un autre grand problème.
Par exemple, la SMEDA est devenue SME Mauritius, mais elle n'a toujours pas la vitalité de la défunte SMEDA. De même, tous les nouveaux concepts introduits tels que My Biz n'ont pas donné les résultats escomptés. Il regrette la discrimination à l'encontre des PME qui ne bénéficient pas d'une exemption de la Land Conversion Tax, ou encore d'une exemption douanière sur les meubles importés, contrairement aux Smart Cities. Il conclut que l’accès à la terre demeure le plus grand obstacle à l’entrepreneuriat.
Arvind Nilmadhub : «Un stimulus package pour les PME»
L’économiste Arvind Nilmadhub pense que le secteur manufacturier a un bel avenir si l’on arrive à prendre les bonnes décisions. Selon lui, Maurice a fait ses preuves dans ce secteur. "A travers l’innovation, nous pouvons redynamiser les activités traditionnelles. On peut explorer beaucoup de segments ‘niches’ au sein des activités courantes, comme le textile. Dans le passé, on a beaucoup parlé de l’ingénierie légère, la ‘stainless steel industry’, l’assemblage des composants électroniques, la fabrication des dispositifs médicaux, l’assemblage des panneaux solaires destinés à l’exportation, etc. Mais, on n’a rien vu de tel. Pourtant, les opportunités existent. »
L’économiste exprime son regret que nous n’avons pas avancé sur le dossier recyclage, qui comporte plusieurs pistes d’exploitation. « Nous avons plutôt reculé, avec la fermeture de deux entreprises engagées dans le recyclage du papier, alors que nous acheminons chaque jour des tonnes de papier et des cartons à Mare Chicose. » Mais quelles mesures préconise-t-il ? L’économiste rappelle que les petites entreprises sont plus aptes à créer des emplois. Il faut présenter un véritable ‘stimulus package’ pour l’émergence d’une nouvelle classe d’entrepreneurs pouvant valoriser les secteurs traditionnels à travers de nouvelles idées.
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