Interview

Natacha Moorooven - spécialiste des relations internationales : «Rien ne se passe sur le continent sans l’implication de la Chine»

Natacha Moorooven

La Mauricienne Natacha Moorooven, Assistant Professor en relations internationales à l’Université de Yongin, en Corée du Sud, vit sur la péninsule depuis plus de dix ans. Elle livre son analyse des implications du récent sommet entre Donald Trump et Kim Jong-un, président des États-Unis et de la Corée du Nord respectivement, à Singapour.

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Comment est-ce que le récent sommet entre Donald Trump et Kim Jong-un a été perçu par la population de la Corée du Sud ?
Une dénucléarisation de la péninsule coréenne est l’idéal que vise le gouvernement de la Corée du Sud depuis l’armistice de 1953. Mais la question la plus sage est la suivante : est-ce que la péninsule serait un endroit plus sûr et est-ce que la dénucléarisation n’aurait pas de coût ? La réponse est non.

Avant le sommet, on a noté des tensions entre les deux leaders. Comment, d’après vous, ces tensions ont pu être résolues pour aboutir au sommet ?
La vérité est que chaque citoyen coréen que j’ai approché sur le sujet - j’en parle beaucoup avec les étudiants du campus -  a un avis tranché sur le président des États-Unis. La plupart des Sud-Coréens croient qu’il est un leader irrationnel aux capacités décisionnelles absurdes. Néanmoins, le président coréen bénéficie encore du soutien de son Cabinet et de ses citoyens. Après la destitution de son prédécesseur en 2016, le pays était à la recherche d’un sauveur et Moon Jae-in correspondait à ce profil. Je suis persuadée que le président Moon a été la pièce maîtresse du puzzle qui a permis le sommet. La rencontre de Moon et de Kim Jong-un, en avril 2018, a été déterminante. Les Coréens croyaient-ils au succès du sommet ? Absolument pas ! Et, je suppose qu’on avait raison. Avez-vous suivi la nouvelle concernant l’expansion du centre de recherches nucléaire de la Corée
du Nord ?

70 % des Sud-Coréens sont contre une réunification de la peninsula»

Quel rôle a joué la Chine dans l’organisation de ce sommet ?
Permettez-moi d’abord de dire que la Chine jouit d’une hégémonie en Asie du Nord-Est et du Sud-Est. Rien ne se passe sur ce continent sans l’implication de la Chine. Les présidents américain et coréen en sont bien conscients. Selon les médias coréens, Kim Jong-un a rendu visite au président Xi à deux reprises en secret. Une première fois en mars et une deuxième en mai, cette année. Il a effectué une troisième visite à Pékin une semaine après le sommet de Singapour en juin. C’est très inhabituel que Kim Jong-un de quitter la Corée du Nord aussi fréquemment dans un court laps de temps. Plusieurs experts de l’Asie de l’Est croient savoir que ce sont ces visites qui ont déclenché la réaction de Trump. Il ne pouvait pas laisser la Chine devenir un meilleur allié pour la Corée du Nord. Le fait est que la Chine aide le pays à travers le charbon, la nourriture et les matériaux requis pour les projets nucléaires. Dans le contexte de la guerre commerciale avec la Chine, la rencontre avec Kim Jong-un était une manière pour Trump de dire à la Chine : « Je peux jouer dans votre arrière-cour ! »

N’y a-t-il rien de positif à tirer du sommet ?
J’ai étudié les relations entre les différentes parties et je vis en Corée du Sud depuis plus de dix ans. Je sais que les Coréens ne croient pas que ce qui a été discuté durant le sommet sera appliqué. N’oublions pas que la politique du Rayon de soleil de 1998 par le président Kim Dae-jung, qui voulait assouplir les relations avec la Corée du Sud, n’a rien donné. Le président Moon est également un grand défenseur de la politique du Rayon de soleil et on espère encore qu’à un moment donné, cela apportera du changement. La puissance douce a tendance à l’emporter là où la force dure a échoué. Mais il serait ridicule de croire que la Corée du Nord abandonnerait son arsenal nucléaire qui constitue son seul argument.

La Corée du Nord semble néanmoins avoir assoupli son approche. Quelles perspectives cela offre pour la région ?
Le monde devrait se sentir plus en sécurité. Peut-être que plus d’investisseurs seraient venus dans cette région si la Corée du Nord n’avait pas été une menace nucléaire. Mais 70 % des Sud-Coréens sont contre une réunification de la péninsule à cause du fardeau économique que cela représenterait. Pékin poursuit son projet d’infrastructures ambitieux de la Ceinture et la Route.

Vous attendez-vous à ce que Pyongyang fasse partie des plans sur les moyen et long termes ?
Même si Pékin est un allié de longue date de Pyongyang et continuera de l’être dans les années à venir, en ce qui concerne l’ambitieux projet de la Ceinture et la Route, sur le court terme, cela n’arrivera définitivement pas. Je ne crois pas que la Corée du Nord soit prête pour ce type d’engagement. Sur le long terme peut-être, mais je continue de croire qu’il leur manque les ressources nécessaires pour cela. Bien sûr, le fait que Kim Jong-un soit dans les bonnes grâces du président Xi est un facteur à ne pas sous-estimer.

 

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