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Milieu carcéral - cigarettes de luxe : le marché noir qui défie les interdits

La découverte de 1500 cigarettes en milieu carcéral, la semaine dernière, lève le voile sur un trafic qui perdure depuis plusieurs années.

La saisie record de 1 500 cigarettes dans une cellule de la prison de Beau-Bassin, en début de semaine dernière, a braqué les projecteurs sur une économie parallèle qui semble gangréner certains établissements pénitentiaires du pays. Interdit depuis 2019, le tabac s’y vend désormais, selon une source très fiable, à un prix plus élevé que la drogue.

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Lundi 8 septembre, une simple fouille a dévoilé l’ampleur d’un trafic tentaculaire : 1 500 cigarettes, de la drogue et plusieurs téléphones portables dissimulés dans une cellule de Beau-Bassin. Tout semble indiquer que cette trouvaille lève le voile sur un trafic qui perdure depuis plusieurs années entre les murs des prisons. Depuis le 1er février 2019, rappelons-le, date de l’interdiction du tabac en prison décidée par l’ancien commissaire des prisons Vinod Appadoo, la cigarette est devenue un produit rare et convoité. Cette interdiction, justifiée à l’époque par des arguments de sécurité et de santé, a eu un effet immédiat : la création d’un marché noir. 

Une enquête d’une semaine menée par Le Défi Quotidien auprès de certains gardiens très fiables démontre qu’aujourd’hui, une cigarette se négocie à environ Rs 1 000 en semaine. Le prix de cet « or marron », fait-on comprendre, peut même grimper jusqu’à Rs 1 500 le week-end. Cette « inflation » du prix suit une logique économique simple : l’offre est réduite, la demande reste forte, et la rareté fait grimper les enchères. 
« Dan wiken ena mwins mouvman dan pei. Prizon roul parey. Li roul dapre roulman deor », explique un informateur travaillant au département General Duties de la prison centrale de Beau-Bassin. En clair, lorsque le pays tourne au ralenti, l’approvisionnement des prisons est encore plus limité, ce qui provoque une flambée immédiate des prix.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la drogue ne domine pas ce marché parallèle. « Elle circule, certes, mais elle n’intéresse qu’une partie de la population carcérale. La cigarette, elle, touche un spectre beaucoup plus large. Beaucoup de détenus ne sont pas consommateurs de drogue, mais ils fument. La cigarette reste leur seule dépendance », précise notre informateur. Résultat : le tabac devient un produit de base, et sa valeur dépasse même celle de certains stupéfiants.

Gardiens infiltrés : les « transporteurs » 

La saisie des 1 500 cigarettes a relancé une question récurrente : comment un tel stock peut-il pénétrer les murs d’une prison placée sous haute surveillance ? Les témoignages recueillis convergent : les gardiens eux-mêmes alimenteraient ce trafic.

Tout semble également indiquer que les méthodes d’introduction sont rudimentaires mais efficaces. Le tabac est dissimulé dans les semelles des chaussures ou, plus risqué, dans les parties intimes des gardiens au moment de leur prise de service. Cette complicité supposée n’a rien d’isolé. Y a-t-il deux profils de gardiens ? Autrement dit « l’officier-transporteur », qui fait entrer la marchandise et ensuite, « l’officier-sourd et muet », qui détourne le regard et permet à ses collègues de passer sans encombre ? « Ce duo, lorsqu’il est bien coordonné, peut faire entrer plusieurs centaines de cigarettes en quelques jours », précisent nos informateurs.

Mais comment expliquer un tel stock de 1 500 cigarettes dans une seule cellule ? S’agit-il d’une accumulation patiente de petites quantités introduites discrètement, ou d’un passage massif facilité par un réseau organisé ? Les interrogations ne se limitent pas aux gardiens de base. Certains craignent l’existence d’un trafic structuré à plusieurs niveaux, impliquant éventuellement des complicités dans les rangs supérieurs.
 « On ne peut pas faire entrer autant de cigarettes sans que quelqu’un de haut placé ferme les yeux. Le tabac brut est privilégié car il est plus facile à dissimuler et plus rentable. Les détenus eux-mêmes fabriquent ensuite des cigarettes artisanales. Ils sont de véritables McGyver, fabriquent des embouts à partir de matériaux récupérés et n’ont pas besoin de papier à rouler pour fumer. Un détenu qui parvient à transformer du tabac brut en cigarettes artisanales peut multiplier ses gains en les revendant au détail », insiste-t-on. Cette créativité s’explique par les prix exorbitants. 

La direction carcérale affiche officiellement une ligne dure. « Nous allons passer toutes les prisons au peigne fin. Ceux pris en flagrant délit de possession de substances illicites, cigarettes comprises, seront sanctionnés », déclare-t-on. Elle exclut toute réintroduction du tabac dans les prisons. « C’est un produit inflammable. Les prisonniers finiront tôt ou tard par incendier leurs matelas », ajoute-t-on. La direction reconnaît toutefois que des saisies de cigarettes ont lieu quotidiennement. La récente découverte à Beau-Bassin est considérée comme un « record », mais elle ne constitue pas un cas isolé. « Chaque semaine, on retrouve des cigarettes dans les cellules, mais rarement dans de telles proportions », concède-t-on.

L’abolition de la cigarette en 2019 : une mesure issue du rapport PLSL

Depuis le 1er février 2019, les prisons mauriciennes ont officiellement interdit la cigarette. Une décision prise par l’administration pénitentiaire de l’époque, alors dirigée par l’ancien commissaire Vinod Appadoo. Cette mesure figure parmi les recommandations phares du rapport de la commission d’enquête sur la drogue, présidée par l’ex-juge Paul Lam Shang Leen (PLSL). Objectif affiché : limiter les trafics et réduire la dépendance au tabac derrière les barreaux, où la cigarette a longtemps fait office de monnaie parallèle.

Le détenu à l’hôpital psychiatrique

Le cas du détenu concerné soulève aussi des questions. Après la fouille, selon la direction carcérale, il a déclaré être souffrant et a été transféré à l’hôpital psychiatrique de Beau-Bassin. « C’est une ruse. Le prisonnier sera toutefois interrogé et placé sous rapport », affirme la direction carcérale.

Des cigarettes dans un sachet de biscuits

La dernière trouvaille en date remonte au jeudi 11 septembre. Une centaine de cigarettes, ainsi que des téléphones portables, ont été retrouvés dans un sachet de biscuits à la prison de Beau-Bassin. Des membres du personnel sont fortement soupçonnés d’avoir introduit ces objets prohibés.

 

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