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Pauvreté alimentaire : quand la faim détruit la dignité

« Trase ». Voilà le mot qui est utilisé par de nombreuses familles pour définir comment elles se démènent chaque jour pour manger.
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  • «Mo zanfan plore, li dir li faim…»

Une mère qui abandonne ses enfants parce qu’elle ne peut les nourrir, des personnes réduites à la mendicité pour faire manger leurs familles, diminuer les repas de la journée pour économiser les vivres… Ce n’est guère un tableau misérabiliste mais la réalité de plusieurs familles mauriciennes. Elles crient famine. 

Il est 20 heures sur la route principale de Beau-Bassin. Plusieurs hommes et femmes guettent les voitures. Ils essaient de voir au loin un visage plutôt sympathique à qui ils pourront demander un peu d’argent ou de la nourriture. 

Certes, nombre d’entre eux sont rusés, espérant secrètement que les bons Samaritains accepteront de donner de l’argent plutôt que de la nourriture. Sauf que parmi eux, deux mères de famille semblent réellement être au bout du rouleau. L’une avance que c’est son compagnon qui l’oblige à venir demander à manger. Lui, ne travaille presque pas. Il a plongé dans l’enfer de la drogue et la seule façon de faire manger les enfants, c’est de compter sur la générosité des autres. 

Avec le temps, elle a appris à se débrouiller. « Mo kone kot bann-la distribie manze parfwa e mo al laba. Sinon kan mo rat sa, mo vinn rod ek bann dimounn. » Elle n’en dira pas plus sur la maison dans laquelle elle habite, sur leurs conditions de vie, sans doute veut-elle préserver un peu de son intimité. 

enfant
Beaucoup d’enfants ne mangent pas à leur faim.

L’autre femme est, elle, déterminée à trouver une personne qui pourrait lui payer un ou deux repas. « Pou mo misie sa, li malad, li res lor lili mem. Avek so kas pansion nou pey lakaz ek lalimier delo. Pou manze, nou bizin trase. »

« Trase ». Voilà le mot qui est utilisé par de nombreuses familles pour définir comment elles se démènent chaque jour pour manger. Et on ne parle pas là que des personnes vivant dans la rue mais aussi de celles qui travaillent mais qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. 

Meera H. et son époux travaillent tous les deux comme agents de nettoyage. À eux deux, ils ont un salaire de Rs 24 000. De cette somme, ils doivent retirer Rs 12 000 pour la maison et les factures. Avec l’argent restant, ils disent donner priorité à leurs trois enfants. 

« Pensez-vous que cinq personnes peuvent manger comme il se doit avec l’argent qui reste, avec parfois des dépenses imprévues pour les enfants, pour la maison ? Non ! » Alors, pour s’en sortir, le couple a fait en sorte de réduire la quantité de nourriture qu’il prépare. « Et nous avons expliqué aux enfants qu’il faudra manger la même chose matin midi et soir. »

Des personnes âgées épuisées 

Pour Maryse, habitante de Quatre-Bornes, il est important de considérer que toutes les familles ne sont pas composées de la même façon. « Certaines personnes ont des proches sur qui elles peuvent compter, des enfants qui les accueilleront à la retraite et d’autres non. Certaines personnes âgées comme moi vivent seules, nous devons trouver de quoi manger et je peux vous assurer que je fais toutes les économies possibles pour ne manger que très peu de nourriture tous les jours. Mais j’ai aussi un loyer à payer et des factures. »

Même son de cloche pour Marie Lourdes, 65 ans. « Même si j’ai une pension, je dois travailler. Au cas contraire, je ne pourrai pas payer les dépenses de la maison et les factures. » Dans la case en tôle qu’elle occupe, il n’y a que deux chambres avec des facilités sanitaires à l’extérieur en commun avec les autres occupants de la cour. 

Pas de repas équilibrés 

Même pour les familles de la classe moyenne, c’est la galère. « Dimounn dir ou gagn plis kas ou pli dan bien », explique Patrick T. de la capitale. « Me li pa fasil ditou. Ou nepli kapav al sipermarse ek aste seki ou ti kontan manze kouma lontan. Zordi pou enn laniverser ou fer ou plezir, lezot zour ou rantre ou swazir seki pli bomarse, seki lor promosion pou ou manze. Ou pa swazir seki ou labous ni ou vant pe rode me zis seki ou pou kapav peye », confie-t-il. 

Diri sek, dipin, biberon delo… C’est ce que des mamans donnent à leurs enfants pour les calmer. « Li pa enn laont pou nou. Nou fer seki nou kapav », dit Annie de Rose-Hill. « Me si nou dir sa an piblik dimounn pou ziz nou pou kritik nou. CDU pou vinn ras nou zanfan. Ou krwar nou anvi fer nou zanfan manz zis sa mem. E si mo al kokin pou fer zot manze, lerla kisanla pou al get ban zanfan… » lâche-t-elle.

Plusieurs autres mères, certaines célibataires, témoignent aussi de leurs difficultés. Une mère de famille a demandé à la Child Development Unit de prendre en charge ses deux enfants à cause de ses conditions de vie et son incapacité de les nourrir. Combien d’autres cas similaires existe-t-il et quand ces cris de détresse seront-ils réellement entendus ? 

Kevin : «Ou pa kone ki sa fer mwa kan mo zanfan plore»

Il travaille comme jardinier. Père de deux enfants, Kevin explique qu’il n’arrive pas à joindre les deux bouts car son épouse ne travaille pas, étant malade. « Ou al rod pansion zot dir ki pa pou kapav donn li. Li gagn zis enn ed sosial. Eski ou finn deza poz ou la kestion abe kouma enn dimounn li fer pou li zis manze mem ek sa Rs 1 700 la ? » 

Kevin fait aussi des petits boulots de nettoyage. « Zordi dimounn ki donn ou travay mem pe dir ou fer enn pri akoz li dan bez. Mwa mo pena nanye mwa, mo bizin aksepte. » Il sait qu’il n’est pas le seul dans cette situation et essaie de rester positif. « Parfwa kan nou dan enn travay, dimounn-la donn nou enn bout dipin, mo dir ou enn mari soulazman sa. Parski mwa mo kit mo lakaz, mo pa mem amen manze. Ki pou amene ? Pena. Mo manze kan mo retourne. Sa kas ki mo gagne-la mem ki pou servi pou aste enn kitsoz. »

Cette situation a des répercussions sur sa vie de famille. « Mo enn zom e mo pa pe kapav nouri mo fami. Ou krwar enn laglwar sa. Ou kone ki sa fer mwa kan mo zanfan plore, dir ‘pa mo faim’. Ou kone ki sa fer dan mo latet, a ki pwin mo santi mo enn initil, ki akoz mwa, akoz mo pann al lekol mo pa konn lir, ekrir, mo pena enn travay stab, ki zordi mo zanfan pe pas mizer. Ena fwa mo pa mem anvi rant lakaz, pa parski mo pa kontan zot, pa parski mo anvi al ayer, zis parski seki mo trouve devan mo lizie kas mo leker… »

La faim et ses conséquences désastreuses 

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Lavanya Pather, nutritionniste.

Lavanya Pather, nutritionniste, explique que l’alimentation est la clé pour permettre à un enfant comme un adulte de mener ses activités du quotidien. Chez les enfants, une bonne alimentation est nécessaire pour bien grandir, pour une bonne croissance et aussi pour le bon développement du cerveau. Ceux qui ne mangent pas à leur faim ne peuvent pas se concentrer en classe. 

Trois repas par jour sont nécessaires. « Et il faut manger équilibré au quotidien. C’est important pour son système immunitaire, pour éviter les infections et certaines maladies. Bien manger aide au développement du cerveau. La malnutrition peut causer des déficiences. »

Concernant les adultes, elle affirme que cela peut affecter la concentration et la mémoire mais aussi la vie de famille. « Ils ont tendance à être plus stressés, à manquer de sommeil, à être irrités et évidemment cela affecte non seulement le physique mais aussi la santé mentale. Ils courent des risques de problèmes respiratoires. » 


Questions à…Magali Deliot, Planète Kids : «Certains enfants ne vont pas à l’école car ils n’ont pas à manger»

magaliQuel constat faites-vous en ce moment sur le terrain ? Les gens arrivent-ils à manger à leur faim ?
La vie est de plus en plus chère et c’est un fait, les gens ont de plus en plus de mal à se nourrir. Notre équipe a été contactée car des enfants n’allaient pas à l’école parce qu’ils n’avaient pas de quoi manger. Même si dans certaines familles le papa et la maman travaillent, les salaires ne suffisent plus. Les gens ne peuvent plus acheter de quoi manger à leur faim. Même les œufs sont aujourd’hui hors de prix. 

Nous sommes en pleine crise sociale. La pauvreté s’accentue. L’avenir pour la classe moyenne est également très sombre. Beaucoup de gens se plaignent de la cherté de la vie. 

De l’autre côté, nous voyons aussi que les centres commerciaux ne désemplissent pas… 
Beaucoup de gens ne vont plus au resto comme avant. Aller dans un centre commercial ne veut pas dire dépenser. Les gens y vont pour se promener et, dans les supermarchés, pour comparer les prix avant d’acheter. 

Quid de la gestion du budget ? 
Effectivement, les gens se retrouvent vite endettés car nous vivons dans un système capitaliste. Les gens n’ont toujours pas compris que la situation va empirer et que nous sommes déjà dans une crise alimentaire qui va s’amplifier. Il faut bien réfléchir avant d’acheter à crédit. La vie avant le Covid-19 ne reviendra pas. Nous devons nous préparer à une détérioration. 

Et que faudrait-il faire pour empêcher cette détérioration ? 
Ce qui se passe chez nous se passe aussi dans le monde. Et les pays producteurs de blé, de riz etc. vont certainement bloquer les exportations et donner priorité aux gens de leur pays. Ça a déjà commencé en Inde. Que ferons-nous quand cela arrivera ? 

Les gens doivent donc commencer à cultiver des fruits et des légumes, à nourrir les animaux car cela ne va pas s’arranger de sitôt. Au lieu de bétonner partout, on devrait se tourner vers l’agriculture. Nous devrons produire chez nous. Le capitalisme est un échec mais beaucoup persistent à croire qu’il faut continuer dans le même système. Et le monde est là où il en est aujourd’hui. 

Ces mesures du gouvernement 

Plusieurs aides sont proposées par les autorités. Aide sociale, « crèches vouchers », allocations de subsistance entre autres. La dernière en date est l’allocation de Rs 1 000 offerte à tous les salariés qui touchent un revenu brut de moins de Rs 50 000. 

Si pour certains, ces Rs 1 000 ne se refusent pas, n’empêche que cela ne suffit certainement pas. La réalité du terrain le démontre, comme l’explique l’imaan Arshad Joomun de l’association M-kids. 

Il faut un système de ‘vouchers’ avec la collaboration des supermarchés et régionaliser le système»

« L’initiative est bonne mais avec la flambée des prix, c’est difficile pour les familles vulnérables. Bann ki travay gramatin pou manz tanto, ainsi que pour toutes ces familles qui doivent s’endetter, prendre des emprunts pour joindre les deux bouts. Cela ne va pas changer leur vie. Surtout que certaines personnes ne recevront pas cet argent et ce sont souvent des personnes qui en ont le plus besoin. »

L’imaan Arshad Joomun propose que le gouvernement introduise de nouvelles mesures. « Il faut un système de ‘vouchers’ avec la collaboration des supermarchés et régionaliser le système. C’est un outil que nous utilisons déjà à M-kids, à Maurice comme à Rodrigues. Comme le gouvernement a plus de facilités, c’est quelque chose qu’ils peuvent faire sans aucune difficulté. Lorsque nous voyons l’aide de la NEF, nous constatons que cela ne suffit pas du tout. Il faut donc agir. » 

Ces chiffres qui cachent la misère 

Selon le dernier rapport datant de 2017, l’île Maurice compte environ 131 000 personnes vivant dans la pauvreté. Or cela ne reflète en aucun cas la réalité à Maurice. « Le registre social doit être constamment revu et il est important de ne pas se fier uniquement aux chiffres de ce registre car quand nous parlons de pauvreté alimentaire, nous parlons de personnes qui se cachent aussi chez elles quand elles ont faim et ne viendront jamais de l’avant pour l’avouer », expliquent les travailleurs sociaux de l’association Ed zot. 

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