La toile s’enflamme depuis plus d’une semaine, suivant la sortie du premier teaser de la Petite Sirène, nouvelle adaptation de Walt Disney. Raison : Ariel est noire. Qu’est-ce qui explique ces réactions, extrêmes pour certaines ? Tour d’horizon.
Le hashtag #NotMyAriel domine les réseaux sociaux. Et pour cause, Ariel la Petite Sirène de la nouvelle adaptation en live action de Disney, prévue pour mai 2023, est… noire. Ce personnage est interprété par la chanteuse et actrice Halle Bailey. Sacrilège pour les puristes ! Devant le déferlement de réactions épidermiques, de commentaires haineux, voire tout bonnement racistes, Twitter notamment n’a eu d’autre choix que de bannir des internautes. Pourquoi une Ariel noire gêne-t-elle autant ? Tempête dans un verre d’eau ?
« Ce genre de réactions peut effectivement faire sourire devant la façon dont l’adaptation de la Petite Sirène est mise en avant comme un sujet d’actualité. Or la question est pertinente », fait comprendre l’anthropologue Jonathan Ravat.
Comment ? « Cela interroge nos propres représentations et nos images mentales qui sont elles-mêmes issues de la transmission de notre passé, de nos traditions, de notre héritage, de nos milieux culturel et religieux », répond-il.
La culture liée à la cinématographie, aux légendes et aux histoires joue un rôle important dans l’explication de ces réactions, selon lui. « Dans notre imaginaire collectif, conscient ou inconscient, on a tendance à imaginer certains héros ou héroïnes avec la peau blanche », indique Jonathan Ravat.
Cela interroge nos propres représentations et nos images mentales, issues de la transmission de notre passé, de nos traditions, de notre héritage»
L’explication se trouve dans l’histoire du monde, marquée par certains régimes colonialistes et esclavagistes, qui fait que le blanc est symbole du pur, du bon, du bien et du riche.
« À la notion du blanc, on va associer la pureté, l’immaculé, l’innocence. Le héros sera donc auréolé de la blancheur. Dans le même souffle, l’antithèse, le noir, est perçue comme une représentation de l’obscur. Par exemple, on va parler de misère noire, ou en qualifiant quelqu’un de méchant, ayant un fond noir. »
Par conséquent, poursuit Jonathan Ravat, ce genre de représentation, qui a primé dans notre société et à travers l’histoire, nous pose aujourd’hui problème. Il l’attribue à notre héritage et à un manque de questionnement. « On n’a pas été accompagné et outillé pour remettre en question ce genre de transmission. Tant et si bien que cela coule de source que nos héros sont blancs, influencé par le fait que les acteurs sont majoritairement blancs. À titre d’exemple, Jésus Christ a été pareillement présenté comme étant blanc, aux yeux bleus et aux cheveux blonds alors que vraisemblablement, il serait un peu plus basané », dit-il.
Commentant la nouvelle adaptation de la Petite Sirène incarnée par une actrice noire, il estime que cela prouve que tout est une question de mutation. « On peut envisager des changements dans nos représentations, nos mœurs, nos habitudes et nos points d’ancrage culturels. Rien n’est figé, il y a encore de la marge pour du changement et c’est porteur d’espérance. »
Anoucheka Gangabissoon, auteure «Une nouvelle Ariel appelle à la tolérance»
Devant le brouhaha autour de cette nouvelle adaptation de « la Petite Sirène » de Disney, quel est votre avis, en tant qu’écrivaine, sur la revisite des ouvrages classiques de cette envergure ?
Un auteur est libre de procéder à la réécriture d’un conte de fées comme il l’entend. La réécriture implique une restructuration des limites de l’intrigue originale, des décors et même de la fin. Tout peut être modifié à mon avis.
Bien sûr, cela concerne également les personnages. Si l’auteur souhaite donner de nouveaux attributs à un personnage, il est libre de le faire, à condition qu’il n’y ait pas de droits d’auteur.
La race « humaine » est diverse et sa beauté réside dans la différence. Il ne devrait donc pas y avoir de problème à choisir un profil différent de héros ou d’héroïne pour une histoire. Être humain implique que nous vivions tous les mêmes histoires, que nous traversions les mêmes expériences, les mêmes luttes, mais que nous habitions des corps différents, que nous portions des noms différents.
Les critiques contre la Petite Sirène noire sont-elles révélatrices d’une certaine intolérance ?
Le monde entier s’engage à être tolérant les uns envers les autres. Mais dès que quelqu’un fait un pas en avant, tout le monde a tendance à réagir. Le fait qu’Ariel, le personnage principal, a toujours été dépeinte comme ayant des cheveux roux, des yeux verts et une couleur de peau claire rend difficile son acceptation dans une version différente.
Une nouvelle Ariel donne une dimension exotique et appelle à l’acceptation et à la tolérance. Nous ne devons pas oublier notre vérité, qui fait de nous des esclaves de notre destin, d’une force supérieure face à laquelle nous n’avons pas notre mot à dire. Tant que nous vivons, nous devons nous tenir la main comme des frères et des sœurs.
Le monde est un immense village qui est aujourd’hui superbement interconnecté mais qui ne l’était pas, il y a bien longtemps, lorsque la Petite Sirène originale a été écrite. Un nouveau concept rencontre inévitablement de la résistance, mais avec le temps, il est accepté et même loué.
Quand le ridicule ne tue pas…
La Petite Sirène noire ne cesse de susciter de vives réactions chez des internautes, tournant parfois même au ridicule. Aux États-Unis, par exemple, un bloggeur a estimé qu’une petite sirène noire ne serait pas « scientifiquement plausible » car l’eau protégerait sa peau et l’empêcherait de produire de la mélanine…
Un autre internaute s’est, lui, donné la peine de faire une vidéo sur TikTok pour prouver que le personnage fictif Ariel ne pouvait pas être noire puisque les rayons UV ne traversaient pas l’eau à plus de 30 cm de profondeur !
Avis de cinéphiles
Hashiya : « La Petite Sirène ne peut qu’être blanche »
Hashiya, 30 ans, est catégorique. Une Petite Sirène noire relève de l’hérésie. « Cela n’a rien à voir avec la couleur de peau », se défend toutefois la Portlouisienne. Elle prône le respect de l’œuvre originale, celle-ci librement adaptée du conte de fées éponyme de Hans Christian Andersen.
« L’apparition des premières images de la nouvelle Petite Sirène de Disney ne m’a pas choquée. Mais c’est une adaptation dénaturée de l’œuvre originale », affirme la jeune femme. Elle maintient que l’image de cette princesse emblématique du monde Disney est irremplaçable. « La Petite Sirène que j’imagine et qui me ramène à mon enfance ne peut qu’être blanche. Pour moi, changer le personnage d’Ariel équivaut à retirer la séquence des chaussures de Cendrillon dans le conte original ou changer la Bête dans la ‘Belle et la Bête’ », fait valoir cette puriste.
Sydney Mungly : « Cela ne change rien au récit »
Il ne comprend pas le ramdam autour de la couleur de peau de la Petite Sirène. Car, souligne Sydney Mungly, 25 ans, cela ne change rien au récit. « La Petite Sirène est à l’origine une œuvre fictive. Ainsi, le fait d’utiliser des personnages, peu importe leur couleur de peau, ne devrait aucunement chambouler l’histoire », estime l’habitant de Roches-Brunes.
Du reste, poursuit-il, ceux qui n’aiment pas qu’Ariel soit noire peuvent toujours se rabattre sur l’œuvre originale. « Halle Bailey est une talentueuse artiste et en fonction de ce que laisse entrevoir le teaser, elle incarne le personnage avec brio. »
Lui plaide pour une meilleure représentation des minorités à l’écran et notamment au cinéma. « Quand j’étais plus jeune, j’aurais voulu voir le personnage principal d’un film Disney avec une couleur de peau similaire à la mienne. » Pour Sydney Mungly, « il est important que tout le monde puisse se sentir représenté et se dire que ‘mon personnage/héros/ princesse/prince préféré(e) est comme moi’, surtout à un jeune âge ».
Mervin Sumboo : « Cela va inspirer les enfants de couleur »
De la discrimination et du racisme. C’est ainsi que Mervin Sumboo, 28 ans, qualifie les critiques sur l’attribution du rôle d’Ariel à une actrice de couleur. « Ces personnes n’ont pas d’arguments valables pour justifier leur opposition à ce casting. Tous les commentaires négatifs ne servent qu’à dissimuler une idée discriminatoire et le racisme qu’elles entretiennent à l’égard des personnes noires », lâche le Quatrebornais.
Le jeune homme accueille favorablement cet univers « plus inclusif » de Disney. « Je trouve formidable que Disney commence à diversifier ses personnages. C’est important d’avoir de la diversité, surtout avec les princesses Disney. Car plus de diversité signifie qu’il y aura plus d’enfants qui sentiront qu’ils peuvent admirer des princes et princesses à leur image. » D’autant que ces personnages fictifs peuvent leur servir de modèle et de source d’inspiration, fait ressortir Mervin Sumboo.
« Nous pouvons tous mieux nous identifier à des personnes qui nous ressemblent. Ce film va inspirer et renforcer la confiance des enfants de couleur dans le monde entier », affirme-il. Et d’ajouter qu’il souhaite de tout cœur voir Disney être vent debout contre les critiques afin d’ouvrir la voie à la diversité raciale jusqu’à ce que cela devienne la norme pour tous les films d’animation.
Brin d’histoire
C’est en 1837, à Copenhague, que Hans Christian Andersen, publie le conte « La Petite Sirène » (« Den Lille Havfrue » en danois), aussi appelé « La Petite Ondine ». 152 ans plus tard, soit en 1989, Walt Disney sort le film d’animation librement adapté du conte. Ariel est une adolescente blanche, rousse, a les yeux verts. Fille du roi Triton, princesse du royame d’Atlantica, elle rêve de découvrir la Terre, notamment. Elle tombe amoureuse du prince Eric, qu’elle sauve de la noyade et conclut un pacte avec la sorcière des mers Ursula pour prendre forme humaine pendant trois jours, en échange de sa voix et de sa queue de sirène. Seul un baiser d’amour du prince lui permettra de garder ses jambes.
Si dans le film d’animation de Walt Disney, Ariel a sa fin heureuse, ce n’est pas le cas dans le contre d’Andersen. À la fin du livre, elle se donne la mort après que le prince décide d’épouser une autre femme. Ce qui lui permet d’échapper au sort que lui réservait la sorcière des mers, soit d’être transformée en écume de mer.
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