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Nicolas Von Mally, leader du Mouvement Rodriguais : «L’autonomie de Rodrigues a été un succès mitigé»

Rodrigues célèbre, ce dimanche, le 23e anniversaire de son autonomie régionale. Le leader du Mouvement Rodriguais, livre, dans un entretien exclusif, son regard sur le chemin parcouru et ses aspirations pour l’avenir politique et économique de l’île. 

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Rodrigues célèbre, ce dimanche, ses 23 ans d’autonomie. Où en est l’île en termes de progrès ?
Pendant ces 23 ans, il y a eu quelques avancées, mais elles restent limitées. Des progrès ont été réalisés en matière d’infrastructures, de routes, de pistes d’accès facilitant la desserte des villages, ainsi que sur les plans social et éducatif : bannissement des sacs plastiques, fermeture de la pêche à l’ourite, entre autres.

Mais à titre personnel, je considère que ces progrès demeurent modestes. Après cette révolution politique marquée par l’accession de Rodrigues au statut d’île autonome, la suite logique aurait dû être une révolution économique. Or, en matière de développement économique, l’île reste en retard. Sur ce plan, nous avons échoué.

Il y a eu d’importants retards en matière d’infrastructures, notamment portuaire et aéroportuaire…
Les différents dirigeants n’ont pas considéré ces deux projets comme prioritaires. À Rodrigues, malheureusement, les adversaires politiques préfèrent détruire une idée plutôt que d’en débattre. 

Je me suis battu au sein du MR pour qu’on ait un aéroport à Rodrigues, mais certains ont préféré le saboter. À force de tergiversations, les projets du port et de l’aéroport n’ont connu aucune avancée. C’est pareil pour ma proposition de connecter Rodrigues via le câble optique : à l’époque, on m’avait bouffonné.

L’accession de Rodrigues au statut d’île autonome était une révolution politique. L’étape suivante devrait logiquement être une révolution économique»

L’eau reste l’un des principaux problèmes auxquels Rodrigues est confrontée depuis de nombreuses années. Pensez-vous que le projet de dessalement de l’eau de mer soit une réussite ?
Cela aurait dû être un dernier recours, lorsque le système de captage et de distribution est saturé ou épuisé. Pour moi, ce projet n’est pas une réussite, car la fourniture est irrégulière. Actuellement, à Rodrigues, l’eau coule du robinet parfois après trois, voire six mois. Et parfois, les habitants se plaignent de la qualité de l’eau distribuée.

Je me demande s’il y a un suivi adéquat concernant le dessalement de l’eau de mer. Manque-t-il de techniciens qualifiés ? Je crois qu’il serait préférable de construire des barrages ; d’ailleurs, il existe un rapport de Lux Consult que je considère comme une véritable référence sur la question de l’eau, où des sites ont été identifiés pour la construction de barrages et de réservoirs. 

Plusieurs solutions existent pour résoudre le problème de l’eau à Rodrigues. La moindre des choses serait de fournir un bassin à chaque Rodriguais. On peut aussi pomper de l’eau souterraine en cas de pénurie à la surface. Pendant les périodes de grande sécheresse, le dessalement aurait alors été un recours ponctuel. 

Il ne manque pas d’eau à Rodrigues, mais nos dirigeants manquent de vision.

On entend souvent parler de l’indépendance économique de Rodrigues. Mais avec peu de ressources, est-ce réalisable ?
Ce n’est pas parce que certains ne parviennent pas à exploiter les ressources de Rodrigues de manière optimale que cela signifie qu’il n’y a plus de ressources. Il n’y a pas si longtemps, Rodrigues était le grenier de Maurice. À cette époque, l’île comptait de nombreuses fermes et était autosuffisante. On produisait même du beurre et du lait caillé, par exemple.

Maintenant, si nous parvenons à capter et gérer correctement nos ressources en eau, nous pourrions lancer une véritable révolution verte à Rodrigues. Il suffit de bien encadrer les planteurs et de les soutenir pour produire fruits et légumes, et nous pourrions fournir à nouveau Maurice. 

Rodrigues a un potentiel énorme : on peut produire de nombreuses denrées, comme le sel. Ici, on importe du sel de Maurice, alors que nous sommes entourés par la mer. Notre territoire couvre 2,3 millions de kilomètres carrés, mais seule une infime partie correspond à la terre ferme. Notre économie aurait dû tirer davantage parti de la mer. Malheureusement, nous traînons des pieds en matière d’économie bleue. Rodrigues peut encore jouer un rôle significatif dans ce secteur. 

Certains disent que Rodrigues a obtenu son autonomie, mais pourquoi dépend-elle toujours financièrement de Maurice ?
Parce que l’argent décaissé pour le développement de l’île n’a pas été investi dans les secteurs prioritaires, comme l’eau, l’aéroport, le port, et d’autres secteurs productifs. Nous sommes dans une République, et nous devons concevoir Maurice comme un État archipel comprenant Maurice, Rodrigues, Agaléga et les Chagos. Il ne faut pas se concentrer uniquement sur Maurice. Il faut donner à chaque île la possibilité de contribuer à l’ensemble. Notre destin est lié et nous devons unir nos efforts pour le progrès commun de toute la République, plutôt que de nous diviser.

Par exemple, notre port pourrait devenir un port d’appoint pour Maurice, de même que le port Saint James à Agaléga. Il en va de même pour l’aéroport de Plaine-Corail.

Roussety et Grandcourt ont davantage œuvré pour leurs propres intérêts que pour ceux de Rodrigues»

Parlons politique. Vous avez pris position sur les réseaux sociaux, notamment concernant les récentes tensions politiques dans l’île, mais aussi sur certains propos de Paul Bérenger…
Malheureusement, ce sont des choses qui n’auraient pas dû se produire. Pourquoi se sont-elles produites ? Disons-le carrément : certains politiciens pensent que diriger un pays, c’est un « badinaz ». Et que leur ego est plus important que tout. Surtout si le politicien au pouvoir n’a aucun sens des priorités.

S’il avait une vision claire de la direction à donner à Rodrigues et de ses priorités, il n’aurait pas perdu de temps avec de telles peccadilles. Il y a des politiciens qui semblent créer des problèmes avec les autres uniquement pour exister. C’est triste et pathétique, et c’est Rodrigues qui paie les pots cassés.

Pensez-vous que l’Assemblée régionale devrait d’être dissoute, comme le proposait Paul Bérenger ?
Pourquoi Bérenger a-t-il dit cela ? Il a vu qu’il y a une guerre au sein de l’alliance, disons-le franchement. Vous avez un chef commissaire et, que dire de son adjoint, qui ne rate jamais une occasion de critiquer son chef ? Ce dernier propose des règlements utiles pour Rodrigues, par exemple pour le ramassage des ordures. Que fait son adjoint ? Il crée un problème et quitte l’hémicycle.
Parfois même, quand le Chairperson tente de le remettre à l’ordre, il le menace. Quand il y a ce genre de désordre, il n’y a aucune cohésion au sein de l’alliance. 

Maintenant, quand il faut dissoudre, tout le monde se met d’accord, signe et prétend que tout va bien. C’est enfantin, « enn badinaz » ! Cette tension, certains la créent uniquement pour masquer leur incompétence.

L’alliance au pouvoir a une majorité d’un seul membre. La faute est imputée à la Rodrigues Regional Assembly Act (RRA), et plus particulièrement au système proportionnel. Doit-il être revu ?
La RRA Act a été amendée par un comité parlementaire dirigé par Xavier-Luc Duval, faisant passer le nombre d’élus à l’Assemblée régionale de 18 à 17. D’après cet amendement, tout parti remportant la majorité au suffrage direct devrait obtenir une majorité nette de trois membres une fois les sièges proportionnels attribués. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé en 2022.

Le système proportionnel produit des résultats conformes à la volonté de l’électorat. Je ne crois pas que le système soit à blâmer ; ce sont les politiciens qui doivent savoir naviguer avec lui. Mais si vous avez des politiciens irresponsables qui voient toutes sortes de « lipou-poul », il est normal que n’importe quel système mis en place ne fonctionne pas.

Johnson Roussety, le chef commissaire adjoint, et Franceau Grandcourt, le chef commissaire, sont deux anciens du Mouvement Rodriguais. Ont-ils été à la hauteur ?
(Rires) Malheureusement, la réponse est clairement non. Ils ont davantage œuvré pour leurs propres intérêts que pour ceux de Rodrigues. Nous ne constatons aucun secteur économique réellement développé depuis leur arrivée au pouvoir. Cela fait plus de trois ans qu’ils dirigent l’île, et les secteurs prioritaires ne figurent toujours pas parmi leurs priorités.

Je vous donne un exemple : le secteur de la santé traverse actuellement une crise sans précédent, avec un nombre alarmant d’équipements en panne. Nous avons un CT-Scan hors service depuis des années, des appareils de dialyse défectueux, et des patients laissés dans l’incertitude. Si un gouvernement à la tête d’un pays ne prend pas en compte la santé de sa population, s’il ne fait pas de ce domaine une priorité, qu’est-ce qui l’est alors ? Avant de construire des routes et des track-roads, il faut d’abord veiller à ce que les hôpitaux fonctionnent correctement.

Par contre, que voit-on ? L’achat de véhicules électriques pour leur confort personnel, la construction d’un front de mer qui n’était même pas prévue au budget, pour des raisons évidentes, car certaines personnes possèdent un restaurant juste en face. On ne peut pas utiliser l’argent public pour servir ses propres intérêts. 

Avez-vous toujours cette envie de retourner à la politique active ?
L’envie de servir le pays est toujours là. Mais tout dépend de ce que souhaite le peuple. S’il a besoin de moi, je suis là. S’il préfère que je m’occupe de mon jardin, cela me va très bien. Ma paix d’esprit compte davantage que le pouvoir ou la richesse.

J’ai toujours fait des propositions sur la direction que Rodrigues devrait prendre. Au MR, nous avons toujours prôné le débat d’idées, et non une politique faite d’insultes et d’humiliations. D’ailleurs, on pourra vous le dire : le parti qui a présenté le programme économique le plus solide pour Rodrigues, c’est le MR. Et aujourd’hui, beaucoup le reconnaissent.

Vingt-trois ans après l’autonomie, beaucoup de jeunes continuent de quitter Rodrigues. Que peut-on faire pour les retenir ?
Il faut développer des projets concrets et exploiter nos ressources de façon optimale. Nous avons des jeunes formés qui pourraient contribuer au secteur de l’agriculture, par exemple. Même pour l’aquaculture, nous avons des jeunes spécialistes. 

J’avais proposé de créer une université tournée vers la mer. Malheureusement, certains ont saboté ce projet. Cela aurait pu retenir les jeunes sur l’île. Avec le développement de l’économie bleue, beaucoup de jeunes auraient trouvé du travail. Il en va de même pour l’agriculture. 

Il faut offrir aux jeunes des facilités et un encadrement solide pour qu’ils restent. C’est un parcours du combattant pour un jeune d’obtenir un lopin de terre pour cultiver, alors que 90 % des terres à Rodrigues appartiennent à l’État.

Après 23 ans, peut-on dire que l’autonomie est un succès, Nicolas Von Mally ?
C’est un succès mitigé. En 23 ans, nous avons manqué de nombreuses opportunités. Mais il n’est pas trop tard pour nous ressaisir et impulser ce développement économique. L’accession de Rodrigues au statut d’île autonome était une révolution politique. L’étape suivante devrait logiquement être une révolution économique. Si nous mettons tous nos efforts dans un vrai débat d’idées, nous pouvons y parvenir. 

Mon vœu à l’occasion du 23e anniversaire de l’autonomie est de pouvoir unir le peuple de Rodrigues autour d’un projet et d’une vision économique pragmatique pour l’île et la République, plutôt que de rester divisés à cause de peccadilles, de fanatisme dépassé et d’ego qui nous aveuglent et freinent notre progrès.

 

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