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Melany Nagen, vice-présidente du National Human Rights Council : «Le changement durable passe par une transformation des mentalités» 

Les lois contre la violence domestique existent, mais les cas continuent. Pourquoi ? 
Les lois contre la violence domestique existent, certes, mais elles ne suffisent pas pour enrayer un phénomène aussi profondément enraciné dans les mentalités et les rapports de pouvoir qui structurent encore notre société. La violence domestique n’est pas seulement une question juridique ; elle est aussi une question de culture, de silence et de déséquilibre social. 

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Malgré le Protection from Domestic Violence Act et les réformes successives, de nombreux obstacles persistent. La violence au sein des foyers reste trop souvent banalisée, perçue comme une affaire « privée », entretenant un climat d’impunité. La peur, la dépendance économique et émotionnelle retiennent encore beaucoup de femmes, les empêchant de dénoncer ou de maintenir leurs plaintes. 

Les dispositifs d’accompagnement, hébergement d’urgence, soutien psychologique ou suivi juridique demeurent limités et parfois inadaptés aux réalités de terrain. Le manque de coordination entre la police, les services sociaux et les tribunaux accentue les failles d’un système encore trop fragmenté. 

La loi fixe le cadre, mais le changement durable passe par une transformation des mentalités et des structures. Il faut éduquer dès le plus jeune âge au respect et à l’égalité, former les acteurs publics à une prise en charge sensible au genre et renforcer l’autonomie économique et psychologique des femmes. 

La lutte contre la violence domestique ne se résume pas à l’application d’un texte : c’est un combat de société, un effort collectif pour restaurer la dignité humaine au cœur de la famille et de nos relations les plus intimes. 

Les survivantes disent souvent se sentir seules après avoir quitté un partenaire violent. Comment mieux les soutenir ? 
En tant qu’avocate spécialisée dans les droits des femmes depuis plus d’une décennie, je dirais que le sentiment de solitude après avoir quitté un partenaire violent reste l’un des angles morts les plus douloureux de notre système. On parle beaucoup du moment du départ, un acte de courage immense, mais trop peu de l’après : ce vide émotionnel, matériel et social dans lequel tant de femmes se retrouvent livrées à elles-mêmes. 

Quitter un partenaire violent, c’est  s’extraire d’une prison invisible. Mais si derrière cette porte il n’y a ni accompagnement, ni sécurité, ni écoute, la souffrance se déplace. Ce qu’il faut, c’est un soutien global et continu, au-delà du cadre juridique. 

Il faut d’abord repenser l’accompagnement post-séparation : un réseau d’écoute et de soutien psychologique gratuit, accessible et confidentiel, assuré par des professionnels formés à la violence basée sur le genre. Les survivantes doivent pouvoir parler sans peur, dans un espace où elles peuvent se reconstruire. 

Renforcer l’autonomie économique des femmes est tout aussi crucial. Beaucoup retournent vers leur agresseur faute de moyens, non par choix. L’État et le secteur privé doivent agir ensemble pour créer des programmes d’emploi, de formation et de microfinancement dédiés aux survivantes. 

Une meilleure coordination entre les services de police, hôpitaux, magistrature, services sociaux et ONG est également indispensable. Aucune femme ne devrait avoir à raconter 10 fois son histoire à 10 interlocuteurs différents. 

Enfin, il faut changer le regard de la société. Tant que quitter un foyer violent sera perçu comme un échec plutôt que comme un acte de survie et de dignité, les femmes continueront à souffrir en silence. Soutenir une survivante, c’est lui dire : « Vous n’êtes pas seule. La société vous croit, vous protège et vous accompagne. » C’est à ce prix que la loi devient vivante, et que la liberté retrouve tout son sens. 

La violence affecte aussi les enfants. Comment peut-on prévenir ce cycle dès le plus jeune âge ? 
La violence domestique laisse des cicatrices profondes sur les femmes, mais encore plus sur les enfants qui grandissent dans ces environnements toxiques. Prévenir la violence dès le plus jeune âge, c’est investir dans une génération plus équilibrée, plus juste et plus humaine. 

Un enfant qui voit, entend ou ressent la violence à la maison n’est jamais qu’un simple témoin. Il en devient une victime silencieuse. Ces expériences façonnent sa vision du monde, de l’amour et du pouvoir. Sans intervention, il risque de reproduire ce qu’il a vécu, la violence devient alors un langage appris. Pour briser ce cycle, il faut agir avant que la peur ne s’installe et que la violence ne se banalise. 

La prévention commence à l’école. Dès la maternelle, l’éducation doit inclure des programmes sur le respect, l’égalité, la gestion des émotions et la non-violence. Les enfants doivent comprendre qu’aimer ne veut pas dire dominer et qu’exprimer sa colère ne passe jamais par la peur ou la force. 

Il faut aussi former les enseignants, les éducateurs et les travailleurs sociaux à repérer les signes de violence comme l’anxiété, le repli ou l’agressivité, et à intervenir avec sensibilité. Trop souvent, ces signaux passent inaperçus.  Le rôle des parents reste essentiel. Ils doivent bénéficier d’espaces de dialogue et de soutien pour apprendre à communiquer sans violence et à gérer les conflits autrement. L’éducation positive ne doit pas être un privilège, mais une pratique nationale encouragée par les institutions. 

Enfin, la prévention est une responsabilité collective. Les médias, les écoles, les leaders communautaires et les entreprises doivent participer à bâtir une culture du respect et de l’égalité. Prévenir la violence, c’est apprendre à nos enfants à aimer sans blesser, à dialoguer sans dominer et à grandir sans peur. C’est là que commence le vrai changement, dans la conscience d’un enfant qu’on aura protégé, écouté et guidé autrement.

 

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