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Pouvoir d’achat : un argument électoral déterminant?

Certes, l’État accorde de nombreux soutiens aux Mauriciens, toutefois, ils sont nombreux à se plaindre d'une énième hausse des prix des produits alimentaires et des médicaments, d’où l’érosion de leur pouvoir d’achat. Ce dernier sera-t-il un argument de campagne suffisamment fort pour influencer les débats avec l’approche des élections générales ?

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La déclaration de la ministre du Commerce, Dorine Chukowry, au début du mois d’août, sur le fait que les Mauriciens vivent bien au vu de leur présence en grand nombre dans les divers centres commerciaux continue à susciter l’indignation. Pour elle, le gouvernement est « à l’écoute des plus vulnérables ». Preuve en est, selon elle, l’augmentation du montant du salaire minimal garanti, la hausse des différentes pensions et l’introduction de différents plans de soutien destinés aux nourrissons, aux enfants en bas âge, aux femmes enceintes et aux familles vulnérables.  Abordant la hausse des prix, elle fait ressortir qu’il s’agit d’un phénomène mondial hors du contrôle du gouvernement : « La seule chose que nous pouvons faire, c’est de nous adapter et continuer de soutenir la population comme nous le faisons déjà », dit-elle. 

Le gouvernement alourdit le fardeau fiscal des Mauriciens

Pour sa part, Karen Foo Kune-Bacha, députée du MMM, qualifie les propos de Dorine Chukowry d’ironiques. Elle avance : « Nous sommes sur le terrain et nous connaissons la réalité. Ce n'est pas depuis quelques mois seulement que nous ressentons la situation de manière accrue. Cela fait plusieurs mois, voire des années, que le gouvernement applique une politique monétaire désastreuse ».  Elle soutient que la dépréciation de la roupie est attribuée à la Covid-19 et à la guerre, mais d'autres facteurs expliquent également la baisse continue du pouvoir d'achat des Mauriciens. « J’ai dénoncé dans mon discours sur le budget comment ce gouvernement taxe énormément la population, rendant les choses beaucoup plus chères dans les supermarchés. Ils récoltent des taxes record avec la montée des prix des biens et services », a-t-elle fait ressortir.

Selon elle, la majorité des Mauriciens ne vivent pas, mais survivent. « Il y a des personnes qui empruntent pour pouvoir se nourrir. Tout augmente, l’électroménager, les matériaux de construction, etc. Les Mauriciens ont du mal à respirer. Certes, les centres commerciaux sont remplis, pour autant, est-ce que les gens achètent ou se promènent-ils tout simplement ? Il est déchirant de les voir faire du lèche-vitrine sans pouvoir se permettre d’acheter », dit-elle. 

Dévaluation délibérée de la roupie

Pour Dev Sunnasy, membre fondateur de Linion Moris, la ministre Chukory « vit probablement sur une autre planète ». « L’une des causes majeures de l’effritement du pouvoir d’achat est la dévaluation graduelle, constante et volontaire de notre roupie. En janvier 2015, un dollar américain était à Rs 31.60 et maintenant c’est à Rs 46.8, soit 48 % en moins dans la valeur de la roupie. Notons que la dévaluation a accéléré à partir de février 2018 et Renganaden Padayachy est arrivé à la Banque de Maurice un mois plus tôt », fait-il ressortir. Pour lui, l’objectif de l’État est de remplir ses caisses afin de payer les augmentations de pensions promises.

Ajmal Torabally, du PMSD, estime qu’il est crucial que le prochain gouvernement surveille de près la dépréciation de la roupie et l'inflation. « Certains problèmes sont sous notre contrôle, d’autres non. Le dernier rapport du FMI a tiré la sonnette d’alarme concernant les populations vulnérables et les problèmes au niveau des personnes en bas de l’échelle. Le prochain parti qui viendra au pouvoir devra aborder ces questions, notamment en soutenant le comité de politique monétaire de la Banque de Maurice », explique-t-il.  

Ehsan Juman, député du PTr, souligne qu'à la différence des ministres du gouvernement, qui fréquentent les riches et restent dans leurs bureaux, sans connaître la réalité et la souffrance des Mauriciens, lui est en contact direct avec de nombreuses personnes, y compris les travailleurs indépendants, la classe moyenne et les plus démunis. Il affirme que « la pauvreté s'aggrave, la classe moyenne s'appauvrit, et les riches s'enrichissent encore davantage ». Évoquant le prix des œufs, il rappelle qu'en 2019, un œuf coûtait entre Rs 5 et Rs 6, tandis qu'aujourd'hui, il atteint Rs 13 à Rs 15, si on en trouve encore. Il explique : « En juillet, il a été rapporté que la consommation d'œufs avait augmenté, comme l'a mentionné le ministre. Cela montre que les gens ne peuvent plus se permettre d'acheter du poulet ou de la viande. Les produits de première nécessité, comme le beurre et les médicaments, deviennent de plus en plus chers, aggravant la situation des familles en difficulté ».


Les pistes à explorer selon le député Reza Uteem

Reza Uteem a écrit à la ministre du Commerce pour aborder les coûts élevés du fret et a suggéré plusieurs mesures. Il propose de négocier des accords pour diminuer les frais portuaires, car les coûts actuels sont élevés en raison des délais prolongés au port, où seulement trois ou quatre des sept portiques sont opérationnels. Il estime qu'un programme de réduction des frais de fret pour les produits de base, similaire à celui existant pour les exportations, rendrait les produits locaux plus compétitifs. De plus, il suggère d'introduire une réduction de la TVA sur certains produits essentiels. Il critique la taxe actuelle de 15% sur des produits en boîte, dont les tomates et les biscuits, qu'il considère comme injustifiée. Il croit qu'une suppression partielle de la TVA sur ces produits diminuerait le coût de la vie.

Le député du MMM recommande également de revoir les taxes sur les transports, comme le diesel et l’essence. Il suggère que réduire ces taxes, actuellement à 50 %, pourrait avoir un impact positif sur les prix et augmenter le revenu disponible des consommateurs. Les économies réalisées pourraient être utilisées pour les besoins alimentaires et médicaux. Pour les médicaments, il propose d'introduire les importations parallèles et d'encourager les médecins à prescrire des génériques, souvent moins chers que les marques. Il estime que les pharmacies devraient offrir des alternatives génériques pour stimuler la concurrence et réduire les prix.


Paupérisation de la société

Faizal Jeeroburkhan, observateur, estime que la fréquentation élevée des centres commerciaux et des restaurants ne reflète pas fidèlement la réalité socio-économique du pays. Selon lui, cela pourrait indiquer une société où les riches deviennent plus riches tandis que les pauvres s’appauvrissent davantage. Il suggère également que cette situation pourrait être alimentée par une économie parallèle financée par des fonds issus de la drogue et de la mafia.

L’observateur souligne que le pouvoir d’achat sera un enjeu majeur lors des prochaines élections. « Bien que l’État ait mis en place des subsides pour divers produits de base, augmenté le salaire minimum et les pensions de vieillesse, la majorité des familles peinent à joindre les deux bouts. La paupérisation est évidente : des familles avec 2 à 3 enfants et un revenu mensuel de Rs 30 000 ont du mal à vivre correctement. De plus en plus de familles de la classe moyenne se retrouvent dans cette situation. Pour celles avec des revenus plus bas, il ne s'agit pas de vivre, mais de survivre », affirme-t-il. 


La parole aux économistes

L’économiste Bhavish Jugurnath : « Des consommateurs peinent à acheter des produits de base »

Les prix des produits alimentaires sont influencés par plusieurs facteurs complexes. L’augmentation des coûts du fret maritime, causée par des tensions géopolitiques et des perturbations logistiques, impacte fortement le coût de la vie à Maurice. Par exemple, l'attaque armée au Yémen a perturbé le transit par la mer Rouge, une route maritime clé reliant le canal de Suez, avec 50 à 55 % des navires qui passent par cette route. Depuis cet événement, les tarifs du fret ont considérablement augmenté, en particulier entre mai et juillet de cette année. En novembre 2023, le coût du fret depuis Shanghai était de 1 200 dollars pour un conteneur de 20 pieds et de 1 300 dollars pour un conteneur de 40 pieds. En mai, ces coûts ont augmenté à 1 900 dollars pour un conteneur de 20 pieds. En juin 2024, ils ont atteint 4 700 dollars pour un conteneur de 20 pieds et pour celui de 40 pieds, il faut débourser 8 400 dollars, soit une hausse de près de 250 %.

Malheureusement, Maurice dépend de l'importation pour près de 90 % de ses besoins, ce qui rend le pays très vulnérable aux hausses des prix des matières premières. Les produits alimentaires sont également touchés par ces augmentations. De plus, des facteurs comme les pénuries alimentaires, les détours maritimes et les perturbations de transit compliquent la situation. Les compagnies de fret mettent plus de temps à acheminer les produits, ce qui affecte les importateurs. Certains ports mondiaux rencontrent des problèmes de détournement, augmentant les risques pour les importateurs.

Pénurie de devises

La Banque de Maurice est intervenue environ six fois cette année pour soutenir le marché des changes, la dernière intervention ayant eu lieu le 5 août. Ces actions ont permis de stabiliser la monnaie et de réguler le taux de change. Le dollar, qui était à Rs 45,40 en juin 2022, a atteint Rs 47,90 en juin 2024, soit une dépréciation de 5 %. Sans ces interventions, le dollar aurait pu dépasser les Rs 50, augmentant encore les coûts d'importation. Cette situation affecte directement la consommation. Il y a trois types de consommateurs : ceux qui ignorent les prix (5 à 8 %), ceux qui optent pour des marques moins chères, et une majorité qui peine à acheter suffisamment de produits essentiels. 

Au vu des statistiques internationales, un ralentissement de l'économie mondiale est prévu pour août, ce qui pourrait entraîner une baisse de la demande, des prix et du fret. Si ce n'est pas le cas et que la demande reste élevée, les prix ne diminueront pas avant février 2025. 


Chandan Jankee : « Il ne faut pas être alarmiste »

Certes, il y a beaucoup de débats sur le pouvoir d'achat et l'inflation, mais je pense qu'il ne faut pas paniquer. L'inflation à Maurice a baissé et se situe maintenant entre 6 et 7 %. Les événements internationaux, comme les guerres, la Covid-19 et la hausse générale des prix du fret, doivent être pris en compte. Ces phénomènes globaux impactent les prix, mais à Maurice, la hausse est surtout due à l'inflation importée. La dépréciation de la roupie a aussi rendu les importations plus coûteuses. Cela contribue à la perception que le coût de la vie augmente, comme le soulignent certains médias et l'opposition.

Malgré ces contradictions, la consommation a augmenté. Les centres commerciaux sont pleins, et les aires de restauration sont bondées en dépit de la hausse des prix. Une boulette qui coûtait Rs 8 coûte maintenant Rs 17, mais les gens font encore la queue. Ce qui est intéressant, c'est que ces lieux accueillent des personnes de toutes les couches sociales, ce qui reflète une amélioration du niveau de vie. Cette situation est due en grande partie à l’impact des augmentations de salaire et des pensions. D’ailleurs, au cours des 5 à 10 dernières années, l'inflation n'a pas dépassé 30 %, tandis que les salaires ont augmenté de 66 % et les pensions ont également progressé. Je ne défends pas le gouvernement, mais je pense qu'il a peut-être donné trop. Ces aides gouvernementales encouragent les gens à dépenser davantage, ce qui stimule l'économie et a un effet positif. Lors des élections, le gouvernement mettra en avant ses performances économiques et les aides accordées, tandis que l'opposition soulignera le coût de la vie. Cependant, cela ne suffira pas à ébranler le gouvernement. Les élections se baseront sur d'autres critères : la performance du gouvernement, la stabilité économique et politique, et les intérêts du secteur privé.

 


Amit Bakhirta d’ANNEAU : « Maurice vote émotionnellement, plutôt qu’intellectuellement »

En finance, il existe une profonde sagesse : « L’information est intégrée au prix, jusqu’à ce qu’elle ne le soit plus ! ».  La perte de pouvoir d'achat et de consommation intérieure, pour nous, chez ANNEAU, ne sera très probablement pas un facteur de rupture lors des prochaines élections, car Maurice n'est pas encore un pays qui vote intellectuellement, mais plutôt émotionnellement.

La formulation, la mise en œuvre et l’exécution de la macroéconomie sont difficiles lorsque les réformes structurelles sont ce dont un pays a besoin pour la prospérité soutenable de son peuple. Sans oublier qu’il y a de nouveaux salaires après le rapport sur la relativité. Nous avons clairement souligné les implications microéconomiques pour les employés, les employeurs et l'économie sous-jacente dans votre publication respectée la semaine dernière et nous éviterons Bis Repetita, mais en substance : Malgré un répit financier momentané qui compense en partie la perte de pouvoir d’achat et l’appauvrissement, le contrepoids socio-économique sous-jacent est la perte immédiate de productivité et de compétitivité à court et moyen terme dans les secteurs privé et public. 

Cela devrait être une préoccupation majeure, car ceux-ci constituent le tissu sous-jacent du socio-capitalisme. « Dans les cycles socio-économiques et économiques actuels, la productivité mauricienne est dans une spirale descendante glissante ».


Avis des défenseurs des consommateurs

Suttyhudeo Tengur, président de l'APEC) : « Tout n’est pas rose »

Partout dans le monde, que ce soit en Grande-Bretagne, en France ou en Amérique, les campagnes électorales se concentrent sur le pouvoir d'achat et l'inflation. Maurice ne peut pas être une exception. Ces sujets sont essentiels pour tous les partis politiques. Je suis convaincu que l'inflation et le pouvoir d'achat seront les principaux thèmes des prochaines élections. Actuellement, les consommateurs et la population en général traversent une crise financière, et il est difficile de joindre les deux bouts. 

Il ajoute qu'il ne faut pas se fier uniquement aux perceptions. Bien que les centres commerciaux bondés donnent une certaine impression, cela ne reflète pas la réalité pour tout le monde.. Les personnes que l'on voit dans les hypermarchés et sur les plages appartiennent principalement aux revenus élevés ou à la haute classe moyenne. La classe moyenne et les personnes moins favorisées se tournent vers les petites boutiques de quartier. Ce sont elles qui souffrent le plus et qui ont du mal à joindre les deux bouts.

Suttyhudeo Tengur souligne qu'il est important de ne pas se laisser tromper par une image idéalisée du pays. Tout n’est pas rose. Une mauvaise analyse des faits peut mener à des conclusions erronées. Ce qui est dit n’est pas toujours fondé sur des données concrètes. Il existe encore des poches de pauvreté. Il ne faut pas généraliser sans comprendre la réalité. L'augmentation du pouvoir d'achat et la diminution de l'inflation sont cruciales. 

Jayen Chellum, secrétaire général de l'ACIM : « La cherté de la vie pèsera, mais... »

Sans nul doute, l'inflation et la cherté de la vie seront des enjeux majeurs lors des prochaines élections. Bien que le gouvernement ait accordé plusieurs allocations, ces mesures semblent insuffisantes face aux problèmes économiques actuels. D’ailleurs, je me demande si les actions du gouvernement sont suffisantes pour rétablir l'équilibre et influencer les électeurs à revoir leur jugement sur les cinq années de mandat du gouvernement. En outre, l'inflation n'est pas le seul sujet de préoccupation : les questions liées à la construction d'infrastructures non prioritaires, au lieu d'investir dans les allocations sociales et la création d'emplois, sont également cruciales. 

Quelques mesures sociales

  • L’allocation mensuelle de subsistance à Rs 1 500 pour 20 000 bénéficiaires sous le SRM. 
  • Allocation de Rs 2 500 pour tous les enfants âgés de moins de 3 ans et de Rs 2 000 pour les enfants âgés de moins de 10 ans.
  • L’ aide aux familles ayant des jumeaux, des triplés ou plus passe de Rs 3 272 à Rs 5 000. 
  • L'allocation mensuelle de loyer pour les bénéficiaires de pensions de base vivant seuls de Rs 2 286 à Rs 3 500.
  • Introduction d’ une allocation mensuelle additionnelle de Rs 3 000 pour 5 000 enfants handicapés de moins de 18 ans. 
  • Une School Allowance de Rs 2 000 par mois pour 80 000 familles avec des enfants âgés de 3 à 10 ans. 
  • Une Child Allowance de Rs 2 500 pour 26 000 familles avec des enfants de moins de 3 ans. 
  • Une Maternity Allowance mensuelle de Rs 2 000 pour 12 000 mamans. 
  • Revenu Minimum Garanti de Rs 20 000. 





 

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