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Mode de nomination : à quand un nouveau système pour dépolitiser le processus ?

Shamila Sonah-Ori Shamila Sonah-Ori a remis sur le tapis les nominations politiques à des postes essentiels du pays.

La nomination proposée de Shamila Sonah-Ori aux Commissions électorales du pays a propulsé le mode de nomination aux institutions du pays au-devant de la scène. Selon les personnes approchées par Le Défi Plus, il faut changer ce système afin de dépolitiser le processus.

La semaine a été dominée par la nomination avortée de Shamila Sonah-Ori à l'Electoral Supervisory Commission (ESC) et l’Electoral Boundaries Commission (EBC), les deux commissions électorales du pays. Le hic, c’est que Shamila Sonah-Ori, avouée de profession, est parentée à Kobita Jugnauth. La levée de boucliers de l’opposition a convaincu Shamila Sonah-Ori à se désister.

Néanmoins, cet épisode remet en cause un sujet qui fait débat depuis longtemps. Notamment, le mode de nomination à des postes constitutionnels et même à de simples postes dans les corps paraétatiques. Il faut rappeler que la méritocratie et la fin de la vieille pratique qui consiste à nommer les colleurs d’affiches à des postes importants faisaient partie du discours électoral de l’Alliance Lepep. Sir Anerood Jugnauth, alors Premier ministre, y est allé fort jusqu’à prendre l’engagement formel lors de son message à la nation le 31 décembre 2014 que les compétences primeraient sur les connexions et que le gouvernement procèderait par appel d’offres pour dénicher les CEO de ces institutions. Sauf que, dans le concret, il y en a eu très peu, notamment au niveau du ministère des Finances à l’époque.

Think tank gronde

Cette entorse à une promesse électorale a particulièrement marqué Roukaya Kasenally, chargée de cours et fondatrice du Think Tank Mauritius Society Renewal. « Ils se sont appelés Alliance Lepep, ils ont fait campagne sur un mandat clean et ils disaient vouloir en finir avec le népotisme de l’ancien régime, dit-elle. Je crois que c’était une grande motivation pour les électeurs, mais on a vite déchanté. » Selon elle, les nominations des proches du pouvoir à des postes-clés n’a fait que reprendre de plus belle. « La dernière nomination, celle de Sonah-Ori, a sans doute été celle qui a fait déborder le vase. »

C'est Xavier-Luc Duval qui a été le premier à contester la nomination de Shamila Sonah-Ori. L'opposition l'a suivi.

L’universitaire impute ce non-respect des promesses à la culture politique et elle estime que, pour s’en débarrasser, il faut dépolitiser le mode de nomination. Un point aussi relevé par Amédée Darga dans son 'Manifeste pour une Île Maurice où il fait mieux vivre'. Il y propose la création d’une Constitutional Appointments Commission (CAC) composée d’anciens juges et autres titulaires de fonctions constitutionnelles. La CAC, selon la formule qu’il propose, ferait des recommandations au président de la République. Pour les dépolitiser, faut-il aller vers cette formule, voire l’étendre à d’autres nominations, à travers des commissions parlementaires mixtes sur le modèle des États-Unis ?

« Il y a plusieurs formules, explique Roukaya Kasenally, et l’essentiel, c’est qu’il ne faut pas permettre l’ingérence politique. Il faut se débarrasser de cette dimension peut-être à travers le système parlementaire ? » D’après elle, les appels d’offres concernant les dirigeants des institutions gouvernementales et des corps paraétatiques devraient aller de soi.

"Ne pas etre un simple rubber stamp"

L’avocat Nilen Vencadsamy estime qu’il faut un changement de système pour redorer le blason de la démocratie mauricienne.

« Nous avons perdu beaucoup de points ces derniers temps en Afrique et il faut revenir au temps où nous étions un exemple pour les autres démocraties de la région. » Selon l’homme de loi, il y a de bons modèles ailleurs sur lesquels on peut s’inspirer pour déjouer la culture de nomination de proches de la classe politique.

« La transparence et l’indépendance sont les mots-clés, poursuit Nilen Vencadasmy, et l’idée d’un comité mixte parlementaire peut être intéressante, mais il faut surtout une vaste consultation pour trouver la formule idéale. » Il rappelle toutefois que le président de la République a aussi des responsabilités dans l’affaire et ne peut se contenter d’être un « rubber stamp » du gouvernement pour les nominations à certaines des institutions les plus importantes du pays.

Malgré le barrage de critiques, certains estiment qu’il y a eu du progrès. A l’instar de Michael Atchia de Democracy Watch. À souligner qu’il a lui-même été nommé à la présidence du Mauritius Research Council (MRC). « Il y a eu des progrès, assure-t-il, et je crois que depuis que Pravind Jugnauth a pris les rênes, il considère ‘the best man in the best place’. Je n’ai aucun lien de parenté avec les Jugnauth, mais j’ai quand même été nommé pour mes compétences au MRC. Le cas d’Ori est une exception, un point d’interrogation. »

Cependant, le président du MRC estime qu’il vaut mieux prévenir et empêcher qu’il y ait des abus à l’avenir. Il se réfère au modèle américain où les sénateurs cuisinent les futurs nominés avant qu’ils ne prennent leurs postes. « Aux États-Unis il y a un comité sénatorial qui interroge les candidats, explique-t-il. On pourrait instaurer un modèle similaire au Parlement afin, par exemple, d’interroger le futur président de la PSC. Le gouvernement peut proposer un nom pour un poste important et un comité parlementaire l’interrogera ensuite lors d’un ‘public hearing’. Cela apporterait une sécurité supplémentaire. » Trois heures sous le feu des questions de députés, diffusées en direct, permettraient d’éviter toute surprise future sur le candidat, selon Michael Atchia. Il ajoute que la transparence comprise dans la diffusion en direct serait un plus.

Shamila Sonah-Ori : Le fil d’un désistement

Lors de sa conférence de presse samedi dernier, le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, attire l’attention du pays sur l’affaire Sonah-Ori. Comme l’exige la Constitution et avant de proposer le nom de celle-ci au Président de la République par intérim, Barlen Vyapoory, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, avait consulté Xavier-Luc Duval. Celui-ci devait rappeler le parcours politique de Sonah-Ori, avouée, ses liens familiaux avec les Jugnauth et son passage à la municipalité de Quatre-Bornes en 2000-2005 sous la bannière du MSM.

C’est l’effet boule de neige. Tous les autres leaders politiques s’en mêlent et ne mâchent pas leurs commentaires. Après la démarche de Xavier-Luc Duval, qui rencontre Barlen Vyapoory à la State House mardi pour essayer de le convaincre de ne pas procéder à la nomination de Shamila Sonah-Ori, les autres leaders politiques, dont Paul Bérenger du MMM, Alan Ganoo du MP et Shakeel Mohamed du PTr font de même.

Au final, toute cette pression finit par payer. Mercredi soir, Shamila Sonah-Ori fait parvenir à Barlen Vyapoory une lettre lui faisant part de son désistement pour le poste en raison de la pression exercée. Cependant, elle y maintient qu’elle demeure éligible au poste malgré les critiques de l’opposition.

 

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