
Le Fonds monétaire international table sur une croissance de seulement 3 % pour Maurice. Quels sont les facteurs à l’origine de cette baisse de régime de l’économie nationale ?
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3 % C’est le taux de croissance que connaîtra Maurice en 2025, selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international (FMI). Une prévision inférieure à celle de Statistics Mauritius, qui table sur un taux de 3,3 %.
Les explications données par le FMI :
« La croissance du PIB réel devrait se tasser à 3 % en 2025 en raison de l’affaiblissement de la demande extérieure, du ralentissement de l’activité touristique et de la grave sécheresse. Une détérioration de la croissance mondiale, et une plus grande incertitude sur les marchés commerciaux et financiers pourraient freiner la croissance. Les retards dans le rééquilibrage du dosage des politiques macroéconomiques pourraient conduire à un ajustement désordonné. Des phénomènes climatiques extrêmes pourraient endommager les infrastructures et affecter l’agriculture, ce qui affaiblirait le tourisme et la croissance. »
*Extraits de la note d’information du FMI publiée le 11 avril.
Ces 5 facteurs qui jouent contre la croissance
1. La baisse des arrivées touristiques
Le pays accueille moins de touristes cette année. Et c’est l’une des raisons qui fait que la croissance sera inférieure à 2024 cette année. « D’après les professionnels du secteur, les touristes sont non seulement moins nombreux, mais ils viennent pour moins longtemps. Ils passent 6 à 7 jours dans le pays contre 10 jours auparavant. Cela en raison du ralentissement économique en Europe et de la cherté des billets d’avion pour venir à Maurice », explique l’économiste Manisha Dookhony. Le pays est aussi perçu par les Européens comme une destination haut de gamme, donc pas abordable. Cette baisse dans les arrivées pèse sur la croissance car le secteur représente environ 20 % du PIB du pays (en incluant les activités indirectes), ajoute-t-elle. Il est clair que le tourisme, un secteur clé, est en train de s’essouffler, renchérit le Dr Chandan Jankee, économiste.
2. La psychose que rien n’est bon dans l’économie
Le Dr Chandan Jankee, économiste, est catégorique. « Avec l’installation du nouveau gouvernement et la publication du rapport ‘State of the economy’, il y a une psychose sur l’économie, à l’effet que ‘nothing is good’. Cela crée une certaine négativité, surtout parmi les investisseurs », avance l’économiste. Il évoque aussi l’« accelerator effect ». « Il y a les incertitudes, le ‘Trump effect’, la dépréciation de la roupie, le déclin de l’activité économique… ce retournement de la situation économique provoque un effet accélérateur. En d’autres mots, si la croissance baisse, elle baissera encore plus », souligne Chandan Jankee.
3. Un effet statistique
Après la pandémie, l’économie est passée d’une contraction de 14,5 % à une croissance de 8,7 % en 2022 et 5 % en 2023. « La croissance est plus élevée après une contraction économique. C’est un ‘statistical effect’. Mais, le taux redescend par la suite car maintenir un taux de croissance de 5 % à 8 % est difficile en raison des incertitudes mondiales actuelles, du resserrement des conditions monétaires, qui implique l’augmentation des taux d’intérêt. Par ailleurs, quand il y a des élections et un changement de régime, les investisseurs sont en mode d’attente. Car un changement de régime implique une révision de la stratégie économique », explique le Dr Chandan Jankee.
4. Un manque d’élan dans la construction
La construction, qui a boosté la croissance ces dernières années, connaît une baisse de régime cette année. « Certains projets sont en pause, d’autres attendent des financements. Ce qui impacte aussi les activités connexes du secteur », souligne Manisha Dookhony. D’ailleurs, Statistics Mauritius table sur une croissance nulle dans le secteur cette année. Chandan Jankee rappelle que l’industrie du bâtiment fait face à plusieurs défis, donc le manque de travailleurs.
Une croissance nulle pour la construction
2024 : croissance de 13,3 %
2025 : croissance nulle
5. Un ralentissement dans le secteur financier
L’incertitude au niveau mondial ou encore les permis en attente sur le plan local contribuent actuellement à un certain ralentissement dans le secteur financier, explique Manisha Dookhony.
Le statu quo pour le secteur financier
2024 : croissance de 4,7 %
2025 : croissance de 4,7 % (prévision de Statistics Mauritius)
Comment renverser la tendance ?
Dr Chandan Jankee : « Parmi les obstacles à la croissance figurent le manque de main-d’œuvre, l’accès limité au capital et la bureaucratie, ce qui rend les affaires difficiles, notamment pour les PME. Le coût élevé de l’investissement à Maurice, notamment pour les terrains et bâtiments, freinent les investisseurs. Il est essentiel d’inverser la tendance actuelle en ajustant la politique fiscale et la politique monétaire. La stabilité du secteur financier et la cohérence des politiques monétaire et budgétaire sont cruciales. Le gouvernement doit établir un plan stratégique clair et cohérent à court, moyen et long terme, pour inspirer confiance et inciter les acteurs économiques à investir. Il ne faut pas miser sur des stratégies qui décourageraient les investissements. Une évaluation honnête de la capacité de production du pays est aussi nécessaire. Par ailleurs, le secteur privé doit investir dans l’innovation et la recherche en collaboration avec le gouvernement pour stimuler l’économie. De même, le tourisme doit être réinventé avec de nouvelles structures, notamment des hôtels en hauteur, et une diversification de la clientèle. Le développement de l’agro-industrie est essentiel pour garantir la sécurité alimentaire. Cela peut se faire à travers un soutien aux planteurs avec des prix garantis pour une série de produits. Il nous faut aussi développer de nouveaux secteurs (l’énergie, par exemple) et favoriser des investissements dans des secteurs réels, ce qui permettra de créer des emplois et de la richesse. »
Manisha Dookhony : « Il nous faut des alternatives. Nous devons miser sur deux accords importants - le Comprehensive Economic Cooperation Partnership Agreement (CEPCA) et le Mauritius-China Free Trade Agreement - qui sont actuellement sous-utilisés. Maurice exporte du sucre vers les États-Unis. Avec la menace des tarifs douaniers de Trump, on peut se servir des quotas de sucre dans ces deux accords pour ne pas se retrouver en difficulté. Nous pouvons aussi miser sur la biopharmacie et viser l’Inde et la Chine pour l’exportation de produits et de services dans ce domaine. Par ailleurs, il est important que les institutions fonctionnent à plein régime, car plusieurs demandes de permis demeurent en attente. Cela permettra d’insuffler une nouvelle dynamique économique. »

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