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Pilier de l’économie : le secteur financier mauricien à l’épreuve de la modernité

Le secteur contribue à près de 14 % du PIB à Maurice et emploie directement près de 20 000 personnes.

Malgré son poids économique majeur, soit 14 % du produit intérieur brut et 68 % des recettes fiscales des entreprises, le secteur financier à Maurice fait face à des défis structurels et à une concurrence internationale féroce. Entre ambitions de transformation et nécessité d’agilité, acteurs publics et privés s’accordent : il faut innover, simplifier et s’ouvrir pour préserver l’attractivité du centre financier.

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Le secteur financier est le premier pilier de l’économie locale. Il contribue à près de 14 % du PIB à Maurice et emploie directement près de 20 000 personnes hautement qualifiées et bien plus encore indirectement. Il représente également 68 % des recettes de l’impôt sur les sociétés et 34 % de la collecte des cotisations sociales. Pourtant, il est confronté à de sérieux défis face à l’évolution rapide de l’environnement concurrentiel mondial. Si Maurice veut rester pertinent dans cet environnement, le ministère des Services financiers est d’avis qu’il doit agir de manière décisive. Le ministère fait comprendre que de formidables défis attendent le secteur, mais aussi d’incroyables opportunités. « Nous travaillerons ensemble pour réinventer le secteur et le faire passer à un niveau supérieur d’innovation et de transformation. Si le maintien de l’intégrité de notre système financier n’est pas négociable, nous devons aussi donner la priorité à la facilitation des affaires », fait-on comprendre.   

Cependant, il n’est pas question de sacrifier la croissance sur l’autel de la surréglementation. Il faut trouver le bon équilibre entre la conformité et l’innovation, entre la gestion des risques et la confiance des investisseurs. Dans un monde de plus en plus concurrentiel, il faut être proactif et faire ce qu’il faut pour rester attractif et compétitif aux yeux des investisseurs. « Nous avons besoin que les investisseurs aient davantage confiance. Nous devons créer des emplois bien rémunérés. »  Le ministère des Services financiers a publié un rapport stratégique qui n’est pas seulement une vision, mais un plan réalisable. Il repose sur cinq piliers principaux, fondés sur les réalités d’aujourd’hui et les impératifs de demain.

Numérisation, finance durable et diversification

Pour Hafeez Toofail, directeur de SALVUS (Mauritius) Ltd et ancien régulateur à la Malta Financial Services Authority, les chiffres parlent d’eux-mêmes. « Le secteur emploie près de 20 000 personnes qualifiées. Le segment Global Business représente à lui seul plus de 8 % du PIB. Ces chiffres soulignent l’importance stratégique du secteur, tant en termes économiques que sociaux », dit-il. La vision qu’il trace pour l’avenir repose sur trois piliers : numérisation, finance durable et diversification des services. Il estime que Maurice doit tirer profit de sa position géographique et de son cadre juridique pour devenir une plateforme financière innovante et connectée à l’Afrique. Selon lui, cette ambition passe par une collaboration renforcée avec les régulateurs internationaux, afin d’importer les meilleures pratiques et d’accélérer la transformation du secteur. « Il est primordial d’adopter les initiatives qui ont fait leurs preuves ailleurs, pour bâtir un écosystème plus robuste, plus agile et plus compétitif », dit-il.

Mais tout le monde ne partage pas cet optimisme sans réserve. Shahed Hoolash, Managing Director de Vistra (Mauritius) Ltd, constate une forme de stagnation depuis plusieurs années. « Depuis l’introduction de différentes taxes en 2020, le secteur connaît un certain ralentissement. La nouvelle tarification instaurée par le nouveau régime fiscal ajoute de l’incertitude », affirme-t-il. Selon lui, les investisseurs étrangers sont de plus en plus hésitants, surtout à cause des lourdeurs administratives et du manque d’agilité dans les transactions. « D’autres juridictions apparaissent comme plus attrayantes. Ce qui nous met en difficulté pour rester compétitif », ajoute-t-il. Pour Shahed Hoolash, le cap à tenir d’ici à 2030 est néanmoins clair : renforcer notre position de hub régional. Ce qui nécessitera des efforts soutenus, une adaptation rapide aux exigences du marché et une ouverture accrue vers les juridictions partenaires. « Les entreprises les plus résilientes seront celles capables de s’ajuster rapidement. Mais la nouvelle génération de clients va chercher ailleurs », estime-t-il. 

Un secteur à forte valeur ajoutée

De son côté, Beelal Baichoo, expert-comptable et consultant en conformité, rappelle que malgré les difficultés, le secteur financier reste l’un des moteurs économiques du pays. En 2024, il a représenté 24,8 % de la valeur ajoutée brute. « Il a fait preuve d’une résilience remarquable pendant la pandémie. C’est aussi un secteur porteur d’avenir pour la jeunesse mauricienne, notamment les diplômés », fait-il ressortir. Selon lui, la stratégie gouvernementale, à travers le rapport stratégique 2025/30, va dans la bonne direction. Mais il appelle à une mise à jour continue du modèle économique. « C’est un secteur qui évolue vite. Il faut que les décisions suivent, et que les parties prenantes soient pleinement engagées », soutient-il 

Le secteur financier mauricien se trouve à la croisée des chemins. Selon nos interlocuteurs, ses fondamentaux sont solides, son potentiel est réel, mais les défis structurels et la concurrence mondiale imposent une transformation rapide et stratégique. Tous les acteurs s’accordent sur un point : il faut innover, collaborer et s’ouvrir à l’international pour rester compétitif. Ce qui passe par des réformes audacieuses, un renforcement du capital humain, une gouvernance efficace et un positionnement clair sur les niches porteuses de la finance de demain. À l’horizon 2030, Maurice pourrait se réinventer en centre financier régional de référence, mais seulement si les obstacles actuels sont dépassés.

Les défis structurels qui freinent l’élan

Malgré son potentiel, le secteur est confronté à des obstacles bien identifiés. Hafeez Toofail pointe en premier lieu la lenteur des procédures de la Financial Services Commission (FSC). « Elle génère une insécurité juridique, notamment pour les nouvelles activités comme les cryptoactifs ou les services de paiement », déplore-t-il. Il évoque également la complexité pour l’ouverture des comptes bancaires, en particulier pour les entreprises qui opèrent dans les secteurs émergents. De plus, il y a un manque d’automatisation, une pénurie de compétences spécialisées (en fintech, finance verte ou conformité), et une formation continue souvent inefficace, perçue comme une simple formalité administrative. « Pourtant, une formation dynamique et collaborative est essentielle pour faire évoluer les compétences », insiste-t-il.

Pour Shahed Hoolash, il y a un manque de main-d’œuvre locale dans le secteur. Pour y remédier, il propose une politique migratoire ciblée : attirer des étrangers qualifiés capables d’apporter de la valeur ajoutée. « Mais il faut viser des talents qui peuvent vraiment faire évoluer l’industrie », soutient-il. 

Pour sa part, Beelal Baichoo appelle à une meilleure gouvernance stratégique. « Il faut des signaux clairs du sommet de l’État, une célérité dans le traitement des autorisations et la désignation des bonnes personnes à la tête des organismes clés. Sinon, nous risquons de perdre face à des juridictions comme les Émirats ou Singapour », indique-t-il.

Vers de nouvelles opportunités

Malgré ces défis, les opportunités restent nombreuses, assurent les trois experts. Hafeez Toofail mentionne la tokenisation d’actifs, les paiements numériques et les cryptomonnaies comme les leviers d’innovation à ne pas négliger. « Une réforme intelligente des cadres réglementaires peut nous placer à l’avant-garde », dit-il.

Shahed Hoolash, lui, insiste sur la diplomatie économique. Pour lui, Maurice doit nouer davantage de partenariats internationaux, en particulier avec des pays africains. « Le marché local est trop petit. Nous devons penser régional et même continental. L’Afrique est l’avenir, à condition d’y aller stratégiquement. »

Pour Beelal Baichoo, l’intelligence artificielle pourrait transformer le secteur s’il est bien encadré. Il souligne le rôle des investissements publics dans la technologie, mais prévient : sans une gestion rigoureuse des compétences, ces fonds pourraient ne pas atteindre leur objectif. « Il faut retenir nos talents. Plus qu’un bon salaire : il faut offrir une perspective claire », affirme-t-il. Il recommande également d’accélérer le développement de nouveaux produits financiers adaptés à des marchés non traditionnels. Et il préconise une collaboration étroite entre les secteurs public et privé. « C’est ainsi que nous attirerons des investisseurs venus d’horizons nouveaux et inattendus », fait-il observer.

 

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